Résumé de la comparution immédiate du 18 avril :
Une personne ayant refusé d’avoir un avocat et demandé du temps pour préparer sa défense, l’audience a été reportée pour tous au 3 mai. Le 18 avril, il ne s’agissait donc que de décider de leur sort jusqu’au procès. Par formalité, la juge leur demande s’ils ont des problèmes de santé. Une personne répond qu’elle a la maladie de Crohn et a besoin de traitements. Cette information n’a aucune incidence sur la décision finale, les deux seules alternatives étant l’enfermement : le CRA ou la maison d’arrêt. Ils ont été placés en mandat de dépôt à la maison d’arrêt de Villefranche. En entendant cette décision, les détenus, en signe de protestation, sortent d’eux-mêmes du box en lâchant des : « Vive la France ! », « C’est ça la France Madame ?! ».
Compte rendu de l’audience du 3 mai :
Les 4 détenus arrivent dans le box, entourés de 7 keufs, dont 6 y resteront pendant toute la durée de l’audience. Dans la salle, ce sont 3 d’entre eux qui surveillent le public et 1 fait la sécu à l’entrée. Faut dire qu’entre l’audience pour des étrangers ayant tenté de s’enfuir du CRA et celles pour les gardés à vue de la Giletjaunade du 1er mai, l’après-midi verra se succéder les procès politiques. Bien évidemment, les magistrat.es ne manqueront pas de marquer leur mépris...
3 détenus seront assistés par une interprète.
On reproche aux quatre personnes une « tentative de soustraction à une mesure de rétention administrative » le 13 avril et pour deux d’entre elles « la dégradation ayant causé un dommage grave dans le mur du Centre de Rétention, dégradation commise par plusieurs personnes en qualité d’auteur ou de complice »
La juge résume les faits : A 17h45 le 13 avril, l’alarme du CRA se déclenche, deux flics arrivent et voient un trou creusé dans un mur extérieur donnant sur une coursive. Les flics voient trois personnes en train d’escalader et une qui repasse à l’intérieur du CRA. Tous seront interpellées.
La juge montre des photos (vue aérienne et plan du CRA avec matérialisation du trou) aux assesseurs et décrit le dispositif qui barricade le CRA : sur la coursive, il y a des haies avec derrière un grillage de 4m, et le dernier mètre est constitué de panneaux inclinés vers l’intérieur, eux-mêmes terminés par des herses pointues. Pour le trou, les prisonniers se sont servis d’une grille de caniveau pour creuser un mur de 45 cm fait de parpaings, plâtre et moellons. Le trou a été creusé dans le mur d’un local que la juge qualifie de « salle de détente avec une machine à café ». Elle continue sa rubrique TripAdvisor de ce qu’on croirait être un Club Med, et parle d’une « sorte de sas qui permet d’accéder à une cour de détente ». Pour rappel, outre le fait que la machine est hors-service, c’est précisément dans ce local et dans cette cour que les détenus du CRA subissent régulièrement la répression, où ils sont parqués, matraqués et gazés...
La vidéo-surveillance permet aux flics de se repasser toute la scène, qui a commencé vers 13h30. Iels identifient des personnes avec une « responsabilité bien marquée » ; celles-ci vont être poursuivies selon une autre procédure et seront jugées prochainement.
La juge mentionne que les prisonniers ont fait beaucoup de bruit, au prétexte d’encourager un match de foot pour essayer de couvrir le bruit du trou en train d’être creusé.
Les quatre personnes ont reconnu les faits de tentative d’évasion, et la juge ne peut s’empêcher d’ajouter « il était difficile de faire autrement ». Elle interroge ensuite chacun. Elle appuie sur le fait que le PV mentionne que l’un soit « repassé à l’intérieur en voyant la police » et qu’il ait « cassé ». Le détenu se défend de l’erreur de traduction. La juge coupe court : « L’interprète a dit ce que vous lui avez dit, il n’a pas inventé ». Un autre explique qu’il était arrivé depuis 40 minutes au CRA et qu’il n’a rien à voir avec ça.
La juge, s’adressant à D. qui a choisi de se défendre lui-même : "Concernant votre participation aux faits, vous vous êtes blessé en tombant du grillage, vous n’êtes pas parvenu à l’escalader. Vous dites que vous avez entendu parler de l’évasion qui était en projet en début d’après-midi. Vous contestez avoir participé aux dégradations mais vous avez vu le trou se creuser. Vous reconnaissez par contre que vous vous y êtes intéressé, que vous avez fait du bruit, que vous avez donc évidemment participé à cette tentative d’évasion qui a échoué. Alors, qu’est ce que vous souhaitez dire ?
D. : Je voudrais dire que je ne suis pas d’accord, avec l’avocate, pendant la garde à vue on m’a posé des questions.
J : Sur quoi vous n’êtes pas d’accord ?
