5 ans de Covid : un autre récit est possible | À ta santé camarade ! #11

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« À ta santé camarade ! » est une chronique mensuelle des Canards Masquées. Cette onzième mouture revient sur les cinq ans écoulés depuis l’apparition du Covid. Elle analyse le récit dominant qui s’est installé, dans la presse comme dans les milieux militants. Un récit qui fait de la pandémie un épisode du passé, qui diabolise les mesures de réduction des risques et qui travestit les idéaux anti-autoritaires en revendications validistes individualistes. Ce contre-récit est aussi celui de cinq ans d’autodéfense sanitaire et de soin mutuel, et le refus d’abandonner le rêve d’un d’un « monde d’après » débarrassé du validisme et du capitalisme.

Fin mars 2025, un petit vent agite les plateaux médiatiques français : à l’approche du cinquième anniversaire du premier confinement, le Covid reprend une place significative dans les actualités nationales. Les éditions spéciales sur la pandémie s’enchaînent, la reléguant toutes au passé que représentent les confinements, les couvre feux, le passe sanitaire, les obligations de port du masque et vaccinales. Autrement dit, la commémoration assume la double fonction de réduire la pandémie à ses premiers mois et d’assimiler la nécessaire réponse de santé publique aux errements autoritaires d’une classe dirigeante paniquée. Un tout autre récit de ces cinq années de Covid peut et doit être écrit : les personnes engagées dans les associations de malades comme dans l’autodéfense sanitaire ne se sont pas privées de le rappeler avec force en ce début de printemps, comme dans les 62 mois précédents.

Une pandémie ne se finit pas parce que vous en avez fini avec elle

La pandémie initiée par le Sars-Cov-2, quoi que puissent en dire les journalistes, se poursuit toujours bel et bien. Depuis son début, on compte généralement chaque année trois grands pics de contaminations répartis sur diverses saisons, entre lesquels les infections se maintiennent à des plateaux plus importants qu’en 2020-2022. Vous avez bien lu : il y a aujourd’hui, encore et toujours, davantage de malades du Covid que lors de la période où il se trouvait considéré comme une urgence en santé publique [1] - et ce, malgré les quelques 30 millions de morts de personnes supposées vulnérables qu’il a déjà occasionnées. Au temps pour l’« immunité collective » : les supposé’es invulnérables continuent de tomber malades, d’être handicapé’es et de mourir elleux aussi du Covid. Sur la seule saison hivernale 2024/2025 en France, les synthèses issues des laboratoires hospitaliers (réseau RENAL) et des laboratoires de ville (réseau RELAB) montrent une présence continue du virus dans la population. Les chiffres de contaminations n’ont en réalité jamais été aussi hauts que depuis la prétendue « fin de la pandémie ». Comme l’a synthétisé le biologiste de l’évolution T. Ryan Gregory, depuis les variants Omicron, « la circulation virale n’a pas pris la forme de tsumanis, mais plutôt d’un niveau de mer élevé avec une marée haute et une marée basse. Autrement dit, le problème ne se manifeste pas par d’énormes vagues qui submergent les hôpitaux, mais par un niveau de base qui ne redescend jamais. C’est un problème de surface immergée et non de hauteur d’eau. » La pandémie ne s’est pas terminée : nous nous sommes simplement habitué’es à vivre les pieds dans l’eau du Covid. Chaque mois des milliers de personnes dans le monde continuent à en mourir dans l’indifférence générale - des milliers au cours de la seule infection aiguë, sans compter les décès induits par les séquelles et les effets différés de la maladie.

