Mémoire

1936-1937 : une révolution ratée ?

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La guerre civile espagnole a permis une révolution sociale encore inédite a l’époque. Beaucoup de principes anarchistes ont été mis en place a cette époque. Et pourtant la république les a écrasé·es et les fascistes ont gagné. Pourquoi comment, et que faut-il en retenir ?

Juillet 1936, dans les casernes catalanes, la mort bute sur les milices, le peuple compte ses armes… Au-delà de cette image d’Épinal révolutionnaire que s’est-il passé de juillet 1936 a mai 1937 en Espagne et en Catalogne ?

En février 1936, le front populaire gagne les élections. Celui-ci est plus ou moins soutenu par la CNT. En effet cette organisation à l’origine syndicaliste révolutionnaire, bien vite devenue anarcho-syndicaliste est forte de près d’un million et demi de membres, qui, malgré toutes les répressions (que ça soit par la dictature de Primo de Rivera, le début de la république (où les mêmes partis qui fonderont le front populaire dirigeront contre elle) ou même de 1934 a 1936 quand la coalition de droite avait le pouvoir) est toujours sortie renforcée des crises [1]. Des noms encore connus de nos jours ont commencé à émerger dans les années 20, que ça soit Durruti, Garcia Oliver ou Montseny (notez les deux dernier·es iels sont important·es).
Cette organisation, donc, en 1936 soutient les partis bourgeois contre une coalition d’extrêmes droite dont la CEDA (confédération des droites autonome) fascisante a la tête.
Le front populaire triomphera et sera accusé de fraude. Ce qui est assez ridicule, les élections espagnoles sont toutes truquées a cause d’un système quasi féodal avantageant grandement les propriétaires terriens : les caciques (techniquement aboli mais bon...) [2].
A partir de cette élection les membres royalistes, fascistes ou même des républicains réactionnaires de l’armée prépareront un putsch (même si les carlistes avaient le soutient de Mussolini depuis le début des années 30).

Le 17 juillet, le Maroc espagnol et son armée se soulève. Le 18 l’insurrection s’est répandue sur le continent [3].
Le chaos est tel, que plusieurs gouvernements ce succède en une journée.
Mais le putsch est un échec. En effet les fascistes n’arrivent pas a prendre contrôle de tout le territoire espagnol.
Pourquoi ? Sûrement pas grâce a l’état. Comme dit plus haut, celui-ci est dépassé et la quasi-totalité de l’armée et des polices (guardia civil et d’asalto) sont passées a l’ennemi ou considérées comme de possible traître.
C’est les milices des partis mais surtout des syndicats UGT (lié au PSOE, le parti socialiste) et CNT.
Malgré tout l’état refuse de les armer par peur d’une révolution, cependant depuis l’insurrection des Asturies en 1934, les syndicats stockent des armes ce qui leur permet dans de nombreux endroits de vaincre les fascistes. En plus les assauts des casernes permettent d’armer mieux et plus ces milices [4].
Bientôt une ligne de démarcation se dessine et le 20 juillet la guerre civile commence.

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Un tiznao (voiture blindée vite fait) avec des milicien·nes de la CNT-FAI

Cet échec de l’état entraîne son écroulement hors de Madrid et laisse un vide de pouvoir. Et ça tombe bien, il y a des personnes qui ce batte depuis des années contre l’état et iels ont des solutions pour s’organiser sans lui. Dans la plupart de la zone « républicaine » c’est les anarchistes qui prennent le pouvoir [5].
Cette situation pose aussi un problème, il n’y a que deux côtés à la ligne de front, mais il y a trois camps dans la guerre : fasciste, républicain et révolutionnaire. Les deux derniers devront cohabiter ou l’un triomphera de l’autre [6].
En ce début de guerre civile on a plutôt l’impression que c’est le camp révolutionnaire qui triomphe, le 1er ministre est Largo Caballero (le Lénine espagnol), la CNT a pris le pouvoir en Catalogne et en Aragon, elle arrive au porte de Saragosse et elle a même des ministres anarchistes [7].

