(s)exposition (h)(p)eureuse

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A rebours du mythe de l’individu libre et souverain, établissant un choix rationnel à partir d’une table d’information claire et distincte, mes mains fébriles ne semblent pas avoir le choix. Mon petit doigt me dit qu’une certaine désinhibition passerait par cette prolifération sexuée, que je vous annonce d’ores et déjà. Car j’ai peur de votre jugement. Mon membre s’excuse en s’exposant. Il est moins lâche lui au moins !

L’être humain aime-t-il les ruines et le chaos(...) parce-qu’il a une peur instinctive d’atteindre au but qu’il se fixe, et d’achever l’édifice qu’il bâtit ? Le savez-vous ? Peut-être cet édifice lui plaît-il de loin, non de près ? Il n’éprouve du plaisir qu’en le construisant, et n’aurait aucune joie à l’habiter : aussi le laisse-t-il ensuite aux animaux domestiques.

Dostoïevski

La première forme de l’espérance est la peur,
le premier visage de l’inconnu est l’épouvante.

Heiner Müller

J’ai terriblement peur... des autres, de moi, du monde, peur pour les ours sur la banquise, peur de la finance et des banques grises, peur de tout et de rien, peur de la peur, peur de ces points...
S’en aller ? J’ai essayé...m’exiler, m’isoler, ailleurs, plus loin, plus haut, descendre les montagnes et monter dans l’ounderground. Fuite en arrière, petits pas dans le grand gouffre, bonds toujours en retard...
J’ai pensé à tous les pays, tous les chemins, tous les climats, toutes les identités polymorphes... et puis je suis tombé sur ma page blanche. Je m’installe en elle, quelle tranquillité ! [1]

Celle-ci fut cependant de courte durée : terreur de traiter d’un Sujet.

A rebours du mythe de l’individu libre et souverain, établissant un choix rationnel à partir d’une table d’information claire et distincte, mes mains fébriles ne semblent pas avoir le choix. Mon petit doigt me dit qu’une certaine désinhibition passerait par cette prolifération sexuée, que je vous annonce d’ores et déjà. Car j’ai peur de votre jugement. Mon membre s’excuse en s’exposant. Il est moins lâche lui au moins !

Castré par la presse et sucé par la sangsue de la censure verbale, terrifié par l’apathie de trop nombreux écrits vains et paroles préfabriquées, il se demande si ce côté obscur de la forme ne serait pas bonne conseillère pour commencer à travailler. Faut-il traverser la plus glaçante épouvante pour sortir de la léthargie ? Faudrait-il apprendre à habiter l’effroi pour commencer à se mouvoir ?

J’ai lu quelque part que ce que nous appelons nos "émotions" n’ont rien de naturel, d’archaïque, de strictement biologique, d’authentiquement authentique mais qu’elles n’existent qu’en relation avec le dehors, dans un rapport entre "une âme" et un certain "nous", et qu’elle ne se stabilisent qu’à être cultivées. [2]

Rien que la question que l’on pose au sujet de la peur, cette fameuse interrogation de l’"authenticité"- émane-t-elle du moi terrifié ou du monde terrifiant ? Est-elle "vraie" ou construite ? Est-elle cause ou effet ?- est, toujours déjà, déterminée par notre tradition. Elle n’aurait aucun sens, si l’on suit les ethnopsychologues, pour un Ifaluk ou un Inuit... Il y aurait même des contrées où les parents apprennent au enfants à avoir "peur", utilisant un langage tout autre que le nôtre pour consulter cette drôle de sensation que nous appelons trouille, crainte, effroi, épouvante, frayeur,frousse... Le problème ne serait pas de chercher l’accès à ce type de consultation, au risque de tomber dans l’exotisme le plus naïf, mais bien d’hériter de notre propre milieu effrayant, d’apprendre à en devenir le vecteur, afin de le transformer.

Quel est ce milieu, en l’occurence ? Si nous essayons d’être aux aguets, je crois que nous pouvons sentir la puanteur de tous ces journaux bavant leur encre tremblotante, blotie dans leurs discours sur les incivilités, les jeunes, les terroristes potentiels ; discours qui fabriquent en chacun un coupable en puissance, qui contribuent à nous construire un joli château doré, un camps pour concentrer tous les mickeys, pouvant à tout moment se métamorphoser en méchants loups, sans exceptions [3] , si l’on est pas sur nos gardes.
Les miroirs amplifient la foudre. Il y a les terroristes et puis il y a les terrorisés. Il n’ont pas l’air comme ça derrière leur masque autorisé, mais ces derniers en font des dégâts, eux aussi ! Terroristes et terrorisés font couple dans la danse macabre.

