Chez les Canards masquées, on aime les médias indépendants. On s’y informe, on y contribue, ils font partie de notre écosystème politique et social. « Ne haïssez pas les médias, soyez les médias », vous vous souvenez ? Slogan de la toute fin du siècle dernier, quand la plateforme Indymedia se lançait pour amplifier les luttes anticapitalistes. Sans réappropriation des canaux d’information, pas de justice sociale : le récit dominant se déroule sans accrocs. En voyant le Covid débarquer un quart de siècle plus tard, les morts s’accumuler, les séquelles se multiplier, le droit à la santé se dégrader, l’eugénisme dégouliner à pleins tubes cathodiques pour justifier cette nouvelle normalité, on a sorti les micros et fait chauffer les claviers pour informer, alerter, mobiliser. Et on a cherché compulsivement chez les camarades tout ce qui pourrait soutenir l’autodéfense sanitaire, le moindre signe d’un engagement de leur part. Résultats ? Nos papiers ont été refusés tandis qu’on a pu lire ici et là les différentes manières de rater tout traitement critique de la pandémie. Mais aucune approche de santé communautaire qui prenne en compte l’autodéfense sanitaire.
Nos canards indépendants se sont tus très longuement sur ce sujet (quelques années pour certains), puis ont sagement choisi la docilité, adoptant un point de vue eugéniste, mais dans un style rebelle s’il vous plaît. Hormis le style, ils sont désormais d’accord avec l’État en tous points : les masques ne servent à rien ou alors seulement pour « les fragiles », pareil pour les vaccins, et puis d’ailleurs le Covid c’est fini. L’antivalidisme est resté un vain mot, finalement très secondaire, quand le mettre en pratique est devenu fatiguant. C’était trop en demander à la gauche révolutionnaire. Il y a bien eu quelques spécialisations dans la docilité. La branche écolo (Reporterre, Terrestre, Silence), fermement décidée à poursuivre le naufrage réactionnaire des antitechs, a opté sans surprise pour jeter l’un des rares outils de réduction des risques, le vaccin, avec l’eau de l’industrie pharmaceutique. La branche liberté-chérie (Lundi Matin, Le Postillon, Radio libertaire) a exploité avec une ardeur nouvelle son anti-autoritarisme de façade pour étriller toute idée de santé publique et s’asseoir bien confortablement dans son trône de privilèges cis, blancs, valides. La branche critique sociale mais pas trop (CQFD, La Brique) a trouvé tout ça vraiment trop compliqué. La branche mainstream (Mediapart, Le Monde diplo, Blast) a mené des enquêtes très fouillées qui retombaient infailliblement sur les conclusions mille fois débunkées des covidonégationnistes. Derrière ces nuances de façade, tout le monde travaillait fermement à conceptualiser son eugénisme.
Un malheur n’arrivant jamais seul, non seulement la presse indé n’écrivait rien mais les articles les plus pertinents se trouvaient dans la presse financière. Forbes a relayé régulièrement des études scientifiques sur les effets à court et long terme du Covid. Les Échos titrait en 2022 « Le Covid long ne fait pas bon ménage avec l’économie ». Le Financial Times assure 4 ans après le surgissement du Covid une des veilles les plus qualitatives sur le sujet et s’inquiète de l’émergence possible d’une autre pandémie. La presse financière ne déroge pas à son angle traditionnel : les bénéfices et pertes économiques lui importent plus que les inégalités et la solidarité. D’abord, les riches s’inquiètent de leur propre santé : iels sécurisent leurs sommets économiques, leurs meetings politiques, leurs tournées et tournages. Ensuite, iels s’inquiètent de la disparition de la main d’œuvre : la mort et le handicap de celles et ceux qui produisent réellement les richesses nuisent à l’économie. Ce qui préoccupe véritablement le Financial Time, c’est de voir les marges s’étioler en même temps que les arrêts maladie grimpent.
Heureusement, on a pu compter sur quelques rares bons papiers de camarades pour trouver des bouffées d’oxygène et de convergence militante. Mia Mingus, organisatrice communautaire de la lutte antivalidiste, a inlassablement dénoncé le suprémacisme valide et l’eugénisme des « morts acceptables ». L’écrivain-e handi-e Leah Lakshmi Piepzna-Samarasinha a rappelé comment la population handie était habituée à des restrictions quotidiennes dans une société validiste et disposait plus de ressources communautaires que de vulnérabilité. Récemment est sorti le magnifique numéro 94 de la revue Multitudes autour du thème « Justice handie pour des futurs dévalidés ». Julia Doubleday, militante écologiste, a lancé son blog The Gauntlet en 2022 pour promouvoir l’autodéfense sanitaire et éreinter le traitement politique, social, médiatique et médical de la pandémie. Le journaliste scientifique britannique Ed Young n’a jamais failli à alerter sur les risques et les vies qui basculent suite à une infection et un Covid Long. Dans le monde francophone, Jef Klak a publié des papiers salvateurs dans un contexte de déni. Enfin, les multiples médias relayés et traduits sur la plateforme de Cabrioles, nous ont permis de nous orienter dans un brouillard médiatique et militant de plus en plus fascisant. Camarades canards, il n’est jamais trop tard pour développer votre mordant.
Les Canards Masquées est un groupe d’autodéfense sanitaire composé de palmipèdes handi·es et valides qui luttent pour des futurs antivalidistes.
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