Ce texte a été rédigé par des militant·es impliqué·es dans le mouvement lyonnais de soutien à la résistance palestinienne. Il est le fruit d’une réflexion débutée suite au mouvement d’occupation des universités. Par faute de temps, nous n’avons pas pu le terminer et le publier avant. Bien qu’il ait été écrit avant la dissolution de l’Assemblée Nationale en juin 2024, nous estimons qu’il demeure pertinent, particulièrement en raison de la situation actuelle. Les critiques émises dans ce texte peuvent également s’appliquer au mouvement en cours contre l’extrême-droite.
Depuis le 7 octobre, le mouvement lyonnais - et plus globalement en France - de soutien à la Palestine s’est majoritairement structuré autour de rassemblements et manifestations hebdomadaires ainsi que d’autres modes d’actions portés par différents collectifs locaux. Ces moments ont permis dès les premières semaines de faire grossir les rangs de la mobilisation, de visibiliser le massacre en cours, et de sensibiliser de manière plus large à la cause palestinienne mais force est de constater qu’il se heurte désormais à des limites voire des impasses. Notre inscription au sein du mouvement de solidarité nous laisse entrevoir des pistes explicatives sur la dynamique qu’il a pris à Lyon.
a) Des limites à l’impasse de la stratégie d’interpellation
Depuis plusieurs mois, les modalités d’action du mouvement de soutien avec le peuple palestinien se sont presque uniquement basées sur le mode de l’interpellation symbolique. Par cela, les mobilisations ont eu pour effet de neutraliser la force politique du mouvement. Dans ce contexte et plus généralement, l’interpellation constitue selon nous une erreur stratégique. En restant cantonnée sur le mode de l’interpellation symbolique, les rassemblements et les manifestations déclarées entraînent une pacification de la contestation sociale qui ne permet plus d’entraver matériellement l’Etat d’Israël, sa colonisation en Palestine et son entreprise génocidaire. Cette logique nous enferme ainsi dans une impuissance politique en conditionnant nos moyens d’actions et d’organisation. Une telle approche du mouvement limite en conséquence une politisation nécessaire, au sens d’une montée en généralité, qui permettrait dans un premier temps de faire des liens avec les autres luttes anticolonialistes (à l’instar des révoltes en cours en Kanaky), et par la suite avec toutes les autres luttes sociales. Gardons à l’esprit que le colonialisme nait avec le développement et la diffusion du modèle capitaliste et celui de l’Etat-nation. De par ce manque de politisation de l’enjeu palestinien, l’engagement de nombreuses personnes présentes dans ces mobilisations reste majoritairement d’ordre moral. On en fait ainsi appel à la dignité, à l’humanité, à la raison, au fameux « esprit des Lumières », évacuant de fait les dimensions politiques structurantes de la situation coloniale en Palestine. La manifestation déclarée, le rassemblement, ou l’action « coup de poing » de communication enferment le potentiel contraignant du mouvement.
Ce manque de montée en généralité ouvre aussi la porte aux lectures confusionnistes, voire antisémites. En témoignent les nombreuses pancartes et banderoles présentes lors des manifestations dressant des comparaisons entre le génocide à Gaza et la Shoah, et mobilisant des termes eux-mêmes controversés tels que « Holocauste » ou encore l’étoile de David du drapeau israélien transformée en svastika nazie. On pourrait mentionner également l’invitation de personnalités proches d’antisémites notoires. En cherchant à « choquer l’opinion », ces pratiques risquent de nuire à l’unité pourtant recherchée dans cette mobilisation tout en occultant la lutte contre l’antisémitisme. La présence de drapeaux nationaux dans les manifestations, notamment de pays eux-mêmes colonialistes, ou de médias étrangers proches de régimes autocratiques participent davantage à exclure de nombreuses personnes qui souhaiteraient s’engager pour la cause palestinienne. La lutte de libération palestinienne est une lutte d’émancipation collective qui ne saurait être l’objet d’instrumentalisation par des idéologies antisémites, nationalistes, réactionnaires et coloniales, comme nous le montrent les liens de solidarité internationaliste qu’ont toujours cherché à construire les groupes de résistance palestiniens.
Soutenir le peuple palestinien dans sa lutte d’auto-détermination passera donc avant tout par empêcher, chez nous, toutes formes de complicité - qu’elles soient matérielles, militaires, logistiques et symboliques - dont font preuve nos Etats et le capitalisme mondialisé. Ailleurs et depuis plusieurs mois, d’autres modalités d’action ont fleuri pour entraver l’Etat israélien et nos Etats complices comme des blocages de ports d’où transitent du matériel militaire, des sabotages d’usines de fabrication d’armes, et à minima l’occupation de lieux de pouvoir. Des collectifs de soutien avec la Palestine ont déjà fait des efforts de cartographie répertoriant des points stratégiques à cibler. Alors que l’entreprise génocidaire s’intensifie de jour en jour, il y a urgence à transformer le mouvement en innovant dans nos modes d’actions, en ciblant les points matériels stratégiques, et en politisant davantage la question palestinienne et l’engagement de nombreuses personnes en faveur de cette cause. Maintenant, ce n’est ni le nombre ni la sensibilisation qui manquent, mais bien la transformation de la mobilisation. Cet acharnement dans la logique d’interpellation et les difficultés à envisager d’autres modes d’action est également à relier à la manière dont s’est structuré le mouvement.
