Exemples :
Les luttes pour que les immigrés obtiennent des papiers s’opposent à la revendication d’un monde sans frontière, ni papiers, ni fichages, et en sollicitant le système institutionnel bureaucratique, légitimant son action.
Militer pour une agriculture biologique commerciale revient à encourager l’agriculture propriétariste et productiviste (à l’inverse de la permaculture, de l’ensemançage des espaces publics...).
Vouloir que les entreprises appliquent une égalité de traitement envers les femmes et les hommes tend à rendre plus supportable et donc plus durable l’univers pathogène, aliénant et dangereux du « monde du travail » et du salariat.
Militer pour une fac publique, gratuite et laïque c’est dans la foulée s’opposer à la déscolarisation de la société (Cf « Une société sans école » d’Ivan Illich), et entretenir la sélection par le conformisme (domination, calibrage du fond et de la forme, discipline, notes, stress, diplômes, etc.).
Apporter une assistance caritative aux sans-abris via des associations fonctionnant avec des bénévoles, permet à l’État de ne pas se remettre en question et de poursuivre ses politiques génératrices de misères. (Les associations caritatives sont les rustines de la baudruche étatique.)
Chercher à instaurer un « revenu inconditionnel minimum » (= une allocation mensuelle versée à tous les citoyens sans condition) revient à bétonner notre dépendance vis-à-vis de l’État et, par là même, à réduire notre capacité d’êtres humains à assurer notre propre survie. Les États riches ont tout intérêt à nous nourrir sous perfusion (de gré ou de force), à apaiser la société et à justifier leurs actions en se rendant indispensables. Ce n’est pas à la machine étatique que nous devons être branchés en permanence, mais à la Terre !!
En cherchant à gagner des combats sur le terrain judiciaire (ex : Déboulonneurs, Faucheurs volontaires), on en vient à légitimer l’institution judiciaire qui, à mes yeux, ressemble fortement à une machine à sous de casino : bien que le résultat puisse nous être potentiellement favorable, c’est globalement (et statistiquement) toujours l’État qui gagne. Lorsque la justice disculpe un militant nous crions victoire et lorsqu’elle en condamne un autre nous insultons le juge.
Etc, etc, etc...
Ces incohérences ont pour origine le décalage entre d’un côté une volonté d’amélioration sectorisée et sur le court terme, et de l’autre une volonté de changement global et sur le plus long terme. Ces deux visions antagonistes disposent, toutes deux, de solides arguments en leur faveur. Alors que la première s’attache à élaborer et prescrire des médicaments pour diminuer la douleur, la seconde cherche à guérir la pathologie à sa racine. (Ces deux approches ne sont pas sans engendrer un réel clivage au sein des milieux « militants » ; clivage qui ne manque pas de les affaiblir et de minimiser leur impact.)
Notons par ailleurs, que ce clivage ne cesse de s’agrandir ! D’un côté l’activisme de masse (les luttes réformistes en faveur d’une amélioration à court terme) se borne de plus en plus à la protection des « acquis sociaux » (= conservatisme sans audace reposant sur la législation en vigueur). De l’autre, de plus en plus de jeunes désabusés osent un raisonnement émancipateur des divers cadres de la domination (travail, famille, patrie, école, technologie, etc.)
Pourtant elles n’ont pas le même poids en terme d’adhésion : la balance penche quasi systématiquement en faveur de l’action à court terme.
Pourquoi ?
Parce que notre espérance de vie est relativement courte et que nous désirons voir/vivre les changements pour lesquels nous nous battons. Par conséquent, nous préférons nous fixer des objectifs « atteignables » et « rester réalistes ».
Par peur d’un réel changement (et si c’était pire ? quelle sera ma place ? ...)
Par manque d’une compréhension claire des thématiques (origines, faits, enjeux, alternatives, etc.)
Parce que visualiser une amélioration à court terme d’une situation est bien plus facile qu’imaginer un changement radical et global. (Notons ici que l’école nous a appris à raisonner de manière sectorisée / spécialisée et n’encourage guère les raisonnements globaux et encore moins la créativité).
L’action plus immédiate est plus palpable et moins abstraite. Nous avons besoin de réel !
Il me semble que ce soit la large prédominance de l’activisme à court terme qui empêche réellement l’humanité d’être plus en paix avec elle-même, de sortir du marasme engendré par sa Révolution néolithique et d’en abolir ses multiples facettes (sédentarisation, travail, propriété, urbanité, guerre, patriarcat, colonialisme, racisme, frontières, etc).
Beaucoup pensent qu’il est possible de combiner action à court terme et réflexion à long terme. Pourtant nous l’avons vu, elles semblent plus antagonistes que complémentaires, et le réformisme renforce bien souvent ce que nous aimerions abolir.
Comment se positionner ?
Le débat est ouvert !
Jeanne-Adeline de la Tour Crépie
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