Les pompiers s’activaient ce mardi 8 octobre vers 7h à Villeurbanne. Parti d’une poubelle, le feu se serait propagé à Bel Air Camp, un ancien entrepôt d’Alstom où s’égayaient, selon le Progrès « une cinquantaine de start-up et TPE-PME, pour quelque 350 salariés, qui planchent sur « l’industrie de demain » (robotique, réalité augmenté, e-commerce, design...). »
Évidemment, on a immédiatement pensé à l’incendie de Lubrizol à Rouen, et à son traitement lamentable par les pouvoirs publics. Mais qu’on se rassure, dans le Grand Lyon non plus, on a rien à craindre. Dans un communiqué, la Préfecture du Rhône s’est voulue rassurante : « Ce site n’est pas classé SEVESO [1] ni ICPE [2] et ne comporte pas de matières dangereuses. L’usine SAFRAN, située à proximité du lieu du sinistre, n’est ni touchée ni menacée ». Lyon Mag précisait que des analyses de l’air étaient en cours dans la matinée.
Si respirer les fumées d’un incendie n’est jamais une très bonne idée, inutile en effet d’être alarmiste et les risques n’ont ici rien à voir avec ceux encourus par la population de Rouen. Il faut dire que l’avantage d’un fab lab — ou d’un incubateur de start-ups, ou d’une pépinière d’entreprises... les trois expressions signifient plus ou moins la même chose dans la novlangue contemporaine — c’est que quand ça brûle, les seules choses qui partent en fumée sont des bureaux partagés, des dosettes de café, des macbooks, des imprimantes 3D et les projets de merde qui vont avec. Non seulement, ça pollue modérément, mais en plus c’est plutôt plaisant à voir cramer.
Donc, même si c’est regrettable pour les riverains et les quelques personnes sympas qui avaient dû s’égarer à prendre un bureau là-bas, on a plutôt souri en apprenant que l’un des plus gros fab labs d’Europe (selon Bruno Bonnell, député de la sixième circonscription du Rhône et lui-même industriel des nouvelles technologies) était en train de flamber. Parce que les start-upers ne se contentent pas de brasser du vent, ils et elles incarnent ce capitalisme joyeux où chacun devient entrepreneur de sa petite vie et essaie de faire fructifier ses idées, soit en réinventant la roue, soit en créant des applis et des services qui bénéficient de fonds publics et de subventions d’anciens services publics pour... palier la disparition des services publics.
Ouvert en 2016, Bel Air Camp s’est auto-baptisé « le repaire de l’industrie de demain ». Le lieu propose « des bureaux, des ateliers privatifs, un parc machines, des salles de réunion… permettant à des start-ups, PME et grands groupes de faire grandir leur projet au sein d’une communauté aux profils variés. » Ça fait rêver, non ? Comme n’importe quel lieu du genre, Bel Air Camp accueille aussi plein de trucs aux noms plus ou moins compréhensibles mais qui ont pour but de donner des atours cool à ce capitalisme à la sauce numérique : des meetups, des chaînes slacks [3], des salles de sport, des séances d’initiation à l’impression 3D et à la découpe laser ou des déjeuners mensuels pour créer des synergies business avec les autres entreprises du lieu...
Parmi les start-ups (les responsables de Bel Air Camp parlent de « pépites ») accueillies là-bas on trouve un peu de tout : des boîtes qui livrent de la bouffe bio, une autre composée de mamans « qui créent des produits beaux et astucieux pour conserver les souvenirs d’enfance » (sic !), des développeurs et des communicants en tous genre, des spécialistes de la réalité augmentée, des informaticiens, des fabricants de drones sous-marins et de robots, une architecte, etc. Au milieu, on tombe même sur cette association « qui impulse et coordonne les concours régionaux et nationaux, étapes de sélection pour constituer l’Équipe de France des Métiers qui a pour vocation de défendre les couleurs de la France à la compétition internationale WorldSkills ».
En général, tout ça se présente comme très vertueux. MCE-5 se présente comme transformant « des inventions issues de la Recherche en technologies innovantes et les [transférant] à l’industrie en vue de réduire l’empreinte environnementale de la propulsion automobile » (si on décode un peu ça veut dire faire profiter l’industrie automobile de recherches financées sur fonds publics). À côté de l’industrie auto, celle du vélo est bien représentée, avec deux fabricants de triporteurs, un spécialiste des batteries et un constructeur de vélos en bambou (défaut du modèle : inflammable). Plus rigolo, dans les boîtes qui ont cramé, on trouve ironiquement le « leader de l’exposome qui développe une solution apps + IoT permettant de tester si l’environnement immédiat (air, eau, aliments, bruit,...) présente un risque pour la santé » et un « concepteur et intégrateur de services d’alerte innovants pour prévenir les risques et renforcer la sécurité ». Bref, Bel Air Camp c’est un peu la cour des miracles et une caricature de ce genre de lieux.
Comme le résumait le journal grenoblois Le Postillon dans un excellent article, « dans nos sociétés modernes-innovantes-à-la-pointe-du-progrès, il n’y a plus d’argent pour les hôpitaux, pour les trains régionaux, pour l’hébergement d’urgence, pour que les aides à domicile aient des conditions de travail décentes, etc. Par contre, il y en a toujours pour les start-up. » Bel Air Camp a d’ailleurs largement bénéficié du soutien des pouvoirs publics à son lancement et en profite encore régulièrement aujourd’hui. C’est aussi le cas d’un paquet des entreprises accueillies.
Ce 8 octobre, le tout Lyon s’activait déjà pour trouver une solution de relogement aux 350 statupers naufragés. Une réunion où David Kimelfeld, le président de la Métropole de Lyon, devait être présent, se tenait à 14h30. On découvre au passage que les besoins de relogement peuvent déclencher une réaction politique rapide. Il nous vient donc une idée : et si le personnel politique et administratif s’attachait à trouver des logements aux exilés avec autant de zèle qu’ils ne le font avec les représentants de la start-up nation ?
Des start-upers démissionaires
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