Sur les convergences politiques entre l’extrême droite et la gauche laïco-xénophobe

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Notes d’Yves Coleman pour le débat qui s’est tenu le 11 décembre à La Gryffe : "Les Lumières s’assombrissent-elles ? Extrême-droite, droite et gauche « laïque » unies face aux religions ?".

Depuis 2007, la revue Ni patrie ni frontières a dénoncé à plusieurs reprises les laïques et les athées qui flirtaient avec Riposte laïque ou avec la xénophobie (comme Mireille Popelin quand elle participait encore au site Respublica et qu’elle était encore à l’UFAL). Cela nous a valu quelques échanges très vifs avec Jocelyn Bézecourt, responsable du site atheisme.org et un animateur de Radio libertaire lors du Salon du livre libertaire de 2008 (le « débat-traquenard » se trouve sur le site anar sonore). Et aussi une correspondance virulente avec Jean-François Chalot, ce troskyste qui réalisa une version inédite du Front unique avec l’UMP contre l’ouverture d’une mosquée salafiste à Champs-sur-Marne.

Depuis 2007, la collaboration entre « Riposte laïque », la droite et l’extrême droite n’a fait que s’approfondir et ce ne sont pas les dernières déclarations de Marine Le Pen qui nous contrediront. En effet la dernière comparaison de l’avocate aryenne entre la période de l’Occupation nazie et le fait que quelques rues en France soient occupées une fois par semaine quelques minutes par des musulmans qui ne trouvent pas de salle assez grande pour prier, cette comparaison donc a été d’abord rôdée sur le site de Riposte laïque pendant des mois.

« Riposte laïque » agit donc bien en poisson pilote, en passerelle entre l’extrême droite et la gauche comme nous l’expliquions dans le premier de nos deux articles sur les prochaines Assises contre l’islamisation du 18 décembre, le second portant sur la gauche réactionnaire du XIXe siècle. Ce groupe teste en direction d’un public de gauche des formules xénophobes pour qu’ensuite le FN les balance dans les médias avec un effet démultiplié par son poids électoral, évidemment sans commune mesure avec le petit lectorat de Riposte laïque.

Le samedi 11 décembre 2010, à Lyon, a eu lieu un débat sur le thème des convergences politiques entre l’extrême droite et la gauche laïco-xénophobe. Nous reproduirons dans un autre article certaines des questions très intéressantes qui ont été posées par les participants à ce débat. Pour le moment, nous présentons ci-dessous le canevas de la présentation.

Avant de commencer je crois qu’il faut se mettre d’accord sur 6 points fondamentaux qui devraient permettre de fixer un cadre et un contexte au débat de ce soir :

1. Les religions et les Eglises ont évolué, leur place dans les sociétés occidentales a changé, et on ne peut plus les critiquer de la même façon qu’au XIXe siècle – ce qui n’enlève rien à l’importance de l’athéisme et du matérialisme scientifique, bien au contraire ;

2. L’idéologie de l’extrême droite a subi des changements importants, notamment sous l’influence de la Nouvelle Droite. L’antifascisme traditionnel – quelles que soient par ailleurs ses limites démocratiques-bourgeoises – doit donc renouveler son argumentaire s’il souhaite être convaincant ;

3. Il existe en France, depuis le XIXe siècle, un courant « socialiste-national », à la fois athée et anticapitaliste, laïque, chauvin et raciste, en clair une « gauche réactionnaire », que l’on ne peut réduire ni à l’extrême droite ni au fascisme, ce qui ne la rend pas moins nocive.

4. Derrière les discussions sur la laïcité et l’islam, ce sont des convergences ou des divergences sur la nature de la nation et la pertinence de la défense de l’Etat-nation qui jouent un rôle essentiel.

5. La montée des « national-populismes » en Europe coïncide avec la construction de « l’Europe forteresse ». C’est dans ce contexte social et politique qu’il faut situer les débats sur la laïcité et l’islam, les contrôles des « flux migratoires » et la définition de qui est « européen » et qui ne l’est pas.