Dire « pendant le Covid » pour se référer à 2020-2022, puis « l’après pandémie » ou « le post-Covid » pour les années qui suivent, n’établit pas la chronologie de façon factuelle, mais en construit activement une représentation erronée. Alors que le Covid se définit stricto sensu comme une maladie infectieuse causée par le virus du Sars-Cov-2, la quasi totalité de la classe dirigeante et de la population utilise le terme pour évoquer la période des confinements et des autres obligations sanitaires. Comme l’explique Emily Dupree dans « L’invention de la mémoire : comment la pandémie est devenue ‘le passé’ », « la pandémie s’est transformée en un événement restreint dans le temps ». Elle se trouve ainsi tenue à distance par une recomposition mémorielle qui vise à effacer le sentiment de grande vulnérabilité et d’interdépendance, pour le remplacer par une fiction de sécurité et d’invincibilité. En d’autres termes, le déni collectif a pour fonction d’établir une illusion de « retour à la normale » en renvoyant les mesures sanitaires initiales, souvent autoritaires et kafkaïennes, à un état d’exception heureusement terminé. C’est refuser de voir que le laisser-circuler actuel se montre tout aussi autoritaire et kafkaïen sous son apparente normalité : obligation collective à la réinfection constante, criminalisation du port d’un masque de protection respiratoire, relégation de la vie sociale pour les personnes connaissant leur risque de décéder d’une infection, culpabilisation des militant’es demandant une réduction des risques, attribution des effets scientifiquement établis du Covid (système immunitaire submergé, épuisement, troubles cardiovasculaires, etc.) aux quelques mesures de protection dont nous disposons.

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Image publiée par Lee Altenberg en novembre 2024. Elle montre la prévalence du SARS-CoV-2 dans les eaux usées aux USA de janvier 2021 à novembre 2024. On voit des pics réguliers au fil du temps, toujours aussi élevés et + fréquents, avec un niveau de base qui monte. Le nombre de cas Covid recensés, en revanche, devient de + en + petit à partir de mi-2022 et se montre très inférieur au suivi dans les eaux usées. La période 2021-début 2023 est intitulée ‘pendant la pandémie’ et la période depuis 2023, ‘après la pandémie’."

Confinement mon amour

La perception des confinements s’est complètement retournée avec le temps. Ils se trouvent aujourd’hui exclusivement présentés comme le symptôme d’un mal plus grand que ce dont ils étaient censés nous protéger. « Expérience d’obéissance de masse », « réclusion stricte », la glose sur un « enfermement généralisé » de la population n’en finit pas de s’étaler [2]. Elle se trouve agrémentée de comparaisons nauséeuses à un régime carcéral diffus et de pensée foucaldienne mal digérée, où l’ordre policier rencontrerait un ordre sanitaire jugé inutile, puisque ne visant qu’à protéger les ancien’nes et les handicapé’es. Nos romanesques anti-autoritaires omettent néanmoins de préciser que Jair Bolsonaro a mené jusqu’au bout cette logique de diabolisation des confinements en les refusant et en appliquant une politique du laisser-mourir au Brésil. Les pénuries de cercueils, les fosses communes, les morgues débordées, oubliées.

A contrario, en France en mars 2020, les restrictions de sorties ont pu être accueillies avec soulagement face à une situation d’urgence communément partagée : enfin, la santé de toustes devenait la priorité de l’État. Les travailleureuses dites « de première ligne » faisaient figure de chair à virus, sacrifiée pour que les fonctions essentielles ne s’effondrent pas. Iels y ont payé un lourd tribut en décès : les nécrologies d’Aïcha Issadounène, caissière de supermarché, de Jean-Jacques Razafindranazy, médecin hospitalier, ou des vingt parents d’élèves d’un lycée de Seine-Saint-Denis faisaient très justement la Une. De fait, les confinements ont sauvé de nombreuses vies : les pays qui ont appliqué les règles les plus strictes en début de pandémie sont non seulement ceux qui ont connu le moins de décès, mais aussi ceux pour qui la reprise économique a été la plus rapide [3].

