Dans la nuit du 6 octobre 1976, le resto alternatif « Le Goût de canon » explose !!

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Au bout d’un an de fonctionnement, le premier resto alternatif de Lyon, né sur les pentes de la Croix-Rousse en 1975, a été l’objet d’un attentat qui a cassé bien des vitres de la rue Burdeau. Qu’à cela ne tienne ! Un nouveau resto plus grand s’est remonté de façon collective, suscitant la création de plein d’autres lieux alternatifs, beaucoup sur les pentes, mais aussi dans d’autres quartiers de Lyon.

Le restaurant « Au goût de canon » n’avait rien à voir avec un restaurant habituel, c’était un resto autre. D’ailleurs, la première fois que j’y suis venu, étant seul, je me suis installé à une petite table à l’entrée. On m’a servi le plat du soir qui était « saucisson chaud et pommes de terre », et avant d’avoir eu le temps d’avaler ma première bouchée, un groupe est arrivé et chacun, au passage, piquait un morceau de patate dans mon assiette... Il fallait bien sûr prendre ça à la rigolade et très vite un gone est venu s’installer à ma table avec un litron de vin rouge qu’il m’invita à partager tous les deux, ce dont je ne me fis pas prier. Voilà un peu de cette convivialité des pentes. Du coup, ce soir-là, c’est pas mal de canons [1] qu’on a dégustés ensemble... Ce gone était un étranger, tout comme moi, c’est-à-dire que nous habitions tous deux un autre quartier de Lyon que les pentes, et nous ne voulions pas nous mêler des discussions endiablées des habitués de ce lieu incroyable qui étaient en train de fuser sur des points de vue divergents concernant le rôle local ou global de l’individu et de la société...

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"Au goût de canon", situé au 9 de la rue Burdeau, le restaurant créé par Maryvonne, une militante libertaire lyonnaise, aidée par d’autres personnes amies ou militantes, devint très vite le lieu où se croisaient des anarchistes, de jeunes artistes, des militants de quartier, ou des habitants-même de la Croix-Rousse et des pentes. Même si le statut de ce resto était une SARL, le fonctionnement était collectif et assuré par une équipe de six personnes, dont trois Français et trois Italiens, parmi lesquels deux insoumis. Le travail et la répartition des tâches étaient débattus au cours de la réunion hebdomadaire du collectif. La rotation des tâches et l’égalité des salaires étaient les caractéristiques principales de ce collectif. Trois membres de celui-ci vivaient ensemble dans l’appartement au-dessus du restaurant, ainsi qu’un jeune étudiant de l’école des Beaux-Arts, située à quelques centaines de mètres de la rue Burdeau.

La solidarité

Pour se rendre compte de l’ambiance de l’époque autour de ce restaurant, la solidarité manifestée au démarrage de cette aventure perdura lorsque trois membres de l’équipe furent arrêtés en novembre 1975 pour « complot contre l’armée ». [2] Pendant le mois entier que ces trois personnes furent détenues en prison, dont la responsable légale, le "Goût de canon" restera quand-même ouvert grâce à l’aide de bénévoles.

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L’explosion

En tout cas, le 6 octobre 1976 à une heure du matin, le restaurant a été fermé normalement par les personnes qui étaient de service ce soir-là sans que rien de particulier n’ait été remarqué. Selon les témoignages du voisinage, c’est vers trois heures du matin qu’une voiture et une moto ce sont arrêtées devant le restaurant, que la vitrine a été fracassée pour pouvoir jeter quelque chose à l’intérieur du restaurant, et que les véhicules sont repartis aussitôt. L’explosion qui a suivi a fait subir des dommages très importants au local ainsi qu’aux vitres alentours. Une jeune fille qui dormait dans l’appartement du dessus a été fortement commotionnée ; elle a dû être hospitalisée plusieurs jours après le choc.

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La devanture du resto « AU GOÛT DE CANON » au 9 de la rue Burdeau et Maryvonne, la pionnière des restos alternatifs de Lyon

On n’a jamais su s’il y a eu une véritable enquête judiciaire. Des inspecteurs du commissariat de la place Sathonay s’étaient déplacés au petit matin, mais l’origine de cette explosion du « Goût de canon » ne fut jamais élucidée. Avec un nom pareil, on aurait pu dire que c’était un peu prémonitoire. Ce qui est sûr c’est que cette explosion, qui de toute façon n’était pas due au gaz, a été provoquée intentionnellement, et a mis fin à cette expérience novatrice sur Lyon, après environ une année de fonctionnement.

