Ces meurtres donnent lieu à une « affaire » lorsque les Comités Vérité et Justice, la famille, les ami·e·s, les proches, la rue se mobilisent et réclament justice. Et on rend hommage au disparu au gré de marches blanches ou d’émeutes contre la police. Mais le scénario est écrit d’avance : de la même manière que la police protège l’État, les juges protègent la police. Des « peines » ridicules et la majorité du temps, des classements sans suite, des non-lieux, des relaxes ou des acquittements ne font que rajouter une couche d’injustice au crime en lui-même.
Suite à la mise à mort de George Floyd aux États-Unis, c’est un mouvement sans précédent qui a poussé Donald Trump à se réfugier dans le bunker de la maison blanche et qui a conduit à l’arrestation et à l’inculpation des quatre policiers (et à la qualification des faits en homicide involontaire puis en meurtre). Un mouvement comme il n’y en avait pas eu depuis les émeutes de Los Angeles de 1992 [1].
Des métropoles qui s’embrasent, des manifestations monstres, rassemblant plusieurs dizaines de milliers de personnes, avec des moyens d’action multiples (du genou à terre à l’incendie du commissariat de Minneapolis en passant par l’émeute et le pillage/redistribution) et qui sont parvenues à instaurer un rapport de force historique. Cela se ressent jusqu’ici où l’espace médiatique est temporairement saturé de discours sur les violences policières et le racisme [2].
À Minneapolis, le conseil municipal envisage de dissoudre la police et de repenser un autre système pour « protéger la communauté ». À Seattle, une « zone autonome sans police » est décrétée par les manifestants, les flics ont évacué le commissariat local et des distributions gratuites de nourriture, de masques et de livres sont organisées. C’est bien le moins qu’on puisse faire : ces affaires ne sont pas des meurtres isolés commis par des policiers un peu plus racistes que les autres [3] et qui devraient se résoudre de manière individuelle. Ces assassinats sont l’expression de tout un système qu’il s’agit de mettre à bas. Et remplacer les clefs d’étranglement par des tasers (responsables de plus d’un millier de morts aux États-Unis depuis 2001), comme l’a proposé Christophe Castaner, ne suffira sans doute pas à réconcilier la police avec « sa » population.
Dans ce contexte, quelles perspectives avons-nous ? Il y a eu la manif massive du 2 juin [4] (et celles qui ont suivi partout ailleurs) à l’appel du Comité Adama qui a réuni à Paris des dizaines de milliers de personnes – ce qui n’est jamais arrivé en France. Au-delà de ces mobilisations, les États-Unis peuvent nous inspirer avec le mot d’ordre #abolishthepolice et le mot d’ordre defund, disarm, disband (qu’on peut traduire par couper les fonds, désarmer, démanteler la police). L’idée d’un futur sans police n’est pas nouvelle, elle n’a pas toujours existé. Cette perspective est sans doute vitale pour un bon nombre d’Afro-Américains. Plusieurs collectifs s’organisent autour de ces idées là-bas ou ont tenté des expériences de « sécurité » communautaire [5]. On sait bien que la police n’empêche pas la violence, elle-même étant intrinsèquement violente et que les diverses réformes n’y changent rien. L’équipe de policiers impliqués dans la mort de George Floyd avait reçu des formations sur les « biais raciaux implicites », sur les « techniques de désescalade », ils portaient des go-pro et étaient formés à intervenir en « cas d’usage de la force impropre [de leurs collègues] ». Tout ceci n’a fait aucune différence et George Floyd a été privé d’air pendant plus de huit minutes, jusqu’à ce que mort s’en suive. Et les deux flics qui ont assassiné Rayshard Brooks à Atlanta de trois balles dans le dos quelques semaines plus tard étaient équipés de tasers.
Il est temps d’imaginer autre chose. Non pas de nouveaux jouets pour la police mais un monde sans police. C’est-à-dire un monde dans lequel toutes les situations où nous recourons d’ordinaire aux forces de l’ordre seraient prises en charge, à la base, collectivement. Où les conflits, leur résolution et la question de l’auto-défense seraient assumées ensemble. Ce qui est déjà le cas dans certaines communautés, dans certaines parties du monde, malgré la complexité de la tâche qui aboutit aussi à des échecs. Des exemples existent, qu’ils aient été fructueux ou non, notamment dans des collectifs féministes locaux, à la ZAD de Notre-Dame-Des-Landes, au Chiapas (Mexique), au Rojava, dans la Capitol Hill Autonomous Zone (Seattle). Ces expériences montrent que pour se passer de la police, il faut s’organiser localement à partir de ce qui nous anime, de ce qu’on vit en commun. Symétriquement, élaborer à partir de nos différends et de nos embrouilles peut constituer un puissant outil pour la construction du commun. Il y a du taf [6] . La vague de protestation actuelle nous donne l’impulsion. Depuis Minneapolis elle a même simplifié l’équation : démanteler la police, s’en passer ou s’en débarrasser dans nos vies semble être la seule option enviable et réaliste.
La Caisse de Solidarité
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