Que l’on me comprenne bien, l’assemblée générale est pour moi l’organe légitime de la lutte, celui où les débats doivent avoir lieu, celui où les informations circulent. Celui aussi où doit se dessiner, par le biais des discussions et des échanges l’avenir collectif d’une lutte. Celui où tout le monde peut s’exprimer et participer aux prises de décisions collectives. Le lieu donc, et avant tout, car c’est le seul à avoir cette légitimité, de décider de ce qui est de l’ordre du collectif [1] dans une démarche de démocratie directe.
Mais c’est bien là que le bât blesse. Je me sens mal quand j’écris, ou lis dans un tract, le mot démocratie, le mot autogestion, à coté du terme assemblée générale, tant la réalité à laquelle j’assiste en ce moment sur les campus de Lyon II est éloignée de ce que m’évoque le concept même de démocratie. Pour moi une assemblée générale doit être le lieu où chacun a accès à la parole, au débat, à la décision. Aucun de ces aspects n’existe dans les assemblées générales de campus [2], pire on va malhonnêtement les proclamer haut et fort pour légitimer les décisions prises dans des AG qui ne présentent aucun de ces aspects.
Microcosmes des jeux de représentation, tant politiques qu’individuels, des relations de pouvoirs, de l’incompréhension et de l’autisme, tantôt inconscient, tantôt volontaire, les AG ne sont ici que le triste reflet des comportements que nous dénonçons dans la société. En tentant de détailler ces réalités, je ne cherche évidemment pas à animer des querelles de personnes ou d’organisations mais bien de tenter, par la prise de conscience de ces phénomènes, de les faire disparaître, de s’en émanciper, et ainsi de ne plus avoir honte des pratiques sur nos campus mais de pouvoir les transformer en auto-organisation responsable, réfléchie et constructive, en un mode d’organisation collectif viable.
Le premier constat est évidement lié à des réalités organisationnelles héritées de la situation précédant le mouvement : l’affrontement d’influence entre deux syndicats (UNEF, FSE) et quelques organisations politiques (AJR ou LO entre autre) est criant, il n’est pas nécessaire d’être militant de longue date pour s’en apercevoir. Si un certain nombre d’accusations portées sont réelles (attitude de l’UNEF pendant la lutte contre la LRU par exemple) elles ne sont ici que prétexte à des luttes d’influences entre structures se considérant objectivement comme concurrentes. Concurrentes tant sur le plan de la représentation (elles se veulent l’expression légitime du mouvement, l’interlocuteur privilégié face à l’autorité) que sur celui de la volonté de croissance de ces structures par le recrutement de nouveaux adhérents (abattre politiquement l’autre, c’est permettre à sa structure de s’approprier l’espace public et l’audience de l’autre). Le premier de ces deux aspects est déjà inquiétant en soi : il signifie que ces structures mettent leur logique d’évolution et leur statut politique au dessus de celles des outils d’auto-organisation des étudiants, à savoir les AG. Dans ce cas-là on peut se demander quelle légitimité ont ces organisations à participer aux AG quand le mouvement ne leur sert finalement qu’à assouvir leurs objectifs propres, potentiellement au détriment de ceux exprimés collectivement par une structure à laquelle ils participent pourtant activement. Cette contradiction explique en partie les comportements agressifs, irrespectueux d’autrui et des règles collectives, que l’on a pu observer chez ces individus. Je ne reviendrai pas sur le deuxième aspect, celui du « recrutement » puisque le fait que des groupes qui s’opposent, selon eux, aussi profondément sur le fond politique, puissent chercher à attirer dans leur sein la même population d’individus est déjà une contradiction assez explicite.
Au-delà de ces logiques structurelles, les comportements individuels sont partie prenante de ces logiques. Si les personnes appartenant à ces structures peuvent développer les comportements que je vais maintenant tâcher de décrire pour les raisons expliquées plus haut (et d’autres raisons, plus personnelles), c’est aussi le cas de nombre de personnes qui ne sont soit pas organisées dans une structure politique, soit inscrites dans des structures dont la faible audience ne permet pas une telle lutte d’audience publique.
L’ensemble de ces comportements, qui peut être propre à un individu comme à une temporalité précise, non seulement s’oppose frontalement aux intérêts collectifs mais de plus dessert aussi l’expression et l’action individuelles en participant à une logique globale de blocage des débats et des prises de décisions.
Le type d’action la plus évidente est celle de « foutre le bordel » dans une AG, sous toutes les formes que cela peut comprendre : cris, insultes, invectives à travers la salle, absence de respect des tours de paroles, etc. Ces comportements peuvent découler de plusieurs motivations : opposition à la personne ayant la parole, mécontentement vis-à-vis des décisions précédentes, des dernières AG, voir de l’évolution globale du mouvement. Elles témoignent surtout d’une incapacité manifeste à respecter les choix et décisions d’autrui quand ils divergent des siennes. De plus, en empêchant la compréhension et l’écoute mutuelle, loin de satisfaire à ce qui les a motivées, elles tendent bien souvent à accentuer les motifs de rancœur ou de colère.