Or, à gauche, la critique s’est au mieux concentrée sur les effets sociaux des confinements, sans aucun égard pour leur efficacité sanitaire. Au pire, elle s’est purement et simplement égarée dans le complotisme qui faisait du Covid le prétexte à une expérience autoritaire de masse. La mémoire des confinements a été réduite à une lecture monolithique qui en fait un événement terminé et décorrélé de l’urgence sanitaire voire de l’idée même de pandémie. En 2025, c’est un récit apocalyptique qui domine : le confinement n’aurait été qu’obéissance, enfermement, souffrance psychique et perte de chances pour les jeunes valides « privé’es de jeunesse » le temps de quelques mois. Dans la presse, un curieux réflexe s’est imposé : toutes les dégradations sociales, économiques ou sanitaires qui ont lieu depuis 2020 auraient été causées par les confinements. L’appauvrissement des étudiant’es ? La faute au confinement. La hausse de la mortalité infantile ? La faute au confinement. L’envolée des prix de l’immobilier en Bretagne ? La faute au confinement. Le retard à la marche de bébés né’es 3 ans plus tard ? Le confinement. Les maladies constantes d’enfants sans cesse réinfecté’es au Covid ? Confinement ! Les idées dépressives des jeunes dans un monde où le fascisme se banalise autant que les canicules ? Con-fi-ne-ment [4] ! Nul besoin d’en apporter la preuve, il suffit de l’écrire et la répétition se charge d’établir la causalité. Et ce ressassement d’allégations farfelues finit par former un récit cohérent, hégémonique.

Exit les récits de personnes qui disaient en 2020-2021 en avoir profité pour ralentir (pour une fois que la machine capitaliste se trouvait un peu enrayée !), pour prendre soin d’elles et pour s’interroger sur leur avenir. À vrai dire, nous nous serions volontiers passé’es, à l’époque, des mille « journaux intimes du confinement » de bourgeois’es en quarantaine dans leurs maisons secondaires avec jardin. Nous aurions d’ailleurs aimé que se trouvent analysées avec davantage d’entrain les inégalités dans l’accès au confinement ou au télétravail, et dans leurs modalités concrètes. Mais nous n’avons pas pour autant oublié combien ils ont nourri l’imaginaire positif d’un « monde d’après », au sein duquel l’organisation sociale se trouverait entièrement repensée, où les métiers du soin, de l’enseignement, de la propreté, de la logistique, se trouveraient revalorisés. Les confinements se sont présentés, au sein des milieux militants et associatifs, comme l’occasion de mettre en pratique à un niveau plus large l’autogestion et les solidarités de terrain, à travers les maraudes, les dons de nourriture, l’artisanat collectif des premiers masques en tissu. Cette entraide organisée par en bas visait précisément à lutter contre les inégalités aggravées autant par le virus que par la réponse étatique. Les populations racisées et celles des quartiers populaires se trouvaient en effet bien plus contraintes dans les déplacements et les achats de subsistance, car ciblées par les contrôles policiers des auto-attestations ou du contenu des paniers de course. Quant aux travailleureuses du sexe, aux personnes vivant de petits boulots et aux SDF, iels se retrouvaient sans aucune ressource et encore plus exposé’es à l’arbitraire policier.

Ces épisodes de décroissance capitaliste forcée ont constitué pour beaucoup une occasion de se mettre au rythme du crip time [5], avant que tout ne reparte très vite à un rythme effréné. Une occasion manquée de ralentir vraiment, comme le relate le militant handi autonomiste Zig Blanquer [6] : « Le confinement a été, pour prendre une expression vitaliste, une expérience quasiment “harmonieuse” pour moi. Tout mon entourage, majoritairement valide, était à une temporalité quasiment handie. Avec les éléments anticapitalistes de beaucoup moins travailler, de travailler à domicile, de prendre vraiment le temps de vivre. Pour pas mal de personnes, il y a eu des situations difficiles de déchéance psychique. Mais j’ai vu aussi beaucoup de potes prendre soin d’elleux et aller mieux. Comme il y avait moins de productivisme, il y avait davantage de façon d’être dans les relations, d’être dans le care les un’es avec les autres. J’ai vécu le confinement avec du stress politisé, vis-à-vis du contrôle policier et des inégalités, mais au niveau collectif, je me suis senti beaucoup mieux, beaucoup plus avoir le temps de vivre. L’hécatombe, pour moi, ça a été quand la fin du second confinement a répandu ce “il faut vivre” : on peut retourner à des concerts, au cinéma, à des soirées, faire la fête. Dans les milieux handis, avec l’idée qu’une vie d’handi’e ou de malade chronique peut être courte, ça a donné lieu à une sorte de relapse [7]. Ça, ça a vraiment été très décevant. »

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Le pilote à tête de cochon de Porco Rosso lève le pousse en l’air dans son avion. Il porte un masque FFP2 rouge. Derrière lui, dans le ciel, des nuages forment les mots en anglais : « Better a Freak than a Eugenicist » (« Mieux vaut un freak qu’un eugéniste »).