Mais la direction de la CNT ne sera pas capable de prendre l’initiative, laissant celle-ci aux forces bourgeoises. Au PCE notamment, celui-ci étant surtout composé de petit bourgeois et attirant des membres après 1936 car très anti CNTistes (entre autre) [8]. Le comble, les ministres anarchistes serviront cette reconstruction de l’état bourgeois et le feront glisser sur une pente autoritaire. C’est là où entre en scène le fameux Garcia Oliver, membre du courant radical de la CNT : la Fédération Anarchiste Ibérique (qui se veut être une organisation à part mais dans les faits toustes ses membres sont membres de la CNT). Il s’était illustré pendant les années 20-30 par un appel à la révolte permanente et à la « gymnastique révolutionnaire », c’est cet homme qui est nommé ministre de la Justice. À son actif il y aura la création d’une législation très dure contre celleux qui s’opposeront à l’état, création de camps de travail et d’une justice d’exception banalisée [9]. Bien évidement pensée à l’origine pour réprimer les fascistes, cette justice fut réutilisée après les journées de mai contre les anarchistes et les communistes d’opposition du POUM. La CNT laissera donc l’état catalan et l’état espagnol se reconstruire malgré l’hégémonie politique du camp révolutionnaire. Cela passera par la militarisation (qui bien évidement exclue les femmes de cette nouvelle armée) faite au nom de la victoire contre le fascisme. Durruti dira même a propos de ça « je suis prêt à tout sacrifier sauf la victoire. ». La militarisation marchera si bien que non seulement la CNT perdra tout pouvoir politique mais aussi la république perdra la guerre, les seules avancées faites par les anti fascistes resterons celle faite par la colonne Durruti et les milices confédérales [10].

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Affiche de propagande de la CNT-FAI, on peu voir que la date change du 17 ou du 18 juillet pour le 19.

Toutes ces hésitations et les provocations des Staliniens conscient·es de leurs forces mèneront aux journées de mai [11]. Celles-ci auront lieu surtout à Barcelone. Le début du mois de mai 1937 est très tendu. Par exemple, pour éviter un affrontement, la manifestation du 1er mai est annulée d’un accord commun entre les républicain·es et la CNT.
Le 3 mai pourtant, la guardia prend d’assaut la Telefónica de Barcelone, car celle-ci est tenu par les anarchistes qui écoutent (voire coupent) les communications du gouvernement. Malgré un cessez-le-feu, au soir la ville se couvre de barricades. Or tout le monde voyait venir les affrontements et les organisations s’était préparées.
Le 4, les affrontements sont ouverts. Comme en juillet mais entre anti-fascistes. Sur le front, la colonne Durruti vote pour marcher sur Barcelone et commence à s’y préparer, arrêtée in extremis par le « camarade » ministre Garcia Oliver qui les convainc de rester sur leurs positions, les colonnes de la CNT Ascaso et de Hierro ainsi que la 29ᵉ colonne du POUM commencent à se diriger vers Madrid et cessent leurs avancées quand l’aviation républicaine menace de les bombarder [12] . Je vais pas vous faire un historique détaillé parce que ça mériterait un livre (qui existe, c’est Hommage à la Catalogne). Ce qu’il faut retenir c’est que pendant qu’une partie du mouvement libertaire (rassemblée autour du groupe « les amis de Durruti » entre autres) ne veut pas se laisser faire, là où la direction de la CNT, de la FAI et des jeunesses libertaires appelle au calme. Federica Montseny est même envoyée à Barcelone pour tenter de calmer le jeu. Le 5, Largo Caballero envoie des renforts depuis Valence. Et le 8, l’ordre républicain est rétabli [13].

Les conséquences des journées de mai sont cataclysmiques. Le gouvernement Caballero tombe [14], remplacé par le docteur Negrin qui ira encore plus loin dans la répression des anarchistes et la collaboration avec le PCE [15]. De plus les anarchistes perdent leurs ministres qui était soi-disant censé·es protéger la révolution en entrant au gouvernement.
Les plus durement touché·es, sont les membres du POUM, leurs principaux dirigeants sont soit arrêtés soit assassinés et le parti est interdit [16].
À long terme la CNT perd toute influence et la révolution est morte et enterrée.
Morte aussi bien symboliquement (par les retraite de la direction de la CNT) aussi bien que physiquement (avec la destruction du conseil de défense de l’Aragon et le meurtre de nombres de camarades).
Bientôt les flics et autres agents secrets (soviétiques et espagnols) viendront assassiner les camarades au front.