b) Soubresauts et pacification
Aux débuts de la mobilisation, le mouvement de soutien à la libération du peuple palestinien s’est structuré autour de plusieurs collectifs qui ont établi un agenda militant sur lequel sympathisant·es et militant·es se sont greffé·es. Ce dernier s’est majoritairement traduit par l’organisation de rassemblements et manifestations hebdomadaires après le mouvement de répression qui a suivi les premières manifestations spontanées, gazées par la police et systématiquement interdites par la préfecture. Si ces moments ont eu pour effet de massifier et de visibiliser le soutien, cela n’a pas permis de construire un espace critique où auraient pu être discutées des modalités alternatives d’actions, empêchant ainsi l’appropriation de ces questions par le plus grand nombre. La division du travail militant, bien qu’omniprésente dans de nombreuses organisations et mouvements sociaux, constitue une limite sur plusieurs aspects. En premier lieu elle empêche d’aborder de façon tactique des situations, en témoigne des appels à rassemblements où une fois présent·es, les militant·es ne savent pas quoi faire et attendent à nouveau les mots d’ordres des organisations. Pourtant, d’autres alternatives existent et nous prenons pour exemple le mouvement des occupations d’universités, notamment l’occupation de l’IEP de Lyon qui a constitué la preuve en actes, par l’implication de tous·tes, de la possibilité de réfléchir collectivement et de politiser l’enjeu, tout en s’appuyant sur les ressources que chaque personne ou collectif pouvait apporter.
Depuis l’attaque sur Rafah il y a maintenant deux semaines, un nouveau souffle s’est emparé du mouvement et les rangs ont à nouveau gonflé. Force est de constater que les modes opératoires demeurent vraisemblablement les mêmes : manifestations et rassemblements, souvent déclarés, avec toujours cette même logique d’interpellation. Par conséquent, on en voit apparaître les mêmes limites que lors de la réforme des retraites et qui constitue une critique globale sur les manifestations sauvages : si le nombre est présent, rien n’assure une victoire pour autant. Nous ne pouvons nous résoudre à cela, au risque de voir à nouveau le cortège se vider progressivement face à la lassitude et la répression. L’interdiction des manifestations, les amendes à la volée et les provocations policières témoignent de l’étendu des possibilités du dispositif répressif. S’en accommoder comme une forme de fatalité ne fera qu’alimenter davantage notre impuissance. Si nous sommes tous·tes convaincu·es du bien-fondé de la lutte que nous portons, cessons de croire que nous pourrons convaincre nos gouvernements ou bien qu’ils finiront pas se rendre compte de l’horreur qu’ils soutiennent. Ils ne le feront pas, ils n’y ont pas d’intérêts. Il n’y a rien à attendre d’un Etat - français - impérialiste et colonial qui n’a pas d’intérêts à remettre en cause le modèle sur lequel il fonde lui-même sa domination sur différentes populations à travers le globe. Le génocide en cours contre la population gazaouie et le nettoyage ethnique en Palestine occupée ne sont que la conséquence directe et structurelle de la domination coloniale exercée par Israël. L’enjeu ne se situe donc pas sur le plan moral mais est bel et bien politique. Politiser le mouvement actuel en ce sens est selon nous une nécessité si nous souhaitons intensifier notre soutien avec le peuple palestinien, et transformer ce mouvement en situation révolutionnaire.
c) Sortir de l’impasse en politisant la question palestinienne
Nous ne prétendons pas que ce que nous avançons ici est un phénomène propre au mouvement lyonnais. Il ne s’agit pas non plus d’affirmer que la stagnation du mouvement serait uniquement liée à des erreurs stratégiques. Enfin, n’avons pas la prétention de nous dire plus informé·es ou plus légitimes que quiconque sur cette question. Nous espérons seulement que ce texte participera à ouvrir un espace critique à même de transformer positivement le mouvement. Nous considérons en effet qu’au-delà des impératifs immédiats de soutien envers le peuple palestinien et sa résistance contre le génocide à Gaza, la question palestinienne porte intrinsèquement une potentialité révolutionnaire à même d’amener à des situations transformatrices en France et ailleurs. Voici quelques pistes non exhaustives - et très certainement insuffisantes - que nous proposons pour politiser l’enjeu :
- Construire des ponts avec les autres luttes anticolonialistes, notamment celle de l’auto-détermination du peuple Kanak.
- Transformer les mots d’ordres pour monter en généralité. Adapter les modes d’actions pour contraindre matériellement l’Etat israélien et ses soutiens.
- Ouvrir un espace de dialogue critique pour intégrer davantage de personnes dans la prise de décision et dans l’organisation du mouvement à Lyon.
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