De façon plus vicieuse, il est facile de manipuler une assemblée générale, et un certain nombre de groupes ou d’individus ne s’en privent pas. La répartition d’un groupe dans la salle pour faire croire, en applaudissant, qu’il s’agit d’une volonté de l’ensemble de l’AG et pas seulement d’un groupe précis, a déjà été vue depuis le début du mouvement. Les actes de menaces sont eux aussi nombreux : déplacement en groupe pour faire physiquement pression, prise à partie à l’extérieur de l’AG, menaces sur une personne, pression sur la tribune par présence massive autour d’elle, sont autant d’action menées à l’encontre de la démocratie directe. L’utilisation de la tribune à des fins politiciennes (noyautage par un ou plusieurs groupes politiques, pressions diverses, mais aussi non-respect des règles collectives exprimées par la tribune) est elle aussi commune aux manipulations que nous avons pu observer. Ces comportements témoignent d’un manque de respect criant vis-à-vis de l’expression collective. Le fait de voter les propositions à la fin des AG et non pas à la fin des discutions les concernant participe aussi à une logique de manipulation : à la fin d’une AG ne reste souvent, surtout si l’AG a été houleuse, que les « militants professionnels » et les débats sur la question sont lointains, il est alors facile de faire oublier les objections exprimées auparavant et de faire voter n’importe quoi. Les débats stériles et les répétitions d’un même discours par plusieurs interventions de suite jouent aussi un rôle de blocage des débats et permet soit à un groupe d’appuyer sa présence par plusieurs interventions, soit à plusieurs groupes d’affirmer successivement un même point de vue politique qu’ils croient pourtant leur être uniquement propre. La monopolisation des tours de paroles, par un groupe politique ou un individu en particulier participe aussi à limiter l’expression de ceux qui ne prennent pas souvent la parole.
Je ne reviendrai pas sur les « fausses » AG qu’un groupe particulier créera de toute pièce pour légitimer ses décisions ou ses mandatés pour les coordinations. La démagogie de ce type d’acte est en soi évidente.
Des solutions structurelles ?
Bien sûr, la première solution à l’ensemble de ces comportements reste l’auto-discipline des individus, toutefois il est possible de limiter certains aspects par des choix structurels en AG. Par exemple l’utilisation d’une double liste, laissant systématiquement la parole à ceux qui n’ont pas encore parlé face à ceux qui monopolisent les tours de paroles, permet une meilleure répartition de l’expression individuelle. De même la rotation des personnes à la tribune, et la présence à celle-ci de personnes non-syndiquées, permet d’éviter les logiques partisanes dans une certaine mesure, à condition d’empêcher les groupes en présence de faire pression ou de ne pas respecter la tribune. Le fait d’« interdire » à un groupe ou à quiconque d’occuper l’espace immédiat autour de la tribune peut empêcher les menaces physiques. Le fait de refuser la parole à ceux qui interrompent les autres est aussi un choix possible. Toutefois il faut évidemment être vigilant vis à vis de ces restrictions qui peuvent aussi bien permettre de freiner les comportements anti-démocratiques que tomber dans l’arbitraire si le collectif n’est pas garant de leur tenue.
Un autre moyen serait de changer de logique organisationnelle au sein de Lyon 2. Le fait qu’une AG de 500 personnes soit dérisoire au vu des 28.000 étudiants de l’université peut nous faire réfléchir. Le fait que les AG de faculté se passent bien mieux, qu’elles soient commune étudiants/enseignants aussi. Leur plus faible échelle permet également un accès plus facile à la parole et une tenue des débats plus calme. De plus, la répartition par discipline freine évidemment les logiques groupusculaires en morcelant les groupes politiques. On peut imaginer un système où les AG de faculté désignent des mandatés impératif qui se réunissent pour comptabiliser les voix et transmettre les questionnements de chaque AG. Une AG voulant faire voter un point précis le propose par le biais de ses mandatés à toutes les autres qui votent chacune de leur coté. Les mandatés rapportent ces votes et le résultat est alors véritablement représentatif de la population universitaire mobilisée et non plus des pressions démagogiques des AG de campus. Ce type de fonctionnement (fédéraliste, mandat impératif et révocable) est éminemment souhaitable à d’autres échelles, comme par exemple à celle de la coordination nationale étudiante pour éviter que cette dernière ne deviennent un outil exécutif et décisionnel dont les choix s’imposent aux Assemblées Générales étudiantes, ce qui est la volonté explicite de certains groupes.
L’assemblée générale doit nous permettre de nous organiser en respectant les choix de chacun, de mener des actions collectives, tant ponctuelles que structurelles, et ainsi de faire évoluer nos réalités collectives. Nous serions bien sots d’avoir la prétention de changer la société si nous-mêmes ne sommes pas capable d’auto-organisation.
A bon entendeur.
Autogestion signifie gestion par soi-même : du grec autos « soi-même » et du latin gestĭo, « gérer ». Dans sa définition classique, c’est le fait que, pour un groupe ou une structure considérée, les décisions sont prises par ce groupe ou l’ensemble des personnes de la structure considérée. Cette définition peut s’appliquer en France à un grand nombre d’associations par exemple.
Il existe cependant une autre définition, plus politique ; y sont intégrés d’autres paramètres avec une certaine variabilité. Ses postulats sont la suppression de toute distinction entre dirigeants et dirigés, la transparence et la légitimité des décisions, la non appropriation par certains des richesses produites par le collectif, l’affirmation de l’aptitude des humains à s’organiser sans dirigeant. Cette définition se construit en général explicitement contre des pratiques qualifiées de hiérarchiques, autoritaires, verticales, contre des formes de dépossession que constituent certains modes d’organisation. En d’autres termes, ce type d’autogestion, permet une réappropriation d’une forme d’organisation collective. Par ailleurs, cette définition permet des pratiques d’autogestion qui ne se limitent pas au seul champ économique.
Source : wikipedia
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