6. À l’échelle internationale, le débat sur le « conflit de civilisations » est intimement lié aux interventions des Etats-Unis et de leurs alliés au Koweit, en Irak et en Afghanistan ; à la volonté des grandes puissances de contrôler les sources d’énergie et les grands axes commerciaux ; au jeu des puissances intermédiaires (Iran, Turquie) et des Etats pétroliers (du Golfe ou pas) qui souhaitent obtenir une part des bénéfices de l’exploitation des matières premières et des prolétaires ; et, last but not least, aux activités militaires ou politiques des mouvements islamistes au Proche-Orient, au Moyen-Orient et au Maghreb qui donnent une tonalité religieuse à ce qui sont avant tout des conflits d’intérêts matériels.

Si l’on prend en compte ces différents éléments, d’inégale importance, et si l’on dénonce le nationalisme et le patriotisme comme des idéologies mortifères, et l’Etat comme le représentant naturel des intérêts du Capital, alors il sera peut-être possible de clarifier les clivages politiques. Sinon la confusion perdurera.

On assimile traditionnellement la droite française à la dénonciation des Lumières, à l’obscurantisme religieux, à l’homophobie, au sexisme, à l’antisémitisme, au racisme et à la défense d’un « Etat fort », voire des dictatures militaires ou fascistes ; et on assimile la gauche à la défense de la laïcité, de la République, de la démocratie, du féminisme et des droits des homosexuels, et de toutes les minorités nationales ou ethniques. Or, depuis quelques années, les frontières idéologiques semblent s’être brouillées entre la droite, l’extrême droite et la gauche en France, notamment à l’occasion des débats passionnés sur le contenu « totalitaire » de l’islam comme religion et de l’islamisme comme doctrine politique.

La tenue de plusieurs « apéros saucisson-pinard » dans différentes villes en juin et juillet 2010 a été l’occasion d’observer une inquiétante convergence entre des républicains de gauche (Riposte laïque), des gaullistes, des villiéristes, des souverainistes de droite et de gauche, et des « Identitaires [1] » (en clair des nationalistes fascisants ou néofascistes) au nom de la défense de la laïcité et du féminisme, et de l’expulsion des immigrés – musulmans ou pas [2]. Cette coalition hétéroclite prétend rassembler de pseudo-« résistants » face à « l’invasion » supposée des immigrés et de l’islam. Et ils n’hésitent pas à traiter leurs adversaires de « collabos », ou de « collabobos ».

Comment expliquer de telles convergences entre militants de droite et de gauche ? Sont-elles vraiment nouvelles ?

Il nous semble que cette évolution (apparemment) récente a été précédée et préparée, à droite, par le long travail souterrain des idéologues de ce qu’il est convenu d’appeler la « Nouvelle Droite » ou les « nouvelles droites ». Cette étiquette a été inventée pour qualifier une mouvance aux contours vagues, qui va du GRECE (et surtout de son animateur Alain de Benoist, atteint d’une « incontinence de l’encrier » comme le dit l’un de ses copains fachos) au Club de l’Horloge en passant par de nombreux clubs, revues et colloques. Les individus formés ou influencés par ces différentes structures ont à leur tour réinterprété les messages qu’ils lisaient ou entendaient, ce qui a donné naissance à une certaine cacophonie idéologique – parfois volontaire, les néodroitiers se plaisant à proclamer tout et son contraire et à puiser chez des intellectuels aussi divers que Georges Dumézil, Claude Lévi-Strauss, Julius Evola, Louis Rougier, Robert Jaulin et Carl Schmitt.

Je n’entrerai pas ici dans le détail de tous les courants et sous-courants de la « Nouvelle Droite ». Il importe seulement de souligner ici qu’un certain nombre d’intellectuels et de cadres militants des groupuscules d’extrême droite ont efficacement contribué à « brouiller les lignes » et à semer la confusion entre droite et gauche, en récupérant beaucoup de thèmes que la gauche avait mis à la mode dans les années 60-70, même si la droite avait déjà exploité certains de ces thèmes : écologie profonde, régionalisme anti-jacobin, anti-impérialisme, bien sûr, mais aussi altermondialisme, multiculturalisme [3] et féminisme [4].

