Patrimoine industriel et culture bourgeoise

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Voici un article de la rédaction délocalisée du Popouri - Canal Historique Stéphanois. Il porte sur une polémique débutant à l’été 2004 à propos du projet d’implantation de la Cité du Design sur le site de l’ancienne Manufacture d’Armes, qui se trouve en plein centre ville et occupée jusqu’alors par le fabricant d’armes de service public GIAT. Cette installation illustre la stratégie de rayonnement de la mairie en place (pilotée par Michel Thiollière, hurluberlu minable ou pitoyable, qui cumule les honorables fonctions de vieux crouton au Sénat et de Président de la Métropole) dans le cadre de la reconversion économique, architecturale et culturelle : soin palliatif à la honte que ressentent les élites locales face à l’identité prolo de la ville, souffrant d’un « déficit d’image urbaine ».

La mairie prétexte le délabrement imaginaire des lieux (ne pas confondre avec le délabrement de l’imaginaire de ses technocrates) et la pauvreté de la ville (contre la pauvreté intellectuelle de ses richards) afin de bénéficier des fonds de reconversion européens qui financeront en partie le projet. À défaut d’éthique, ces gens-là savent compter. Ainsi la réhabilitation du site prévoit un projet immobilier de construction d’un parc de logements de haut standing (et donc de haut rapport financier) à la place d’anciens ateliers sur des parcelles publiques bradées par la mairie au profit d’entrepreneurs privés. La Cité du Design, reflétant une vision pécuniaire de l’art au service de l’embourgeoisement du centre, connaîtra comme premier directeur François Mouly, ancien professionnel du marketing immobilier chez Decaux (à qui l’on doit les arrêts de bus des Champs Élysées) En échange de fournir sa prestigieuse main d’œuvre, cette même pimpante entreprise sera remerciée en héritant du contrat de décoration et mobilier urbain du nouveau site... Oups ! Se révélant incompétent dans ses fonctions de chéfaillon de boudoir, Mouly, sans toutefois avoir à déplorer la perte d’une rémunération astronomique, sera remplacé par la candidate initiale proposée par les Verts, Elsa Frances... éco-designeuse chez Thompson (eh ! oui, ça existe des industriels écolos !) Thiollière, maire de droite ?

Alors que ces intrigues de mauvais roman de gare durent un an, dans les couloirs et cocktails de l’Hôtel de Ville, on s’applique à oublier que Saint-Etienne est peuplée d’habitant-es et n’est pas une ville-fantôme au milieu du désert du Kalahari. La population est noyée dans un flot communicationnel dans lequel sa parole est indésirable. Les associations locales seront écartées par le discrédit jeté sur certaines d’entre elles : leur réputation de passéisme est faite... Ce qui est compréhensible lorsque l’on constate que la vice-présidence des Amis du Vieux Saint-Etienne, relique des nostalgiques du Second Empire sous lequel a été bâtie la Manufacture, est occupée par une élue Front National. Un commissaire-enquêteur nommé par le Ministère de la Culture, sollicité par des associations, rendra un avis défavorable aux visions pharaoniques de Thiollière après avoir déniché les derniers êtres humains vivant là et leur avoir demandé... un avis. Diantre, la Commission Régionale du Patrimoine et des Sites, court-circuitée par les tenants du projet, aurait connu 80 % de membres opposés au réaménagement destructeur. Huit des plus grosses associations nationales de professionnels du patrimoine se mobilisent. Résultat de cette contestation latente : à la mairie, on s’en tape comme de l’an 40, on passe en force. Fastoche, quand l’État, notamment par le biais du Ministère de la Culture Bourgeoise, est impliqué énergiquement dans cet élan rénovateur.

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L’heure est aux fantasmes modernistes (chercher “réactionnaire” dans le dictionnaire des synonymes) : au niveau de la politique patrimoniale et culturelle, cela se manifeste par des conflits entre divers contenus et prétentions, par des rivalités entre musées. Le patrimoine, concept à la mode, n’est pas un espace politiquement neutre. À Saint-Etienne, on peut assister à une confrontation entre plusieurs modèles symboliques et idéologiques sur le terrain du patrimoine industriel. Certain-es accentuent la mémoire sociale et ouvrière de la ville, par exemple en ce qui concerne le vécu des mineurs (Musée de la Mine) D’autres lui préfèrent l’admiration des prouesses techniques et des maisons patronales de l’ère industrielle (Musée d’Art et d’Industrie) Enfin, la mairie actuelle, après l’avoir fait sur le Musée d’Art Moderne, mise sur la future Cité du Design, « patrimoine de demain » nous dit-on sur le ton de l’évidence, troisième voie qui suppose l’effacement d’un passé social douloureux jugé obscène, comme la disparition des classes populaires du centre-ville par des mesures immobilières « d’embellissement », de « mixité », bref... Immobilières et sécuritaires. On gomme les enjeux politiques par des considérations esthétiques, avec l’assentiment de la gauche comme de la droite. C’est pourquoi un « fétichisme prolétarien », inerte, est insuffisant, alors que la france compte encore 9 millions d’ouvriers et d’ouvrières. Pour développer un réel intérêt, le patrimoine industriel doit revenir sur le terrain de la lutte des classes.

On pendra le dernier urbaniste avec la tripaille du dernier élu !

Fraction Patrimoniale de Combat

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