Mais même dans la branche radicale de la CNT, leurs marottes c’est les conseils de défenses régionaux/nationaux. C’est, en vérité, rien d’autre que des dictatures du prolétariat anarchiste. Le conseil de défense régional de l’Aragon (CDRA) a le monopole de la violence, a un gouvernement… C’est tellement un état que le CDRA étais reconnue comme une région autonome par l’état républicain et que la branche radicale du PSOE de Largo Caballero était d’accord pour mettre en place un conseil a l’échelle nationale [17]. Hors Largo Caballero a un gros passif anti anarchiste (sous la dictature de Primo de Rivera notamment), on voie en quoi ça peut être un problème [18].

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le drapeau du conseil régional de défence de l’aragon

En conclusion, on peut dire que la CNT a fait de nombreuses concessions au nom d’un front uni anti-fasciste dont les staliniens n’avait rien à faire et que ça lui a coûté la victoire. L’opposition internationale et espagnole à la collaboration avec la bourgeoise est muselée (la CNT mettra un coup de pression à son internationale anarchiste pour faire cesser les critiques [19]). Les républicains resteront coincés dans une singerie du fascisme (poussant certains magistrats à quitter leurs fonctions [20]) or, on ne bat pas le fascisme en étant comme elleux, on le bat en étant tout son contraire c’est-à-dire révolutionnaires [21].
Cependant, si j’ai été très dure tout du long de ce texte avec le mouvement libertaire espagnol (radical ou non), il est important de noter que de nombreuses avancées ont tout de même été réalisées pendant la révolution sociale. Par exemple, le divorce est autorisé, la contraception aussi et même une certaine libération sexuelle des cishets et des LGBT [22] a lieu.
Aussi cette révolution manquée nous permet de voir que l’autogestion à grande échelle des usines marche (mais qu’elle est aussi compatible avec la société capitaliste) ainsi que la réussite (relative je vous l’accorde) des milices, celles-ci auraient repris Saragosse si l’état bourgeois ne les avait pas empêchées en leurs refusant armes et munitions, là où la glorieuse armée populaire n’a fait que reculer.
Je pense que tant que certain·es camarades ne se seront pas débarrassé·es des mythes fondateurs que sont la CNT et la révolution sociale, notre camp ne pourra pas vaincre. Encore trop souvent je vois des anarchistes considérant la révolution de 1936 comme un établissement du socialisme et un objectif à refaire (j’en étais il y a pas si longtemps).

Cette révolution est un échec, une révolution ratée ?
Non, mais manquée, certainement.

P.-S.

Merci au camarade Lisune d’avoir corriger le texte, il peut y avoir encore des fautes vue que j’ai retouché un peu depuis, je vous prie de m’en excuser.

Et puiske je vous tiens, regardez Libertarias (film sur une nonne qui se retrouve dans la colonne Durruti) ou encore Land and freedom (un stal qui se retrouve au POUM). Ca met bien dans l’ambiance et ce sont des films cools.

Les sources utilisées pour cet articles :

François Godicheau, La Guerre d’Espagne : République et révolution en Catalogne (1936-1939)
Hugh Thomas, la guerre d’espagne
José Peirats, Les anarchistes espagnols, révolution de 1936 et luttes de toujours
César M.Lorenzo, Les Anarchistes espagnols et le pouvoir
Les rêves brisés de l’entre deux guerres, arte
Hommage à la Catalogne, Orwell
https://www.unioncommunistelibertaire.org/?1936-1939-les-anarchistes-francais-face-aux-errements-de-la-Revolution
Et en soutien les pages Wikipédia de Garcia Oliver, Ascaso et des Journées de Mai.