C’est sans doute aux Pays-Bas [5] que ce brouillage des lignes est allé le plus loin, puisqu’il existe dans ce pays un parti d’extrême droite, « national-populiste », important (24 députés sur 150), le PVV, Parti pour la liberté [6], qui prône l’expulsion de tous les immigrés musulmans (ce qui est plutôt banal), mais défend aussi les Lumières, les droits des gays et des lesbiennes, ce qui est plus rare à l’extrême droite : Théo Van Gogh, le démagogue qui succéda à Pim Fortuyn [7], et précéda Geert Wilders dans la dénonciation du multiculturalisme néerlandais, de l’immigration et de l’islam, avait coutume d’apostropher ses critiques de gauche en leur lançant : « Vous prétendez connaître les immigrés maghrébins, mais moi, je les connais mieux que vous car je les baise régulièrement dans les back-rooms. » On imagine mal Jean-Marie Le Pen, Bruno Mégret ou même Marine Le Pen tenir ce genre de propos, quelle que soit leur volonté de moderniser leur discours et leur look…

Pourtant, si l’on parcourt la production « théorique » des groupuscules racistes et fascisants de la « Nouvelle Droite » française depuis les années 60, particulièrement des « néo-païens », on découvre que certains d’entre eux ne s’opposent pas à l’homosexualité… tant qu’elle est discrète [8]. Cette position est pour eux « cohérente » dans la mesure où ils vantent les mérites de la civilisation grecque antique et des sociétés « indo-européennes » avant le christianisme. Dans leur vison mythifiée de cet Age d’Or « indo-européen », ou « indo-germanique », la notion de péché n’existait pas encore ; la sexualité n’était donc pas soumise à autant d’interdits ; l’homosexualité et le lesbianisme constituaient des formes de relations sexuelles socialement admises. Et un tel changement de position face à l’homosexualité n’est pas du tout anodin, car il touche à un élément central pour toutes les extrêmes droites : la défense de la famille. Pour un parti d’extrême droite, et a fortiori pour un parti fasciste, reconnaître (même timidement) l’homosexualité c’est reconnaître implicitement qu’un des points fondamentaux de son programme et de son idéologie n’est plus soutenable dans les sociétés occidentales modernes.

Si certains historiens et politologues ont déjà commencé à décrire l’évolution de la droite et de l’extrême droite depuis 30 ans, il n’en est pas de même à gauche. À part le filon sensationnaliste qui consiste à dénoncer tous les antisionistes comme des antisémites (cf. les ouvrages de P.A. Taguieff qui tournent malheureusement aux pamphlets approximatifs dès qu’ils abordent les positions de l’extrême gauche et de l’ultragauche ; ou le livre de Michel Dreyfus, "L’antisémitisme à gauche", qui croit qu’en remplaçant la préposition « de » par « à » on résoudra un problème épineux et séculaire qui touche à la nature de l’anticapitalisme, et qui se permet lui aussi de lancer des accusations infondées contre Lutte ouvrière et certains ultragauches), on ne peut pas dire que les universitaires se soient beaucoup intéressés aux rapprochements récents entre la gauche et la droite.

Plus exactement, on trouve de nombreux essais à propos de « l’islamophobie » qui prétendent que la gauche a toujours été colonialiste, que la majorité des philosophes des Lumières étaient racistes, et que l’universalisme de la gauche conduit à une impasse « eurocentriste ». Le problème est que ces auteurs de la gauche « postmoderne » abandonnent tout esprit critique face aux religions, particulièrement face à l’islam, mais aussi face à l’islamisme, présentant ce dernier comme un mouvement émancipateur. La question de la religion étant intimement liée à celle de la nation, on ne s’étonnera pas que ces intellectuels, qui ont un regard totalement acritique sur le nationalisme des Etats et des mouvements de libération nationale des pays non occidentaux, soient incapables de critiquer les religions qui rythment la vie quotidienne des peuples concernés.

En dehors de Zeev Sternhell, violemment critiqué par la plupart des historiens français, Marc Crapez est l’un des rares auteurs, à ma connaissance, qui aient apporté quelques pistes intéressantes sur la gauche réactionnaire du XIXe siècle et ses connivences idéologiques profondes avec ce qui allait devenir l’extrême droite (cf. notre article à ce sujet sur ce site 1586). Il montre dans son livre qu’au XIXe siècle et dans la première moitié du XXe siècle, il existait déjà en France des courants athées et racistes (à l’époque antisémites), anticapitalistes et nationalistes : ces blanquistes et ces communards boulangistes de gauche étaient en quelque sorte reconnus comme des « camarades dans l’erreur » par les autres tendances socialistes de l’époque. Ils formaient la branche « socialiste-nationale » de la famille, et Riposte laïque aujourd’hui (l’antisémitisme en moins le racisme anti-arabes en plus) en est la piètre héritière.