D. : Je ne suis pas d’accord parce que c’est pas ce que j’ai dit, ce qui est écrit. Moi j’ai pas participé à la dégradation et eux ils ont écrit que j’ai participé à la dégradation. Il y a beaucoup de choses. J’avais une avocate à côté de moi, j’ai demandé, j’ai dit, je n’ai pas dit ce qu’il est écrit, trois fois je l’ai dit à l’avocate. Tout ce qui est écrit c’est pas ce que j’ai dit. J’ai pas eu accès à mon dossier. Jusqu’à aujourd’hui je n’ai pas vu mon dossier. Je sais pas ce qu’on me reproche. J’ai pas eu de réponse. J’ai refusé d’avoir un avocat.
J : Et pourquoi vous avez refusé ?
D. : Parce que j’ai perdu confiance. [Il parle de son PV de garde à vue]. J’ai lu ce qui était écrit trois fois. Je lis j’étais pas d’accord, une deuxième fois je relis j’étais pas d’accord, une troisième fois elle est pas intervenue et puis à un moment donné elle m’a dit « ça commence à bien faire ». Voilà l’avocate ce qu’elle m’a dit. Donc j’ai refusé d’avoir un avocat.
Le juge lit le PV de la garde à vue, sans tenir compte du fait qu’il conteste les propos qui lui sont attribués. Il répond en insistant sur le fait qu’il a vu le trou par hasard, qu’il n’était pas assez grand pour laisser passer quelqu’un à ce moment et qu’il n’a en aucun cas participé aux dégradations. La juge continue à lire le PV qui sous-entend qu’il a participé en couvrant le bruit de la grille.
La personne réussit à reprendre la parole : « Par rapport l’évasion, n’importe qui il a un chien chez lui, qui le ferme pendant 48h, il va tenter de s’évader. L’être vivant, c’est comme ça. Moi je suis un être vivant. J’ai été en prison, de prison on m’a envoyé au centre de rétention, c’est la première fois de ma vie que je suis enfermé. Donc moi je pense et je crois, y a rien qui va changer, je crois profondément que c’est dans mes droits d’essayer de s’évader. Parce que je me sentais pas libre, n’importe qui va chercher sa liberté. Moi j’ai voulu chercher ma liberté, c’est dans les droits de chercher ma liberté [La juge tente de l’interrompre, mais il ne lâche pas]. Mais moi, de mon point de vue personnellement, j’ai pas fait un délit. Je vois pas pourquoi aujourd’hui je suis en prison. J’ai cherché que ma liberté. » La juge l’interrompt, triomphale et dans un rire de dédain : « Et bien précisément, Monsieur, c’est un délit ». Il ne se laisse pas déstabiliser et poursuit : « Un chien, on le met chez vous pendant 48h, il va tout faire, même il va se suicider, il va pas rester enfermé. Moi je suis pareil, je suis un être vivant. Voilà. Y’a des gens qui peuvent être incarcérés, moi je peux pas être incarcéré ». La juge s’impose et, dans un ton condescendant et moralisateur, fait la leçon : « Alors, je vous explique une chose, si vous ne comprenez pas la différence entre un chien et un être humain, le chien ne connait pas la loi et vous vous la connaissez. On en a fini avec les faits, je n’ai pas de question ».
L’audience s’enchaine avec les questions portant sur la personnalité, et insiste lourdement (aidée par le proc’ qui intervient en s’adressant directement aux détenus) sur les casiers judiciaires, les consommations potentielles d’alcool et de drogues. On apprend qu’une personne s’est vue refuser un suivi psychologique et qu’un traitement au Diazépam a été administré à deux détenus. Pour info, une utilisation prolongée de ce médicament peut entrainer un risque de dépendance.
On passe à la situation professionnelle avec cette perle de la juge qui fait réagir la salle : « j’ai juste dit que vous avez travaillé sur des chantiers, j’ai pas dit que vous étiez sans emploi, j’ai dit effectivement que vous êtes sans emploi depuis que vous êtes au centre de rétention ». La juge continue comme si de rien n’était…
Le procureur revient sur la terminologie du mot ’évasion’, qui ne peut pas s’appliquer dans le cas d’un centre de rétention, d’où l’infraction retenue : ’tentative de soustraction en réunion à une mesure de rétention administrative’ : « Mais bon, sociologiquement, ça ressemble quand même beaucoup à une évasion ». Il décrit alors minutieusement comment les prisonniers ont franchi le trou et va même jusqu’à parler de personnes essayant de passer le grillage « avec des cordes de draps noués comme on peut le voir dans les bandes dessinées et dans les films ». Il revient également sur les dégradations en indiquant que tout le monde est complice, les uns creusant, les autres couvrant le bruit.