Les nouveaux habits validistes de l’anti-autoritarisme

L’absurdité des consignes de « prévention » mises en place de manière autoritaire par le gouvernement n’a en réalité pas tant été à trouver dans les confinements, que dans la succession de mesures visant à la reprise de l’économie et du travail, décidées en dépit des connaissances scientifiques et des libertés publiques. D’abord les couvre-feux, où l’on était libre de se contaminer au travail ou à l’école, mais pas dehors passée une certaine heure, et qui transformaient les transports en commun ou les espaces de consommation en clusters quotidiens. Mais aussi les centres de dépistage massifs comme celui du Palais des Sports de Gerland à Lyon, immense bâtiment fermé où l’on envoyait des centaines de personnes se contaminer lors de leur prise en charge. Ou encore, le fait de permettre la consommation dans les bars du moment que l’on était assis’e, car ce virus-là, dans l’esprit des bureaucrates de la start-up nation, ne circulait que si l’on se tenait debout. On peut enfin penser aux revirements constants sur le masque, dont l’État a déconseillé l’usage, qualifié d’inutile en direct de l’Élysée par un ministre de la santé, avant de le rendre obligatoire dans les espaces publics extérieurs - sans jamais, bien entendu, conseiller la population sur les seuls masques efficaces que sont les FFP2. Le grotesque de ces mesures écornait sérieusement la politique sanitaire gouvernementale lors de leur mise en place, et pourtant ce ne sont pas elles qui se trouvent aujourd’hui pointées du doigt pour leur parfaite inutilité. À la perception de la pandémie telle qu’elle s’est réellement passée dans ses premiers mois s’est substituée sa reconstruction rétroactive, pour légitimer l’abandon collectif de toute prévention. Car au fond, ce qui est critiqué est moins l’absurdité ou l’autoritarisme des mesures, que le fait qu’elles aient contraint les valides à faire attention aux autres durant quelques mois en réduisant leurs activités.

Ces cinq dernières années ont été l’occasion de voir s’imposer un eugénisme hégémonique et un fascisme anti-science. Derrière la désinformation et le refuge très rapide dans des médecines alternatives, se sont construits des réseaux militants influents rassemblant politiques, médecins radiés, et personnalités associatives de droite comme de gauche. Dans les positions les plus radicalement opposées à la santé publique, la crispation s’est concentrée sur la vaccination et sa centralité dans la politique sanitaire du gouvernement (notamment les restrictions d’accès liées au passe sanitaire). Mais l’opposition à la prévention s’est aussi appuyée sur le relativisme propagé par les institutions de santé elles-mêmes, qui alternaient entre déclarations alarmistes et minimisation éhontée de la dangerosité du virus. La singularité de la pandémie à cet égard a été de créer des ponts entre mouvements anti-sciences de gauche (écologistes notamment) et d’extrême-droite (religieuse, anti-IVG). Les différents réseaux et collectifs (des plus célèbres comme Réinfocovid en passant par le Conseil Scientifique Indépendant ou le collectif de soignant’es C19) ont permis d’organiser la rencontre de personnalités parfois très antagonistes, désormais réunies par le refus de la vaccination et la critique de la médecine fondée sur les preuves. Dans des milieux antivax anciens et structurés [8], le Covid est apparu comme une opportunité inespérée pour gagner de l’audience auprès d’une population inquiète pour sa santé. L’apparition du Sars-Cov-2 et son traitement politique tordant le cou au consensus scientifique sont aussi venu fournir du carburant à des courants ésotériques qui ont fait de la santé un terrain de conquête porteur. La montée en puissance de la réticence vaccinale et des médecines ésotériques, mais aussi la visibilité médiatique de charlatans dont l’archétype est Didier Raoult [9] ont constitué une figure bien pratique pour les covido-relativistes. Une fois ces positions qualifiées de mensongères ou de dangereuses, il devenait ainsi possible de promouvoir l’infection de masse et de faire passer pour des positions raisonnables l’idée que la pandémie était terminée ou celle que le Covid ne présenterait des risques que pour certaines populations vulnérables.

