On sent bien au fond de nos tripes qu’une opération émotionnelle est à l’œuvre.
Où sont les défenseurs de la liberté lorsque partout en France et dans le monde, sont mutilées ou tuées des personnes qui se battent contre une énième destruction des milieux naturels et de leurs communautés pour développer des infrastructures visant à fluidifier toujours plus un monde qui nous échappe déjà ? Pourquoi les réseaux sociaux ne s’enflamment pas quand le symbole universel de la révolte contre l’oppression que sont devenus les palestiniens sont méticuleusement massacrés, à échéances régulières ?
On entend partout dénoncer la barbarie, comme réalité extérieure, mais séquestrer des personnes, parfois gravement malades, parfois sans perspectives de sortie (car la perpétuité réelle existe en France), n’est-ce pas barbare ? Attacher à leur lit pendant des mois et droguer de force des personnes qui sont psychiquement inadaptées à ce monde, n’est-ce pas barbare ? Et dans ces pays dits "arriérés", abandonne-t-on ses anciens dans des mouroirs de masse ? Sans parler du sort que l’Occident, dont on nous demande aujourd’hui de défendre les valeurs, réserve aux vies animales dans ses élevages industriels. Qui est barbare ?
La civilisation occidentale, après avoir arraché les individus à leurs communautés de vie, les entretient dans un vide existentiel. Pas de perspectives sincèrement désirables, pas d’imaginaire positif. Y a-t-il une vie avant la mort ? - se demandait l’autre. Le citoyen déraciné connaît un vertige psychique. On fuit dans le travail, dans le sport, les médicaments, les drogues. On consomme, pour combler le vide ressenti, on tente de s’échapper à travers les écrans. Chacun élabore son propre cocktail avec ce que la société propose. Ceux qui n’y arrivent pas car leur structure émotionnelle aspire à mieux, sont décrétés fous. S’ils réagissent, ils sont délinquants. S’ils s’organisent ils sont terroristes.
Ainsi, les Kurdes sont terroristes, parce qu’ils refusent de vivre sous la domination d’un Etat centralisé, tout comme les Touaregs, les Basques, les Indiens du Chiapas..., chaque communauté qui résiste à l’arrachement généralisé. Et ceux qui, après avoir été déracinés, écoutent ce qu’il leur reste de pulsion vitale pour se re-trouver et inventer des vies qui valent la peine. Tous ceux que l’Etat épingle comme terroristes ne sont pas psychiquement déstructurés au point de "kalacher" des dessinateurs octogénaires. Et ceux que la société reconnaît comme ses fonctionnaires pratiquent en toute légalité des actes barbares : les policiers qui raflent des enfants, éborgnent ou tuent des manifestants, les gardiens de prison qui torturent... parce que c’est leur travail.
Le choc des dernières attaques rappelle s’il en était besoin que le mythe de la société pacifiée et sécurisée est bien fragile. Il ne tient que parce que l’on y adhère. Il suffit qu’une poignée de malades dévissent, et tout s’effondre. C’est en cela que c’est un mythe, une croyance psycho-sociale, à laquelle on adhère qu’à moitié. En réalité, on sait bien que l’Etat peut bien investir les sommes qu’il veut dans le maintien de l’ordre, cela n’empêchera jamais des personnes psychiquement déséquilibrées de semer la terreur.
Ce qui nous traumatise, ce ne sont pas tant « les terroristes », c’est de se voir rappeler aussi brutalement qu’en tant que citoyens, nous ne sommes rien. Rien d’autre que des êtres isolés, fragilisés, car sans prises sur nos territoires de vie. En cas de catastrophe industrielle ou climatique, en cas d’attaque, par des islamistes ou par des fascistes, l’Etat ne peut rien pour nous. Sortir de la peur, c’est admettre cette évidence et en prendre acte, c’est à dire s’organiser en conséquence. La seule vraie défense que l’animal humain ait pu développer au cours de son évolution, c’est d’organiser la vie à plusieurs dans un milieu maîtrisé. Sans ça, on est rien, donc on tremble.
Alors à quoi servent les lois anti-terroristes, les fouilles et les contrôles policiers si en fait cela ne nous protège pas contre les délires imprévisibles ? La police, dans son ensemble complexe et diffus, sert en réalité à nous faire adopter un type de comportement, qui permet de maintenir un certain ordre du monde. Techniquement impuissante contre un pétage de plombs, elle n’en a pas moins la capacité à nous faire suivre le « bon » chemin.
De la même façon, les caméras nous font une belle jambe face à des assassins suicidaires. Par contre, elles sont des plus efficaces pour discipliner les corps, faire culpabiliser chacun de nous inconsciemment, et nous apprendre à garder les bonnes manières.
Paradoxalement, et avec l’habileté qu’on lui connaît, l’ordre dominant parvient à transformer un événement qui révèle sa totale impuissance, en une occasion de renforcer la cohésion autour de lui. Au lieu de prendre conscience qu’il faut nous ré-organiser entre nous, autour de notre quartier, notre village (la métropole est en soi mortifère), on chante la Marseillaise. C’est une opération magique, de sorcellerie collective, qui vise à conjurer l’évidence. Mais on ne fait que s’illusionner un peu plus et entretenir notre état de fragilité angoissante, jusqu’à la catastrophe suivante. Dans la France d’après Charlie, les bons Français ont peur des islamistes, les basanés ont peur des fascistes, et chacun s’en remet à l’Etat.
Sauf qu’entre ces courants affectifs de masse qui veulent nous submerger, certains se redéploient collectivement sur des territoires pour retrouver une capacité autonome dans tous les domaines vitaux de l’existence (l’alimentation, l’énergie, la construction, le soin.... et aussi, il faudra bien l’admettre, l’auto-défense). Organiser des mondes qui produisent moins de souffrance psychique, moins de corps qui soient des armes chargées et braquées sur leur voisin, des mondes où on aura pas honte d’être heureux car cela ne signifiera plus cautionner la barbarie.
1000communes @ riseup.net
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