En page 9, plusieurs articles (dont deux signés par Christine Mérigot) sont censés nous informer sur les raisons du « ras-le-bol des riverains victimes de concurrence déloyale ». Or on découvre là plutôt un assemblage de ragots, d’approximations, de dissimulations et de mensonges.
Un premier article débute par un « scoop » qui donne la mesure du sérieux de l’analyse : « depuis quelques jours, …, la place Gabriel Péri et ses abords … sont sous étroite surveillance policière ». La signataire de l’article semble ignorer que compte tenu de son histoire (quartier d’immigration) cette place est depuis des décennies constamment sous « étroite surveillance policière », qui d’ailleurs se renforce de façon spectaculaire à chaque élection. Tous les riverains savent qu’ils sont filmés de façon permanente par de nombreuses caméras de vidéosurveillance tandis que la présence de policiers en uniforme et en civil est une des constantes de cet espace public.
Quel est le problème aujourd’hui ? Il s’agit selon notre journaliste d’investigation de « débarrasser le secteur des vendeurs à la sauvette et autres irréguliers qui exaspèrent riverains et commerçants ». Quel sondage, quelle enquête ou quelle série d’exemples permettent d’affirmer que les riverains sont exaspérés ? On ne le saura pas mais dans un secteur où passent chaque jour plusieurs milliers de personnes, notre courageuse enquêtrice a trouvé deux cas de personnes incarnant « l’exaspération des riverains » : un « habitué de la place » (riverain ou habitant le quartier ? on ne le saura pas) et en se penchant sur la prostitution dans le quartier, elle décrit un homme qui interpelle les policiers « en position sur la place » pour leur dire « ils mettent leurs femmes au tapin… » en désignant « trois jeunes roumaines ». C’est ce type de constat qui semble l’autoriser à parler au nom des riverains ou des habitants du quartier et autoriser la rédaction du journal à mentionner plusieurs fois en gros caractères gras l’exaspération des riverains. De même Le Progrès souligne que la « présence policière est bien accueillie par les habitants du quartier », alors que ce qui domine globalement c’est une indifférence généralisée tellement ce quartier a l’habitude de voir les uniformes bleus.
Dans tous les articles sur cette opération policière, les ragots ou les mensonges remplacent de façon systématique le simple constat, par exemple on peut lire que « avec sa réputation de marché aux voleurs, la place … est de longue date une plaque tournante de l’économie souterraine ». Cette réputation que la journaliste contribue ainsi à renforcer n’est pas utilisée au hasard : le procédé est ici assez malhonnête car elle est citée dans un texte évoquant des problèmes prétendument induits par les « vendeurs à la sauvette et autres irréguliers ». Aucun fait de recel n’a été constaté par les policiers qui interviennent depuis plusieurs jours pour saisir (et souvent les détruire) les marchandises vendues mais la référence au « marché aux voleurs » suggère que ces fameux vendeurs à la sauvette vendent des produits volés. En revanche jamais cette « journaliste » ne s’intéresse aux causes ou aux acteurs de ce marché : elle aurait découvert un véritable marché de la misère, qui a pris la succession d’un marché sauvage qui existe dans ce quartier depuis des décennies où des personnes « pauvres » vendaient des objets d’occasion. Si avant on y vendait déjà des cigarettes, des produits d’occasion mais aussi parfois du neuf « tombé du camion », désormais la population des vendeurs ou vendeuses a changé et si les produits ou vêtements sont très rarement neufs on commence à y trouver de la nourriture sous forme de boîtes de conserve. Les propos de « l’habitué de la place » n’ont pas questionné notre perspicace enquêtrice alors qu’ils étaient très clairs : il y avait déjà depuis longtemps des vendeurs à la sauvette « qui venaient du quartier » et là ce sont de nouveaux vendeurs, donc ce « marché » existe depuis toujours, en revanche ce qu’elle retient c’est le fait que ces nouveaux vendeurs « narguent » et « sont bien plus virulents ». Là encore aucun constat de sa part, elle reprend des propos sans vérifier d’elle même. Il n’y a sur cette place aucune concurrence déloyale à l’égard de commerçants qui ne jetteraient même pas un regard sur ces produits vendus « à la sauvette ».