Victime de ces tractations politiques autour de la représentation de la pandémie, le masque s’est trouvé totalement diabolisé. Il suffit de constater les réactions violentes, moqueuses ou même simplement interrogatives lorsqu’on en porte encore un. Même dans nos espaces politiques, celles-ci sont assez courantes. Mais le plus fréquent reste une réticence, parfois totale, au port du masque - y compris quand il est demandé dans une démarche explicite. Il s’agit là d’un retournement intellectuel, malhonnête mais largement partagé, qui a progressivement transformé un outil de soin et de protection mutuelle en symbole d’oppression. C’est ainsi qu’on peut entendre régulièrement des personnes rappeler à quel point les masques sont désagréables, en les qualifiant, au choix, de muselières à sourire ou de vestiges de 2020. Certain’es vont jusqu’à prétendre se sentir exclu’es des très rares temps collectifs où le port du masque est demandé, dans un égoïsme de dominant’e si fragile, refusant de voir que l’exclusion bien réelle est celle des personnes qui ne peuvent toujours pas prendre le risque de participer à l’écrasante majorité des évènements sans réduction des risques. Le refus du port du masque se trouve toujours présenté comme un acte de rébellion et son port comme une soumission à l’ordre établi, alors même que tant l’État que la majorité de la population a totalement abandonné cet outil depuis trois ans. Quelle meilleure démonstration que la critique du masque, à gauche et chez les libertaires, était moins celle du gouvernement ou de l’État, comme des « camarades » le prétendent souvent, mais bien celui de la protection mutuelle. Sinon, comment expliquer que la critique de l’État disparaisse quand on est d’accord avec lui ? Comment expliquer que plus personne ou presque ne pense à se tester lorsqu’atteint’e d’une proverbiale « grosse crève » ? Comment justifier que l’attention à ne pas contaminer soit ouvertement refusée dans des espaces en théorie très attentifs aux plus vulnérables ? Au fond, avec l’oubli du Covid, c’est la possibilité même de penser la santé publique en dehors du couple État/individu qui semble avoir bu la tasse.

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Dessin d’un masque FFP2 entouré de cinq bougies, mais aussi de deux particules virales de SARS-CoV-2, d’une cassette de test covid, d’une auto-attestation de sortie et d’une seringue de vaccin.

Cinq ans d’autodéfense sanitaire

Nous avons célébré une chose, de notre côté : cinq ans de construction de l’autodéfense sanitaire. Cinq ans de deuils, de colère, de tristesse, c’est indéniable et épuisant. Cinq ans à voir les camarades nous abandonner les unes après les autres, la santé des gens autour de nous se dégrader, le discours antivax et les traitements pseudo-médicaux s’imposer. Mais aussi cinq ans de nouveaux liens, de nouvelles pratiques, de nouveaux savoirs pour comprendre le monde où nous vivons, ce que le Sars-Cov-2 y a profondément modifié, et comment l’appréhender. Cinq ans, pour les handi’es et les malades chroniques parmi nous, à transmettre les outils forgés au fil de décennies de luttes. Cinq ans, pour les valides parmi nous, à se former à l’antivalidisme. Cinq ans, pour toustes, à s’approprier la veille scientifique et médicale, à développer une expertise collective dans un domaine inédit, à façonner des manières de travailler ensemble, à s’entraider. Cinq ans à nous adapter, à savoir que nous avons la force de déjouer les normes imposées, de refuser le déni et de combattre l’eugénisme. Cinq ans à trouver des repères stables pour nous orienter. Cinq ans d’inventivité, de détermination, de soirées magnifiques où le virus n’est pas autorisé à circuler, de rencontres inespérées, de dialogues inattendus. Cinq ans à bâtir les communautés dont nous savons que tout le monde aura besoin demain, le mois prochain, dans cinq ans, pour survivre à cette pandémie, à une autre, au changement climatique, au fascisme. Cinq ans à préserver chaque jour des vies, les nôtres, celles de nos proches, celles d’inconnu’es, envers et contre tout.