Il faut donc dénoncer ces rapprochements idéologiques entre droite et gauche qui sont mortifères pour tout changement social, mais aussi souligner que la critique des religions doit tenir compte de leur évolution, et de l’évolution des comportements politiques des croyants et des fidèles. Sinon il est impossible affronter la question de l’islam dans les pays capitalistes occidentaux, et les problèmes qui peuvent être posés par l’influence néfaste de cette religion sur un certain nombre de travailleurs et d’exploités.

Et cela concerne bien sûr d’autres religions que l’islam : il suffit d’observer l’apathie et la résignation encouragées par les pentecôtistes dans l’émigration haïtienne en France depuis le tremblement de terre du 13 janvier 2010, et la façon dont sur place ils prétendent que le séisme serait une punition divine pour la pratique du vaudou par le peuple haïtien !

Y.C.

Quelques articles parus ou à paraître dans Ni patrie ni frontières mais qui sont déjà sur le site mondialisme.org

Sur Respublica puis Riposte laïque :
- Riposte laïque, sa « Mireille » et son « Petit Conservatoire » ... de la Xénophobie (1)
- Riposte laïque ou Poubelle xénophobe ?

Sur Wilders interviewé par RL et chouchou de RL :
- De Geert Wilders à Riposte laïque, l’Internationale de la xénophobie
- Geert Wilders et le PVV aux Pays-Bas : Le « Parti pour la Liberté » vous exclura aussi !

Avec qui peut-on (et ne peut-on pas) s’allier pour lutter contre l’islamisme ?
- Débat : avec qui peut-on s’allier pour combattre l’islamisme ?

P.-S.

Note de la modère : le titre a été légèrement changé pour remettre dans le contexte de la discussion. Signalons aussi un bilan de ce débat à La Gryffe sur Mondialisme.org.

Notes

[1Le terme d’identitaire a été choisi par ces individus pour éviter d’utiliser le mot « nationaliste ». Il existe des groupes identitaires dans différents pays d’Europe.

[2La même coalition réactionnaire organise des Assises internationales contre l’islamisation le 18 décembre 2010. A ce propos, un site d’extrême droite annonce que je serais un des « invités surprises » de ces Assises. Il s’agit bien évidemment d’une blague débile. Malheureusement, la nocivité des néodroitiers et des néofascistes ne se limite pas à de telles plaisanteries de potaches.

[3C’est ainsi que le Vlaams Blok, devenu plus tard le Vlaams Belang, se réclame d’une « Europe multiculturelle de peuples monoculturels (et monoraciaux) » de structure confédérale.

[4La « Nouvelle Droite », en reconnaissant les genres et en invoquant un « universel féminin » a pu faire illusion.

[5Ce n’est pas un hasard si le groupe De Fabel van de illegaal a étudié en détail comment l’extrême droite néerlandaise s’est emparée de thèmes comme l’altermondialisme, l’écologie et le féminisme (cf. le recueil d’articles La Fable de l’illégalité publié par Ni patrie ni frontières en 2004).

[6Cf. les articles suivants publiés sur le site mondialisme.org et dans la revue Ni patrie ni frontières : « Geert Wilders et le PVV aux Pays-Bas : Le « Parti pour la Liberté » vous exclura aussi ! » ; « De Geert Wilders à Riposte laïque, l’Internationale de la xénophobie » ; « Geert Wilders, un politicien populiste et d’extrême droite » ; « Qui est vraiment Geert Wilders ? ».

[7Pim Fortuyn fut assassiné le 6 mai 2002 par un déséquilibré se réclamant de l’écologie, et Théo van Gogh le 2 novembre 2004 par un Marocain musulman.

[8L’extrême droite actuelle, aidée par Riposte laïque, rejoue la même partition, cette fois contre « l’islamisation » imaginaire de l’Europe.. Dans un article de "Pouvoirs" (n° 87, novembre 1998), Piero Ignazi signale qu’au début des années 90 le MSI néofasciste, qui se transforma en Alleanza nazionale en 1994, adopta, à une courte majorité, une position hostile aux discriminations contre les homosexuels en Italie.

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