Notes

[1José Peirat, Les anarchistes espagnols révolution de 1936 et luttes de toujours

[2ibid

[3Hugh Thomas, la guerre d’espagne

[4José Peirats, Les anarchistes espagnols, révolution de 1936 et luttes de toujours

[5César M.Lorenzo, Les Anarchistes espagnols et le pouvoir

[6François Godicheau La Guerre d’Espagne : République et révolution en Catalogne (1936-1939)

[7« García Oliver à la Justice, Federica Montseny à la Santé et Assistance Sociale, Joan Peiró à l’Industrie et Juan López Sánchez au Commerce » page wiki de Garcia Oliver

[8François Godicheau La Guerre d’Espagne : République et révolution en Catalogne (1936-1939)

[9« Une des raisons de l’échec relatif de cette vaste entreprise judiciaire est la clémence (après les journées de mai) dont firent preuve les jurys populaires composés de représentants des organisations, au sein desquels la CNT était très minoritaire. Au sein de la Confédération, la Commission juridique chargée de défendre les militants fit d’abord tout son possible pour retarder les passages en jugement, sachant les rapports de force politiques au sein des jurys. La peur était grande de voir les militants condamnés sévèrement par leurs ennemis politiques, dans le cadre d’une législation qui, pour le comble, avait pour père « leur » ministre anarchiste Juan García Oliver ! » « Ces camps avaient été institués le 26 décembre 1936 par décret du ministre de la Justice García Oliver, dans le but de désengorger les prisons et d’employer les détenus, dans leur majorité auteurs ou complices du soulèvement du 18 juillet, à des travaux utiles pour la guerre »« Enfin, à partir de la fin de l’hiver 1938, six camps de travail absorbèrent le trop-plein de détenus (anarchiste) en Catalogne »François Godicheau La Guerre d’Espagne : République et révolution en Catalogne (1936-1939)

[10José Peirats, Les anarchistes espagnols, révolution de 1936 et luttes de toujours

[11« Il s’agissait bien d’une provocation et, plus grave, les principaux dirigeants de la CNT le savaient et s’y attendaient. L’idée chez leurs adversaires de mener un « coup d’État contre la FAI » datait de l’automne 1936. » « Eroles, prévenu de ce qui se tramait à Paris, monta rapidement un service de renseignement anarchiste, d’où émanèrent des rapports sur l’activité de catalanistes comme Ventura i Gassol et Joan Lluhí et de dirigeants du PSUC comme Joan Comorera et surtout Roldán Cortada, qui était à la recherche d’armes pour « affronter la FAI » », ibid

[12ici Wikipédia fait seulement mention de la colonne Ascaso (du nom d’un des membres de los solidarios mort le 20 juillet 1936) et de la 29e divisions du POUM mais Hugh Thomas ne fait mention que de la colonne de Hierro

[13le récit que je fais des journées de Mai vient de toutes les sources citées avant, Hommage à la Catalogne et Wikipédia pour rafraichir ma mémoire

[14« La chute du gouvernement Largo Caballero le 17 mai et l’absence de la CNT du nouvel exécutif annonçaient une nouvelle confrontation », François Godicheau La Guerre d’Espagne : République et révolution en Catalogne (1936-1939). Elle aura lieu à la toute fin de la guerre avec un nouveau putsch anti-communiste soutenu par la CNT du centre

[15créant entre autre une nouvelle police "les carabiniers du DR. Negrin" alors que l’ejercito popular manque d’armes

[16voir Hommage à la Catalogne entre autre

[17César M.Lorenzo, Les Anarchistes espagnols et le pouvoir

[18l’UGT est allez jusqu’à collaborer avec la dictature de Primo de Rivera par anti-CNTisme selon José Peirats

[191936-1939 : les anarchistes français face aux errements de la Révolution espagnole, dans altérnative libértaire

[20François Godicheau La Guerre d’Espagne : République et révolution en Catalogne (1936-1939)

[21La personne qui a corriger les fautes du texte a mis comme notes ici « on ne combat pas l’aliénation par des moyens aliénés »

[22pour les LGBT, c’est à prendre avec des pincettes, j’ai seulement vue ça dans Les rêves brisés de l’entre deux guerres, une série Arte

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