L’anti-commémoration des cinq ans du Covid a servi à entériner le déni de la pandémie comme histoire officielle. Ce faisant, l’opinion dominante a accepté un pacte faustien : revenir à une illusion de normalité en abandonnant toute idée du « monde d’après ». Le tour de passe-passe a consisté à troquer un « après< » subversif pour un autre, illusoire : accepter qu’il ne puisse pas y avoir un « après » le capitalisme et recevoir en échange la fausse promesse d’un « après » le Covid. Chaque refus de réduction des risques Covid manifeste en réalité le renoncement à tout changement radical. Ce ne sont pas les cinq ans de la lutte contre le virus que les médias ont célébré. Ce sont les cinq ans d’une acceptation massive de ne pas modifier le cours capitaliste des choses, en tous cas pas tout de suite, pas aussi fortement, alors même qu’une énième alerte, plus virulente que les précédentes, venait signaler l’impérieuse nécessité de le faire. Ce sont les cinq ans du choix de la fascisation plutôt que de la communisation. D’autres alertes ont suivi, elles s’accélèrent. Réagir à chacune par un déni plus violent, par des concessions plus graves, ne prépare en rien le basculement nécessaire. Nous n’avons jamais cessé de rêver, de notre côté, à l’utopie du monde d’après. Nous tentons de la mettre en œuvre dès maintenant, chaque jour, à travers mille gestes. Nous ne cèderons rien sur ce rêve-là - et nous espérons que de plus en plus de personnes le partageront de nouveau avec nous.

Les Canards Masquées est un groupe d’autodéfense sanitaire composé de palmipèdes handi·es et valides qui luttent pour des futurs antivalidistes.

Notes

[1Depuis la fin du recensement des tests positifs SI-DEP, l’indicateur le plus fiable de circulation virale est la présence du virus dans les déjections humaines, que l’on mesure dans les eaux usées. Il est en général actualisé chaque mercredi soir et on peut le suivre ici ou .

[2Pour celleux qui ont le courage de cette lecture, voir par exemple l’article de Théo Boulakia et Nicolas Mariot pour Le Monde diplomatique : « Le confinement, de l’obéissance au silence ». Il est aussi possible de lire les consternantes analyses de Lundi Matin, de Mediapart de Blast, parmi bien d’autres.

[3Wu S, Neill R, De Foo C, Chua AQ, Jung AS, Haldane V, Abdalla SM, Guan WJ, Singh S, Nordström A, Legido-Quigley H. « Aggressive containment, suppression, and mitigation of covid-19 : lessons learnt from eight countries ». BMJ. 2021 Nov 28 ;375:e067508. doi : 10.1136/bmj-2021-067508. PMID : 34840136 ; PMCID : PMC8624062.

[4Tous ces exemples sont tirés de vrais articles de presse, on vous laisse le plaisir de les retrouver.

[5Le crip time est une expression de la culture handie qui signifie littéralement « la temporalité des estropié’es », un rythme adapté au handicap et à la maladie, où l’on inclut le repos, le fractionnement des tâches, la décélération.

[7Le terme relapse fait référence à la mise à distance des « contraintes » imposées par la prévention contre le VIH : « Le relapse décrit une baisse de vigilance face au sida, un relâchement des comportements de prévention qui peut être lié à la lassitude du préservatif, à une ignorance des modes de transmission ou au fait, surtout pour une nouvelle génération de gays, que l’on se sente peu concerné par le VIH. Le relapse est affaire de pratiques, souvent inconscientes. » (Jérôme Martin, 2002, « Sida : pour une sexualité responsable » Revue Mouvements, n°20)

[8Voir par exemple les présentations de l’ouvrage Antivax. La résistance aux vaccins du XVIIIe siècle à nos jours dans les revues Mutations ou La Cliothèque. Voir aussi le documentaire « Antivax - Les marchands de doute » de Marc Garmirian et Lise Barnéoud (journaliste qui s’est par ailleurs distinguée par ses écrits confus sur Mediapart au sujet des « microbes » (en confondant volontairement bactéries (fromagères) et virus) et de la vaccination des enfants (présentée comme ayant un bénéfice risque négatif, ce que contredit l’état des connaissances scientifiques).

[9Didier Raoult dont on rappellera qu’il figura un temps au premier rang des interlocuteurs d’Emmanuel Macron sur le sujet Covid.

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