Une des prouesses de cette page consacrée au « coup d’arrêt au grand déballage de la place Gabriel-Péri » c’est surtout ce qu’elle dissimule : la présence des Rroms ! Le racisme à l’égard des Rroms est ici insidieux car ils ne sont jamais cités mais en revanche de nombreuses allusions sont faites pour que l’assimilation des Rroms aux « vendeurs à la sauvette et autres irréguliers qui exaspèrent riverains et commerçants » soit évidente. On évoque des « ressortissants des pays de l’est … Roumanie et la Macédoine- qui, depuis quelques mois ont investi l’espace public », plus loin on évoque « ces prostituées roumaines et macédoniennes ». Si ce journalisme là ne s’intéresse pas vraiment aux habitants d’un quartier sur les problèmes d’espace public, en revanche il est à l’écoute des policiers et des commerçants. A propos de cette place sont donc cités un commissaire de police et le « président de l’association des commerçants du Cours Gambetta ». Que nous apprennent-ils ? Pour le représentant des commerçants, on retrouve les clichés habituels sur les Rroms : « une structure organisée avec des chefs qui dirigent le système … l’argent qu’ils ont, les camionnettes neuves… des gens qui peuvent dépenser tous les jours 100 euros pour acheter des jeux à gratter dans les tabacs ». La « journaliste » ne l’a pas constaté, le « chef » des commerçants lui dit et non seulement elle retranscrit sans vérifier mais elle en rajoute car son texte se conclut par la transformation d’un fait banal en « délit d’intention », procédé classique du racisme ordinaire : « à la terrasse d’un café, une jeune roumaine berce un bébé en plastique. Arrivé …avec un petit groupe qui a élu domicile dans un squat de la rue Paul Bert, elle attend le départ de la police pour récupérer le matériel caché … qu ‘elle doit vendre ». La journaliste sait donc à l’avance ce que va faire cette jeune roumaine, et laisse même supposer que ce matériel est volé puisqu’il est caché et doit être vendu sur un « marché aux voleurs ». Une véritable enquête auprès des riverains lui aurait sans doute permis de comprendre l’intérêt qu’il y a à cacher les produits à vendre dès l’arrivée de la police. Tenus en main ils sont abandonnés au sol pour éviter l’interpellation et les policiers les laissent là, y compris quand il neige ou quand il pleut, pour qu’ils soient enlevés par les services de la voierie. Précisons quand même qu’à aucun moment dans les articles de la page ne sont cités des faits de recel de marchandises volées, ce qui n’empêche pas notre fin limier d’affirmer que dans cet espace on vend des « produits d’origine incertaine ».
Le sommet dans le racisme et la calomnie, dans les mensonges à l’égard des Rroms est atteint par Thierry Philip, maire du 3e arrondissement, « socialiste » et candidat de la gôche dans le 8e canton du Rhône, en effet sur cette page figure aussi sous le titre « Réaction » une interview de ce partisan de Gérard Colomb où il déclare « Les Roumains … ont réinstallé un marché sauvage sur la place…des jeunes filles se livrent à la prostitution dans des allées d’immeubles, et les vols se multiplient dans les commerces. La semaine dernière une femme avait dissimulé un bidon de cinq litres sous sa robe… » . Du grand art : pour voler cinq litres (de quoi on ne le saura jamais..) ils sont quand même rusés ! Ceci dit comme le précise Thierry Philip « ce problème …n’a rien d’électoral » il ajoute même « cette place est la continuité de la Presqu’île et doit bénéficier d’un cadre élégant et agréable ».
L’aveu est clair, nous sommes dans une situation de guerre sociale, les pauvres n’ont rien à faire dans les villes imaginées par les socialo pour leur clientèle électorale. Il faut donc « nettoyer » la ville de ces « irréguliers » pour avoir un cadre élégant et agréable. Dans cette perspective quel est le discours susceptible de mobiliser les classes moyennes : la lutte contre la délinquance. De ce point de vue là dans le quartier, les Rroms constituent le meilleur bouc émissaire et surtout en période électorale dans un contexte où la gôche peut espérer reconquérir quelques mandats. L’opération immobilière n’est pas loin, la Guillotière, un quartier populaire très proche de la presqu’île n’est pour le moment pas assez valorisé pour songer à un autre type d’habitat pour d’autres catégories sociales. Il est aussi remarquable que dans cette offensive anti-Rroms l’appui d’autres catégories de population est explicitement recherché ; par exemple implicitement les politiciens, ou les journalistes qui leur servent la soupe, jouent sur une distinction qu’ils voudraient bien voir se transformer en clivage plus net entre Rroms et « immigrés maghrébins ». Thierry Philip précise ainsi « le problème ce ne sont pas …ces immigrés maghrébins… mais les Roumains ».
On peut dès lors se demander pour qui travaille Christine Mérigot en écrivant de tels articles centrés sur une vision sécuritaire de l’espace urbain. Si ce marché sauvage existe bel et bien (depuis très longtemps mais de manière intermittente selon le degré de répression) , si il y a bien des prostituées (depuis très longtemps si l’on sait que ce quartier a longtemps été habité par de nombreux célibataires), si il y a bien des personnes qui peuvent dépenser beaucoup d’argent dans des jeux à gratter, ce ne sont que les réalités apparentes d’un immense océan de misère sociale. En revanche on s’interroge sur les bénéficiaires d’une telle campagne ?
Ces fameux « riverains » invoqués par notre journaliste de pointe sont sans doute incarnés par ce « citoyen volontaire », un « retraité bénévole » mis à la disposition du commissariat dans le cadre du « service citoyen volontaire » qui est chargé d’aller à la rencontre des riverains et des commerçants pour recueillir leurs remarques… et leur expliquer l’action policière ». Ces retraités nombreux dans le quartier, n’ont évidemment pas été sollicités par les journalistes mais en cas de prolongement de l’opération immobilière de prestige du centre ville vers la Guillotière ils seront parmi les populations chassées du quartier par la hausse des loyers.
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