Kevin a été arrêté lors d’une charge policière en manifestation. Il est resté une dizaine de jours en détention provisoire puis il a été libéré. A son procès, il a été acquitté de la plupart des faits qui lui étaient reprochés. Il nous raconte son arrivée à la maison d’arrêt, les relations avec les matons, comment communiquer avec l’extérieur ou encore l’importance du shit à l’intérieur de la prison. Il nous parle aussi solidarité entre détenus et nous livre des trucs et astuces pour créer des brèches malgré tout.
Les informations réunies ici sont parcellaires et situées : elles sont liées à la prison de Lyon-Corbas (toutes les prisons ont des règlements intérieurs spécifiques) et son expérience de détention plutôt courte ne concerne que le quartier des arrivants.
Chaque lundi pendant six semaines, nous publierons un extrait d’entretien. Aujourd’hui, on parle d’un truc interdit et pourtant omniprésent et important dans la vie de la prison. Aujourd’hui, on parle de drogue.
En prison, le shit circule bien. Mais c’est aussi un peu la bataille parce qu’il en faut pour tout le monde et que tout le monde n’en a pas. Surtout au quartier des arrivants. Dans les autres bâtiments, c’est plus simple. Ce qui m’a marqué, c’est que le soir tu n’as même pas à passer la tête par la fenêtre, ça pue le shit. Tu le sens dans toute la prison mais c’est toléré. Il existe un commerce et ça coûte forcément plus cher qu’à l’extérieur. Une barrette de vingt balles peut facilement montrer à cinquante en prison. Tu peux aussi faire ton petit commerce à l’intérieur et ressortir plus riche que tu n’es rentré.
Il y a un endroit où depuis l’extérieur, tu peux faire passer des choses dans la promenade. Et à l’intérieur, les gens se font passer à l’aide des yoyos [1] et des barrettes du shit enrubannées pour pas qu’ils prennent la flotte. Les matons ont vue sur tout ça donc ils savent très bien. Et puis même, ça se sent. Tous les soirs, les gens se demandent du shit d’une fenêtre à l’autre. Ils disent « t’as pas une bafouille pour moi ? ». C’est des noms de code qui doivent changer régulièrement mais les matons ne sont pas dupes. Pour eux, quand il n’y a pas de shit, il y a plus de tensions. Les gens sont à cran. Alors ils laissent faire. Quand tout le monde est tranquillisé au shit et regarde posément la télé, ça pose moins de problèmes. Les gens sont moins sur les dents à essayer de trouver par tous les moyens un bout à fumer.
Nous on a fumé du shit lessivé, rentré par quelqu’un dans la doublure recousue d’un pantalon. Ça te poke, donc tu es content. Mais clairement, c’est pas bon. On avait deux choix de shit là-bas. Le « filtré fois trois », une espèce de hachisch jaune un peu poudreux. Mousseux quand tu le brûles. Il ne gonfle pas trop, il tombe en mousse. Sinon il y avait l’ « afghan », un shit super noir. Tu pouvais faire du fil en le roulant entre tes mains. Bien poivré. Et celui-là, il y en avait pas mal qui tournait.
Je n’ai jamais vu un maton dealer mais ça ne m’étonnerait pas que pour arrondir les fins de mois, certains fassent rentrer des trucs.
Pour régler tout ça, on ne peut rien faire transiter d’un compte à un autre dans la prison. Et pour envoyer de l’argent à un détenu, il faut normalement prouver que tu en lien avec la personne. La prison a peur du blanchiment d’argent à travers ses propres services. Tu ne peux donc pas prendre un vingt balles et demander à quelqu’un de l’extérieur de faire un virement à la personne qui t’a donné le shit. Du coup, tu achètes à crédit et il existe un mic-mac bien connu avec des cartes prépayées.
C’est aussi comme ça qu’on achète les téléphones là-bas. Une « bécane » ça peut coûter deux cents euros. Les Nokia 33-10 [2], eux, sont entre cinquante et quatre-vingt boules. Deux cents balles c’est pour les smartphones avec internet. Parce que c’est pas mal demandé là-bas.
Il y a un influenceur à Corbas. Et comme dans sa condamnation il est stipulé qu’il ne doit pas se connecter à internet, ils ont installé un brouilleur devant sa cellule. Mais sinon, partout ailleurs dans la prison, internet passe.
Tout rentre au MAH1 car le mur de la promenade donne sur la liberté. Les colis envoyés par dessus les murs s’appellent des tayech. Et normalement, on ne récupère pas la tayech d’un autre. Sinon, ça finit par se savoir qu’un tel a récupéré une tayech [3] ou un yoyo. Tout finit par se savoir. Et quand ça se sait, le mec se fait grave défoncer. Sur le mur des cellules au quartier des arrivants, il y a le nom des poukaves et celui des gens qui volent. C’est comme un fichier Edwige mais entre les détenus ! Bon, pour les yoyos, on tolère la douane de passage. Si je dois faire transiter un morceau de shit à trois cellules de distance et que dans une de ces cellules, il y en a un qui n’a pas de tamien, tu lui dis « je vais faire transiter, est-ce que vous avez à fumer ». Tout le monde ne le fait pas mais nous on demandait. Si on te répond « oui » alors ça transite tranquille. Si on te dit, « j’ai pas à fumer » tu lui dis « bon bah écoute pélo, j’ai mis trois joints, prends-en un ». Comme ça, je sais combien il y a au départ et celui à qui j’envoie sait combien il doit recevoir à l’arrivée.
La maîtrise du yoyo ça m’a pris deux jours sur le plan psycho-moteur. Pour ce qui est du code social qui va avec, j’avais déjà vu deux ou trois trucs et je connaissais quelques potes qui étaient partis en zonzon. La question c’est : « comment mettre en application la physique pour réussir à le faire correctement ? » Mon dépucelage du yoyo a été un peu galère. Ça s’est passé quand mon codétenu était à la douche ou dormait, je ne sais plus. Il m’a fallu trente minutes pour raccorder deux yoyos entre deux cellules.
Mon codétenu s’était fait glissé pour « trafic de stups ». La première fois il a mangé huit ou neuf mois. Là, ils l’ont reglissé parce qu’il était en conditionnelle et qu’ils l’ont choppé à trois cent mètres de chez lui à vingt-trois heures. Il faisait un déménagement.
* * *
Les précédents témoignages de la série « Ma détention provisoire » peuvent être (re)lus ici :
Compléments d'info à l'article
Proposer un complément d'info