À Vaulx-en-Velin, mobilisation pour une autre rénovation urbaine et un relogement digne

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Vaulx-en-Velin

Le samedi 8 octobre, dans le quartier du Mas du Taureau, une journée de réflexion et de rencontre a réuni habitant·e·s d’immeubles voués à la démolition, militant·e·s des quartiers populaires et militant·e·s s’opposant aux grands projets inutiles. Retour sur une journée de convergence qui en appelle d’autres.

À l’appel du collectif Vaulx-Debout, une cinquantaine de personnes se sont retrouvées au Mas du Taurreau en fin de matinée. Elles sont restées ensemble jusqu’à 17 h. La rénovation urbaine gagne toute la ville de Vaulx-en-Velin, mais ce sont pour l’instant surtout les ensembles de Mont Gerbier et Mont Ceindre qui sont touchés.

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Vers midi, les prises de parole publiques ont eu lieu sur la place du Mas du Taureau, à proximité du marché et du centre commercial. Les orateurs ont souligné la nécessité de l’alliance entre habitant·e·s des quartiers populaires et militant·e·s qui ne vivent pas là pour construire un rapport de force et construire des alliances que l’État et les politiciens locaux veulent à tout prix éviter. Quelques dizaines de personnes écoutent la totalité des discours, ce sont principalement des militant·e·s venu·e·s spécialement pour l’occasion. Les habitant·e·s du quartier sont nombreux et nombreuses à passer et à écouter quelques minutes avant de poursuivre leur chemin. On se dit que construire des ponts va prendre du temps.

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Un barbecue/pique-nique convivial a ensuite eu lieu dans le parc situé entre deux barres qui vont être prochainement démolies. La journée se poursuit par une discussion sur la possibilité de construction d’un rapport de force pour améliorer les conditions de relogement des personnes d’ores et déjà touchées par la destruction programmée de leurs logements et pour s’opposer au mécanisme progressif de gentrification que la rénovation vise à engendrer.

Vaulx-en-Velin, Notre-Dame-des-Landes, symboles des politiques d’aménagement du territoire

L’appel à la journée faisait un parallèle explicite entre la lutte contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes et celle contre les conséquences de la rénovation urbaine de Vaulx-en-Velin. Le principal point commun entre ces deux projets d’aménagement est qu’ils se font sans aucune consultation des premier·e·s concerné·e·s dont ils piétinent les existences dans une perspective de rentabilité économique.
À Notre-Dame-des-Landes, l’objectif est de faire du fric en faisant atterrir des avions.
À Vaulx-en-Velin, il s’agit, au nom de la mensongère « mixité sociale », d’attirer des populations plus aisées que celles qui peuplent actuellement la ville la plus pauvre du Rhône. Pour cela, il faut faire place nette ; c’est-à-dire à la fois hausser les standards de l’habitat pour qu’ils soient plus séduisants pour les petits propriétaires de la classe moyenne que la ville souhaite attirer, et rendre plus difficile pour les plus pauvres de vivre dans le quartier, soit en les relogeant dans d’autres villes, soit parce que les loyers qu’on leur propose sont trop importants. L’agence nationale de la rénovation urbaine (ANRU) applique une méthode en trois temps : d’abord on vide les immeubles en relogeant ailleurs leurs locataires, ensuite on démolit, enfin on reconstruit en faisant appel parfois à des bailleurs sociaux, plus souvent à des promoteurs privés.

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Un second point commun entre la rénovation du Mas du Taureau et l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes est le symbole que représente Vaulx-en-Velin pour le gouvernement. En effet, si le maire officiel de Vaulx-en-Velin est Pierre Dussurgey (PS), depuis février 2016, il ne l’est devenu que parce que la maire élue en 2014, Hélène Geoffroy (PS), a été appelée pour rejoindre le gouvernement de Manuel Valls. Elle y est devenue Secrétaire d’État… à la politique de la ville. Autant dire que, pour celle qui en charge de la rénovation urbaine, il est important que la plus grosse opération de l’ANRU au plan national dans son ancienne ville soit une réussite.

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Des relogements dans des appartements plus petits et plus chers, au mépris des règles de l’ANRU

Lorsqu’on écoute les habitant·e·s concerné·e·s par le relogement, que celui-ci ait déjà cours ou soit programmé dans un futur proche, ce n’est pourtant pas le terme de réussite qui vient à l’esprit. Elles racontent les galères de leur vie quotidienne et les difficultés qu’elles rencontrent lorsqu’elles tentent de faire valoir leurs droits vis-à-vis des bailleurs et de la mairie.

Les personnes présentes habitent toutes dans deux barres qui doivent bientôt tomber, elles font partie des vingt dernières familles à les occuper. Ici, il semble un peu tard pour empêcher la destruction mais il est encore temps de se battre pour que le relogement se fasse dans les règles imposées par l’ANRU elle-même. L’agence exige ainsi que les personnes soient relogées dans des appartements équivalents à ceux qu’elles quittent que ce soient en termes qualitatifs (superficie et nombre de pièces comparables) ou financiers (loyer identique). Pourtant, l’expérience des Vaudais montre que les relogé·e·s rejoignent le plus souvent des appartements plus petits et plus chers.

Le relogement doit théoriquement se faire selon les vœux des personnes qui doivent quitter leur logement, lesquelles souhaitent pour la plupart rester à Vaulx-en-Velin, d’une part, dans le quartier dans lequel elles vivent actuellement, de l’autre. Pourtant, les personnes présentes ce samedi racontent qu’elles se sont vu annoncer que seules trois propositions allaient leur être faites et qu’elles n’auraient d’autres possibilités que de choisir parmi elles, même si aucune ne leur convient. La menace de l’expulsion plane.

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Mairie et bailleurs main dans la main pour mettre les familles sous pression

Les moyens de mettre la pression sur les habitant·e·s employés par les bailleurs sont nombreux. Pour les pousser à accepter des offres de relogement qui ne leur correspondent pas et freiner toute possibilité de solidarité collective, ils les isolent en traitant toujours séparément avec chaque famille. Mairie et bailleurs laissent aussi les conditions de vie des dernières personnes qui occupent les immeubles se dégrader, à la limite de la dignité. Ainsi, alors même que les locataires payent encore des charges pour l’entretien des espaces communs, ceux-ci ne sont souvent plus nettoyés systématiquement et se détériorent. Dans certaines parties des espaces publics, l’entretien se fait très rare et les ordures s’accumulent. L’isolement dans les allées, au-delà de la saleté qui les gagne, est aussi assez glauque. Le but recherché est clair : donner aux personnes l’envie de partir au plus vite.

La démolition : une fausse nécessité

Les projets de rénovation urbaine tels que ceux en cours au Mas du Taureau consistent en la démolition d’un bâtiment afin d’en construire un nouveau, plus moderne, plus en adéquation avec les normes de sécurité. Face à des équipements vétustes, la rénovation est bien souvent présentée comme le seul choix envisageable dans le cadre de l’aménagement du territoire. Cependant, il existe d’autres alternatives telles que la réhabilitation. Il s’agit non plus de démolir mais de restaurer le bâtit dégradé dans une logique partenariale. Impliquant à la fois élu.e.s, acteurs associatifs, services de l’Etat et habitant.e.s, ce modèle d’aménagement urbain, s’il n’est pas exempt de critique, a au moins le mérite de tenter de faire participer les populations touchées à la transformation de leur quartier. De plus, ces chantiers de réhabilitation peuvent prendre la forme de chantier d’insertion, permettant ainsi de donner des opportunités économiques à des personnes en difficulté. