Courant Alternatif : « Ne laissons pas faire ! »

1298 visites
1 complément

Chacun a sa place et les vaches seront bien gardées… C’est dans cet esprit que des milliardaires se sont lancés depuis dix ans dans un nouveau type de philanthropie, à travers les « fonds d’investissement ». Bill Gates (fondateur de Microsoft), M. Bloomberg (patron de presse et maire de New York) et T. Turner (créateur de CNN) mènent en effet campagne sur ce thème auprès de leurs pairs - par le biais du magazine en ligne Slate et de la Fondation Bill Clinton - pour les pousser à se montrer charitables.

JPEG - 26.4 ko

L’idée a gagné en France, où on voit à présent des riches lâcher des sommes considérables à destination des pauvres, afin d’investir dans des “quartiers sensibles”, de venir en aide à des handicapés ou de financer quelque ONG. Pourquoi tant de bonté ? se demandera-t-on perversement. Parce que la fiscalité y incite, bien sûr ; à cause de quelques cas de conscience, peut-être, face aux immenses inégalités sociales… Mais, sans nul doute surtout, comme le reconnaît ouvertement D. Pineau-Valencienne (cet ancien P-DG de Schneider que deux semaines passées derrière les barreaux en 1996 ont paraît-il convaincu de porter secours aux prisonniers), « parce que ne pas partager la richesse nous expose à des incendies ».

Rassurons-nous, non seulement ces sommes lâchées représentent moins que rien pour de telles fortunes, mais elles ne le sont pas gratuitement. L’irrépressible désir de bienfaisance manifesté ici est étroitement balisé par les critères d’efficacité, de rentabilité et de retour sur l’investissement. Dans cette optique, plutôt que de financer directement des hôpitaux et des fondations de recherche, les "philanthropes entrepreneurs" créent des fonds chargés de de le faire. Pas bête, hein ? car ces fonds (mis au point par des spécialistes du capital-risque de la Silicon Valley) permettent aux généreux donateurs à la fois de ne courir aucun risque financier et de figurer au palmarès des "top givers" de Business Week ou à celui de Slate 60. Revue selon laquelle, si les 60 premiers de sa liste en 2005 ont donné trois fois plus d’argent (4,3 milliards de dollars) que ceux de 1996, c’est « parce que les riches deviennent de plus en plus riches ». On ajoutera que la pub faite autour de leurs largesses est d’un profit plus que parfait.

Franck Riboud, PDG de Danone, vient pour sa part de lancer - avec la Gramen Bank (ou "banque des pauvres") du Bangladais M. Yunus, Prix Nobel de la paix 2006 et spécialiste de la microfinance - un fonds destiné à développer dans les pays pauvres des entreprises liées de près ou de loin aux activités de son groupe. Ces entreprises doivent avoir « vocation à être rentables », mais, assure-t-il, leur « ambition principale est la maximisation d’objectifs sociaux ou sociétaux et non la maximisation de leurs profits ». Ainsi vont être construites au Bangladesh 50 usines - dont le nouveau commercial Zidane a inauguré la première - pour produire des yaourts bon marché. Les deux actionnaires actuels ne toucheront, nous dit-on, que 1 % des dividendes, le reste allant à la construction d’autres usines. Danone se désengagera ensuite de l’opération ; et le fonds "Danone-communities" sera financé plus largement, par une partie des dividences versés aux actionnaires, par l’épargne salariale… et peut-être même par les consommateurs !

Riboud admet lui aussi sans fard que son initiative est commerciale et stratégique. Il s’agit d’adapter le double "projet économique et social" qu’avait déjà son papa "à l’heure de la mondialisation" ; et « d’apporter la santé par la nutrition au plus grand nombre » tout en maximisant les profits, « donc que ceux-ci soient les meilleurs possibles ». Un objectif qui, dans la bouche d’un « communiquant » du groupe agro-alimentaire, est « résumé » par la représentation de la population sous la forme d’une pyramide à 5 niveaux dont les A, B et C sont « déjà atteints », et les D et E le seront bientôt puisque Danone va « pouvoir leur proposer des produits ».

Ces « innovations » caritatives montrent à quel point le patronat se sent aujourd’hui fort - fort de ses richesses accumulées (en entreprises et en salarié-e-s comme en biens), mais aussi de l’impact idéologique qu’il a sur les populations (voir notamment, dans ce numéro, p. 13). La propagande déversée en continu par les médias vise l’adhésion au système, en donnant l’illusion de pouvoir décider de l’avenir (grâce au vote électoral, voir p. 4), sur le plan individuel sinon social ; et de pouvoir jouir, même de façon infinitésimale, des "bienfaits" de la société existante (grâce au crédit d’achat, à la participation salariale…) quand on est un-e bon-ne citoyen-ne, c’est-à-dire travailleur-électeur coopératif. Pour les autres, c’est la charité s’ils-elles se tiennent à carreau, la répression s’ils-elles ne le font pas (voir pp. 7 et 11). Surtout s’ils-elles sont étrangers (voir p. 9). Et ce programme est le même partout dans le monde (voir p. 15).

Contre un tel cynisme tranquille, une seule réponse :
« Ne laissons pas faire ! »

- Comment aider, soutenir le mensuel ?

P.-S.

Courant Alternatif, le mensuel de l’ Organisation Communiste Libertaire est désormais disponible en kiosque ou directement à :

OCL - c/o Egregore - B.P. 1213 - 51058 Reims Cedex

Courriel : oclibertaire(a)hotmail.com


*** Au sommaire du N° 166 de Février 2007

Édito : « Ne laissons pas faire ! »
SOCIAL
De l’ordre juste à l’effort récompensé
L’automédication, une source de profit pour les lobbies pharmaceutiques
Thomé-Génot (suite et pas fin)
Aide au séjour irrégulier : priver les sans-papiers de leur soutien ?
POLITIQUECURITAIRE
Procès pour résister en photographiant
Rubrique Big Brother
CONTRÔLE DE LA PENSÉE
Du populisme bien compris
SANS FRONTIÈRE
Oaxaca, la commune n’est pas morte
Mexique, pays révolutionnaire et sécuritaire ?
France-Rwanda, nouvelle étape dans le négationnisme du génocide des Tutsi
Pays Basque : processus de paix ébranlé, pas totalement bloqué
Brèves

Proposer un complément d'info

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message
  • Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

  • Le 24 janvier 2010 à 21:40, par Jean-Pierre CANOT

    On est atterré par cette importance exagérée donnée à la micro finance, tarte à la crème du moment et dont on attend des miracles ! Le texte qui suit montre que si l’on s’en tient à ce seul modèle qui n’est que la toute première étape du système millénaire de la coopération, il n’en sortira strictement rien. Quand arriverons-nous à comprendre cette évidence ?

    MUHAMMAD YUNUS NE FAIT QUE REVENIR ET S’EN TENIR FERMEMENT A LA TOUTE PREMIERE ÉTAPE D’UN MODELE MILLENAIRE !

    Muhammad YUNUS et la Grameen Bank du Bengladesh n’ont rien inventé du tout, ce qui n’enlève d’ailleurs rien à leur mérite.

    La Grammeen Bank et tous les modèles de micro finance qui en découlent est la première étape du modèle coopératif inventé par les Babyloniens et qui, après l’expérience des pionniers de Rochdale ou des producteurs de micocoulier dans le Gard en France, a été il y a cent ans à la base des modèles européens de la coopération agricole, notamment le Crédit agricole français, que l’on oublie systématiquement dans les programmes de développement, au profit du seul modèle de Muhammad YUNUS porté désormais aux nues.

    Le problème est que malgré tous ses mérites, le modèle mis en œuvre dans cette seule première étape, ne marche pas et ne marchera jamais, pas plus d’ailleurs que les modèles coopératifs européens pris dans leur forme actuelle et que nous nous acharnons à développer en vain depuis les indépendances.

    Il faut pour mobiliser le maximum de ressource bancaire vers le secteur agricole sous forme de prêts, bancariser les populations rurales de façon à ce que tous les flux financiers résultant de leur activité –essentielle dans les pays en développement, il s’agit du secteur primaire- restent dans ce secteur et ne s’évadent pas vers la banque commerciale, qui dans la meilleure des hypothèses fera semblant d’aider l’agriculture en avançant des fonds aux organismes de micro finance qu’elle crée la plupart du temps sous forme de filiales.

    Cette mobilisation indispensable de la ressource de base qui devra d’ailleurs être complétée notamment pour les investissements longs ne peut se faire qu’au travers du modèle coopératif qui a fait ses preuves depuis des siècles.
    Encore faudrait-il que ce modèle soit et reste l’authentique, et ne soit pas remplacé par les ersatz infâmes que l’on a vu se développer tant en Afrique que dans les pays communistes et qui ont conduit à la ruine et à l’abandon de ce modèle coopératif .
    Ceci ne pourra se faire que par la mise en place de lois et règlements propres à la Coopération Agricole, et qui en retiennent impérativement les authentiques principes de base que j’ai essayé de rappeler dans mon livre :Apprends-nous plutôt à pêcher ! »

    Jean-Pierre Canot
    Bergerac 12 octobre 2009

    Jean-Pierre CANOT Garrigue Route de Mussidan 24100 BERGERAC
    T :05 53 57 31 83 apprends-nous.plutot.a.pecher@canot.info
    http://jeanpierrecanotbergerac.blogsudouest.com/ http://lafrancetoutfoutlecamp.blogspot.com/
    http://ah-la-microfinance.blogspot.com/ http://reviensilssontdevenusfous.blogspot.com/

Publiez !

Comment publier sur Rebellyon.info?

Rebellyon.info n’est pas un collectif de rédaction, c’est un outil qui permet la publication d’articles que vous proposez. La proposition d’article se fait à travers l’interface privée du site. Quelques infos rapides pour comprendre comment être publié !
Si vous rencontrez le moindre problème, n’hésitez pas à nous le faire savoir
via le mail contact [at] rebellyon.info