Parmi toutes les plumes qui baignent dans cette douce gêne croustillante prônant l’objectivité, la neutralité, le respect humain (trop humain ?), très peu de couteaux émergent pour trancher quelques "fausses" notes dans la lisse harmonie de la trouille qui s’enlise. Il faudrait de ces instruments, aiguisés et habiles toutefois, pour un peu déconstruire l’Epée de Damocles. De ces scalpels qui analysent avec minutie, et qui ne coupent le plastique que pour reconstruire une mosaïque bien plus complexe et opérante que ces sanglots en kit créant la paranoïa.
Ce n’est pas en prônant mollement le respect et la tolérance (Envers qui ? Envers quoi ? Devons-nous être intolérants avec les intolérants ?), que le serpent de la parano arrêtera de se mordre la queue. Ralentissons s’il vous plait...

Comme un café décaféiné qui ne peut plus réveiller personne, comme tous ses produits qui sortent vidés de leur substance [4], la "tolérance", le "respect", seraient la vitrine, j’en ai bien peur, d’une trouille abyssale [5]...

Je crains que se multiplient les saints bénis qui prêchent :"ouioui, je te tolère tant que tu n’entres pas dans ma sphère privée" car "ta liberté s’arrête lorsque commence la mienne...".
Voici le missel, sans sucre s’il vous plait, de la prison en ordre massif gardés par les louveteaux de la Vigilance. Si vous avez néanmoins le bonheur de fissurer la vitre souriante, un paysage tremblotant et violent se révèlera.

Cet hystérisation du contact, cette peur blanche de l’altérité, cette exacerbation de la bulle glacée auto-nomique, ce fantasme de pureté du moi plus blanc que blanc, correspond point par point à ce que la fièvre glaçante du capital a besoin.
L’homme épuré est libre, dé-tâché, il va où il veut, donc va où on lui dit d’aller. Son obsession de la pureté, sa trouille de la souillure qui viendrait du dehors, alimentent la propagande diffuse nous sommant d’être sains, positifs, sportifs, ambitieux, brillants, communicants, entreprenants, optimistes, un peu artiste...et quand le monde s’artistise, c’est l’art qui disparait, ne pouvant plus s’alimenter de son Autre. Il sera toujours dénoncé et repoussé dans un premier temps, puis récupéré, ironisé par l’ange, à tête de mort souriante, de la peur de l’étrange.

Attention, je ne fais pas là l’éloge du mélange à tout va !
Car ne se mélangent, n’entrent dans le mix du melting-pot - sponsorisé souvent - que les "égaux" (égos ?), c’est à dire hélas les mêmes, mais bien séparés par le contrôle, le marquage, les signes de la crainte....Dans ce chaos sous cellophane, festif et touristique, il suffirait d’une joyeuse alarme et les homo festivus déguerpiraient sous l’oeil des caméras, telles des poules acéphales [6].
Toute autre est la chaleur du contact violent, intrusif et plein d’humour, dans une connivence affectueuse, secrète, à demi-maux, avec cette douce dureté singulière qui crée le débat, le polemos créateur.
Une vie qui s’écoule comme un mur de pierres sèches, où les pierres tiennent les unes les autres parce que leurs formes diffèrent, sans ciment, sans colle, sans garantie.
Comme dans l’amour, l’échange est parfois rude, on se caresse avec les poings, mais c’est parce qu’il n’y a pas d’existence riche sans corps tremblants, sans corps à corps. D’où la jubilation, le co(s)mique, les mots qui filent comme des fusées, mais aussi la tendresse attentive et la générosité, les bons plaisirs des fulgurances du langage mêlés à la joie plus subtile d’entendre ce que l’on ne savait pas que l’on entendait. Oui, dans mon immodeste modestie, je plaiderais plutôt pour ce cheminement : traverser l’effroi de l’apparente absence d’effroi de la vitrine, et aller chercher dans l’arrière-boutique, là où se trame la vie...

Nicolas Zurstrassen

Notes

[1Allusion au vers d’Henri Michaux : « J’étais autrefois bien nerveux. Me voici sur une nouvelle voie : je mets une pomme sur ma table. Puis je me mets dans cette pomme. Quelle tranquillité ! ». Mais...nouvelle frayeur : le ver est-il dans le fruit ?

[2Cf.Vinciane Despret, Ces émotions qui nous fabriquent, Les empêcheurs de penser en rond,2001

[3Cf. Gorgio Agamben, Homo Sacer II. État d’exception, Seuil, 2003 Homo sacer III. Ce qui reste d’Auschwitz , Payot & Rivages, 1999

[4Café décaféiné, boisson gazéifié sans sucre, sucre sans sucre, chocolat « light »,....

[5Cf. Slavoj Zizek, Plaidoyer en faveur de l’intolérance, Climats, 2004

[6Cf. Philippe Muray, Festivus festivus, Fayard, 2005

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