Il retire le chef d’inculpation de dégradation et retient la tentative de soustraction. Puis il continue son argumentaire sur le cadre légal : « si chacun déterminait à ses yeux ce qui est un délit, une effraction ou un crime, il n’y aurait pas de société. Précisément il y a une loi qui détermine les faits qui sont interdits et les faits qui ne sont pas interdits. Mais en tout état de cause, la loi française prévoit lorsque l’on est dans une mesure de rétention administrative et qu’on cherche à s’évader de cette mesure de rétention administrative, s’y soustraire, c’est un délit, et c’est ce qui justifie ces poursuites ». Il enchaine avec la théorie du bon et du mauvais migrant : « Je tiens compte que ce sont quatre prévenus qui ont tous des antécédents judiciaires, ce ne sont pas des profils de personnes détenues administrativement [il se reprend pour le lapsus], retenues administrativement », « ceux qui cherchent à s’évader ne sont effectivement pas les gens qui sont des citoyens lambdas qui se retrouvent en situation irrégulière ».
Il demande quatre mois d’emprisonnement pour chacun avec maintien en détention.
C’est au tour de l’avocate de la défense, qui représente trois des détenus. Elle commence par le « souci linguistique » : « ils ont été placés en garde à vue pour une ’tentative d’évasion’ qui a été requalifiée en ’tentative de soustraction’ puisque l’évasion doit être pour un détenu de se soustraire à la garde à laquelle il est soumis. Et un détenu c’est quelqu’un qui est soupçonné d’avoir commis une infraction pénale ou qui en a commis une. Et les retenus ne sont pas des détenus, on l’oublie je crois, souvent. On l’a oublié un petit peu dans le cadre de cette procédure et ça pose question puisque, quels que soient leurs antécédents judiciaires, ils sont au Centre de Rétention Administrative car ils sont présents sur le territoire sans autorisation, c’est le seul tort qu’ils ont commis. » Elle explique ensuite ce qu’est un CRA : « C’est un lieu où les gens sont privés de liberté mais sans avoir commis la moindre infraction pénale. Un lieu dans lequel ils doivent rester le temps nécessaire à leur reconduite et dont on sait très bien que chaque année des dizaines de milliers de personnes passent au CRA et sont enfermées pour une durée maximale de 90 jours pour certains avec des enfants en bas âge. » Elle cite ensuite le rapport de la Contrôleure Générale des Lieux de Privation de Liberté publié le mois dernier, dont elle qualifie le passage sur les CRA d’« absolument affligeant » : ‘conditions de rétention insatisfaisantes, personnel insuffisant, conditions matérielles d’hébergement déplorables, locaux vétustes, exigus, mal entretenus, sales, accès aux soins insatisfaisant, agents non formés à la gestion de ces publics, utilisation systématique des menottes pour tout déplacement’. « On comprend mieux à la lecture de ce rapport que l’on puisse confondre soustraction et évasion, même si ces personnes-là ne sont pas détenues, ils en ont tout l’air. C’est un peu le Canada Dry de la détention le CRA, et ça pose au niveau des libertés fondamentales plein de questions ».
Elle rappelle ensuite le contexte : il y a un local de surveillance avec 9 écrans et 90 caméras, « le CRA est quadrillé », il y a actuellement 91 détenus, soit 1 caméra par détenu ! Et il y a même tellement de caméras que les flics finissent par en découvrir une ! Au début, ils pensent qu’aucune caméra n’a vue sur la zone du trou, et c’est d’ailleurs ce qu’indique les PV de 8h45 et de 10h. Et à 14h, ils découvrent la caméra qui a filmé l’entrée du sas menant vers le trou ! Au moment de la tentative, 23 membres du personnel sont présents dans le CRA, dont 19 attribués à la garde. [A ce moment-là, la juge se passe un coup de Labello...]. L’avocate s’étonne que personne ne les ait vus et ne les ait arrêtés dans un contexte de surveillance aussi resserré.
C’est au tour de la personne sans avocat d’assurer sa défense :
"J’ai demandé le 18 pour que je prépare ma défense. En prison, on m’a pas fourni le dossier pour relire la police ils ont dit, les faits qu’ils ont dit sur moi.