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Extrait du bulletin « IRL » (Informations Rassemblées à Lyon) n°12 de novembre 1976

L’expérience reprend et d’autres alternatives se créent

Aussitôt, un collectif de soutien se met en place et se réunit au local libertaire du 13 de la rue Pierre Blanc avec la ferme intention de faire redémarrer le restaurant. Un appel à la solidarité financière est lancé. Des fêtes de soutien sont organisées. Notamment une « Fête du Goût de canon marrante, joyeuse et sans prétention » le 8 janvier 1977 dans les locaux du CCO à Villeurbanne, par des personnes« toujours décidées à refaire le resto, pour poursuivre notre expérience d’autogestion généralisée » [3]. De ce collectif, effectivement, naquit en décembre 1977 le restaurant autogéré "Aux Tables Rabatues" sous la forme d’une coopérative avec neuf salariés, dans des locaux plus vastes d’un ancien atelier qu’il a fallu retaper, situés toujours sur les pentes mais cette fois au 4 de le rue Bodin.

On peut dire bravo au Goût de canon qui a ouvert la voie, car par la suite plein d’autres expériences alternatives, et notamment dans la restauration, sont nées à Lyon... [4]

Que celles et ceux qui ont vécu de bons moments dans ce lieu, (ou éventuellement de moins bons avec l’explosion), puissent en témoigner en répondant ci-dessous ; merci !

Notes

[1A Lyon, un canon c’est un verre de vin rouge. Vient d’un terme de soierie, qui avait une double signification pour les canuts : une espèce de bobine, ou roquet à une tête, était appelée canon et avait un peu la forme d’un verre à vin, puis, comme souvent, l’appellation du contenu a pris la place de celle du contenant.

[2En effet, avec cette inculpation, furent incarcérés en décembre 1975 une cinquantaine de syndicalistes, des militants d’extrême gauche et des antimilitaristes libertaires. Après un ou deux mois de détention, suivie d’un long contrôle judiciaire, tous furent libérés et il n’y eu jamais de procès. Un non-lieu de fait. Voir l’article de Maryvonne Marcoux dans « Le Réfractaire » n°17 de janvier 1976.

[3Voir IRL n°13 de décembre 1976.

[4Les sources principales de cet article se trouvent dans le livre de Mimmo Pucciarelli : Le rêve au quotidien
De la ruche ouvrière à la ruche alternative -
Les expériences collectives des pentes de la Croix Rousse /
1975 - 1995 (éditions ACL : Atelier de création libertaire BP 1186 - 69202 Lyon cedex 01, fax et tél. 04.78.29.28.26).

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  • Le 13 mars 2023 à 20:41, par

    Je me souviens très bien de ce resto alternatif, j’y mangeais souvent vu que j’habitais dans la rue un peu plus loin, c’était très convivial et chaleureux, un vrai lieu tendance anar antimilitariste comme il doit l’être. Puis un matin après un gros boum en pleine nuit, fini plus rien, fallait voir dans quel état était le local, il était totalement dévasté, ils y ont mis le paquet (de plastic), la personne qui dormait au 1er étage a eut la vie sauve grâce à son matelas, un vrai attentat terroriste, qui ? Suivez mon regard vers le Service Action de l’armée française, ça rigolait pas, de vieilles habitudes qui dataient de la guerre d’Algérie, c’était il y a 47 ans, j’ai jamais oublié...

  • Le 7 octobre 2021 à 18:20, par Dominique

    Un soir un peu tard on vient à quelques un/es pour dîner. L’équipe jouait aux cartes et nous a dit avoir la flemme de cuisiner, mais si on voulait on pouvait cuisiner avec ce qu’il y avait... Grosses omelette, tomates et je ne sais plus quoi. Au moment de partir et donc de payer : « donnez ce que vous voulez »... jamais revu un endroit pareil !!

  • Le 7 octobre 2017 à 12:16, par

    Juste pour indiquer que Maryvonne a décidé de nous laisser tomber le 12 janvier 2017. Nous lui avions rendu hommage sur le blog Ma Croix-Rousse alternative

  • Le 7 octobre 2017 à 00:13, par DF

    Souvenir d’une soirée de cette époque...
    On était quatre ou cinq à vouloir diner un soir, un peu tard. Le « personnel » était en train de jouer aux cartes et n’avait pas envie de cuisiner quoique ce soit. « Débrouillez vous faites vous cuire quelque chose, on a plus envie de bosser ce soir » On fait une grande omelette une salade de tomates quelques fruits... « Qu’est ce qu’on doit ? » « Ben c’que tu veux » !
    Jamais revu un tel endroit !!

  • Le 6 mars 2009 à 16:54

    Et tu as participé à l’aventure du « Goût de Canon » de la rue Burdeau avant de nous quitter... ?

  • Le 6 mars 2009 à 16:22, par SIMFEROPOL

    J’ai quitté Lyon le 15 septembre 1976. Ca fait 33 ans....

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