A Romans-Sur-Isère, la police tue, encore.

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Le matin du dimanche 15 février, dans le quartier populaire dont le triste nom, « la Monnaie », est bien connu des services de sécurité publique, deux jeunes de 14 ans circulent à bord d’une voiture volée. Ils aperçoivent la police et prennent peur, évidemment. Ils tentent de s’échapper et perdent le contrôle du véhicule. Le conducteur est tué, le passager blessé.
Un scénario banal dans ce pays, et particulièrement dans notre ville, où en 2008 déjà, un jeune de 15 ans était mort en voiture dans ce même quartier, en essayant d’échapper à la police.

Pourquoi a-t-on peur lorsqu’on voit la police ? Parce qu’elle fait très bien son travail. La police française est d’ailleurs réputée dans le monde entier pour son savoir faire, qu’elle exporte avec autant d’enthousiasme que ses armes. Et le travail de la police, c’est toujours, finalement de nous faire peur. Tous les citoyens ont toujours, plus ou moins profondément, peur de la police. Les campagnes de communication, sur les bons policiers, à grands coups d’affiches ou de séries télés, ne sont que le complément fantasmatique d’un réalité toujours terrorisante. Fasciner et terroriser, voilà à quoi se réduit le rôle du policier dans les histoires d’enfants, et dans l’Histoire.

Ces deux jeunes sont morts parce qu’un contrôle de police, on ne sait jamais comment cela se termine, surtout quand on vient d’un quartier populaire et qu’on a la peau mate, surtout par les temps qui courent où la chasse à l’homme a été déclarée priorité nationale. Ils ont eu peur parce que la police assassine régulièrement, en toute logique et en toute légalité. Il n’y a aucun paradoxe ici, aucune bavure, ce que rappelle d’ailleurs la justice aux citoyens naïfs qui auraient oublié les règles du jeu, en assurant systématiquement l’impunité aux policiers qui tuent, directement ou non. Faut-il rappeler le nombre de personnes mortes d’avoir eu peur à la vue de la police, en se jetant dans le vide ou dans l’eau, à différentes époques de l’histoire de France ?

Lors de la séquence Charlie Hebdo, des milliers de personnes se sont mobilisées à Romans. Lorsque Rémi Fraisse a été tué par la gendarmerie, lorsqu’un jeune est mort de peur à cause de la police, quasiment personne n’a bougé. Une « marche blanche » a eu lieu, qui est venue canaliser l’émotion et dépolitiser la situation. Le rituel est maintenant bien rôdé, au gré des victimes de la police, il s’exporte de quartiers en quartiers. La marche a été soigneusement enfermée dans les blocs, comme les gens qui y vivent, pour que rien ne se voit dans le joli centre-ville, même les flux de la circulation périphérique n’ont pas été dérangés. Personne n’a rien vu, rien senti, l’événement est nié, à la racine même. La police en civil était là comme d’habitude, on tolère la mort au cœur de la marche. Des voitures banalisées rôdaient dans les rues adjacentes, comme des vautours : la douleur à vif ne les détourne pas de leur tache.
Le commissariat lui, dans le centre, était lâchement gardé par des dizaines de cowboys sur-armés, exhibant leurs gros calibres au nez des enfants. Faut dire qu’à Romans, les poulets ont sérieusement peur du quartier, et pour cause. Lors des mêmes événements, en 2008, le maintien de l’ordre a eu un temps de retard, une manif sauvage est descendue immédiatement du quartier, a traversé la ville dans un violent bordel pour débouler sur le commissariat, et tirer à balles réelles sur les véhicules de police. Leurs propriétaires, moins fiers que d’habitude, s’étaient réfugiés au plus profond de leur sale terrier pour attendre les renforts. L’un d’eux a même pris du plomb dans la jambe ! La réaction n’a pas tardé : un hélico a rappelé l’état de guerre dans lequel on vit, toute la ville a été saturée par les forces de l’ordre, le moindre rassemblement de plus de trois personnes était contrôlé – la casbah.

Sept ans plus tard, pas d’explosion d’ampleur. Progrès du maintien de l’ordre, ou de l’intelligence diffuse, car ça non plus, ça ne suffit pas à faire avancer la situation.
Par contre, cette fois encore, on a eu droit aux discours moralisateurs des grands-frères et autres animateurs-médiateurs des quartiers. Toujours le même baratin, sur les jeunes qui font des conneries, mais qu’on aime quand même, et que Dieu les bénissent, ça coûte rien. Ces gens passent pour des personnes responsables aux yeux des autorités, pour nous c’est des clowns, responsables oui, du merdier dans lequel on dégénère depuis 40 ans qu’ils jouent au foot au milieu des murs repeints chaque année.
Il faut faire attention à nos vies, qu’ils disent. Faudrait commencer par montrer l’exemple, faire honneur à la vie qui nous a été donnée, ce n’est certainement pas vivre à genoux, dire merci aux maîtres quand ils daignent nous jeter des miettes. Avec des grands-frères soumis comme modèles, on risque pas de s’identifier et de filer droit à l’abattoir.

Bien sûr qu’il faut faire attention à nos vies. Mais quelles vies ? C’est l’autre question centrale. C’est quoi une vie qui vaut la peine ? C’est la jouer perso, faire des études débiles, pour espérer marcher sur la tête de son voisin, et tenter d’accéder au salariat, forme aboutie de l’asservissement ? Se tordre le corps pour gagner du fric, et le claquer dans la consommation ? Ou crever la gueule ouverte en attendant le RSA, prendre des cachetons ou du shit, pourrir devant la télé, fuir sur internet ou sombrer dans la religion ? Voilà les perspectives quand on fait pas de conneries. Désolé, mais on aspire à mieux.
Tant que l’avenir sera aussi terne, il y aura des pétages de câbles. Ce que vous appelez des conneries de jeunes sont le signe d’une vitalité incompressible dans les mâchoires du système.

Il y a sept ans, la victime s’appelait Iliès, cette année, c’est Eliès. 15 ans, 14 ans. Dieu ne joue pas aux dés, cette histoire est politique. S’indigner, c’est refuser de comprendre et toujours attendre, s’organiser est autrement plus courageux, difficile et réjouissant.

1000communes [chez] riseup.net

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