Pendant les interrogatoires, ils ont dit que j’étais en train de dégrader le trou, moi je tiens préciser à cette heure-là que le trou il était déjà fait. Pendant qu’on me voit dans la vidéo, j’étais en train de regarder, le trou il était déjà fait. Par rapport à M. H., lui la police il dit, je peux témoigner, vraiment il a rien fait, il a pas fait, ça je peux le témoigner pour M. H.. Par rapport à la loi française, par rapport après on a parlé pour dégradations, j’ai aucun lien avec les dégradations, je veux bien qu’on me le prouve, je veux bien qu’on me le montre la vidéo ou quelque chose, parce que j’ai pas pu monter le dossier. J’ai demandé en prison, 3 fois. Pendant 14 jours j’ai fait 3 demandes. Donc ça c’est par rapport aux dégradations. Mais par rapport à la tentative d’évasion. La tentative d’évasion, c’est vrai la loi française elle interdit ça. Mais moi comme être humain, aujourd’hui, même si on me met en prison, je trouve n’importe quel moyen de s’évader, je vais chercher ma liberté. Je suis un être humain, je suis un être vivant, moi j’ai frappé personne, j’ai fait de mal à personne, j’ai touché personne, j’ai juste cherché ma liberté. Y’a 100 ans de là, y’avait l’histoire de l’être humain, y’a que 100 ans qu’il y a les frontières, y’a 100 ans, juste 100 ans que y’a les frontières. Peut-être ça changera un jour. Je vais être jugé par ces lois-là, moi pour moi, c’est un procès politique déguisé dans une enveloppe de jugement d’affaires je sais pas comment dire. Pour moi, c’est injuste si je suis aujourd’hui en prison, parce que juste j’ai tenté de m’évader. Pourquoi j’ai tenté de m’évader. On m’a donné au centre de rétention de l’Ibuprofène, moi j’ai la maladie de Crohn, on m’a donné de l’Ibuprofène, mais j’ai pas pu vous donner d’ordonnance médicale qu’on me l’a prescrit, c’est dangereux pour ma santé. Une fois j’ai consulté un docteur, il m’a donné des antibiotiques pour ça.
Au centre de rétention, j’étais pas, je me sentais pas un être humain. Je me sentais... tout à l’heure j’ai dit un chien, un chien c’est un être vivant, pour moi il a total respect, pour moi n’importe quel être vivant, il doit avoir le respect. Aujourd’hui, moi je me trouve en prison, je trouve ça injuste, ça c’est mon point de vue personnel bien sûr, je trouve ça injuste que je, honteux aussi que je me trouve en prison à cause de ça. Dégradations, je veux bien qu’on me le prouve. Moi j’ai pas dégradé, j’ai rien fait ou quoi. J’ai pas pu préparer ma défense, Madame. Ça je sais pourquoi, je sais que j’étais, qu’on m’a pris mes papiers, que y avait une enquête de DGSI derrière moi. L’enquête de DGSI elle a donné rien. Aujourd’hui je suis en train de subir, c’est mon point de vue personnel Madame, je suis en train de subir aujourd’hui la torture, que j’ai rien fait du tout. Aujourd’hui, moi si on m’a pas pris mes papiers, je m’évaderais pas, je serais pas entré en prison, je serais pas là devant vous. Moi mes papiers ils me les ont pris injustement. J’ai un recours. Je considère pas que je suis sans-papier, non. Ma présence au centre de rétention, je la trouve aussi injuste. Donc injuste pour ce qu’on me reproche, un délit que moi je trouve pas un délit, n’importe quel être humain, n’importe quel être vivant va chercher, va faire pareil, voire même mieux, peut-être il va réussir, moi j’ai pas réussi, malheureusement. Ne le niez pas Madame, n’importe quel moment que j’aura un p’tit, un p’tit p’tit p’tit point que je pourrai m’évader... C’est pas contre la loi [la juge tente de l’interrompre : « On a bien compris », c’est juste pour récupérer ma liberté. C’est tout Madame."
La juge tente de mettre un terme à sa plaidoirie, mais il souhaite ajouter quelque chose : « J’ai pas pu récupérer le dossier pour préparer ma défense. Je sais même pas si c’est légal ou pas. S’il vous plait, c’est vous qui va me dire ça : est-ce que c’est légal ? Aujourd’hui, j’ai lu rien depuis la garde à vue, jusqu’à ce moment-là, j’ai pas eu quoi que ce soit comme papier, madame. Vraiment, ça, c’est légal ou pas ? Je sais pas. » La juge ne voyant aucune trace de ces demandes dans le dossier, choisit d’ignorer complètement sa parole.
Le procès aura duré 1h15. Les quatre, avec ou sans avocat, sont finalement condamnés à quatre mois de prison ferme, comme le demandait le procureur.
Un procès comme tant d’autres, où les prisonniers du CRA témoignent de l’arbitraire des procédures réservées aux personnes étranger.es et de la déshumanisation qu’iels subissent au quotidien dans les lieux d’enfermement.
Un procès comme tant d’autres, où la justice se place en garante de l’application des lois racistes, sans jamais remettre en question le système dans lequel elles s’inscrivent, tout simplement parce qu’elle fait elle-même partie de ce système.
A bas les CRA, à bas les frontières, soutien à tous.tes les prisonnier.es !
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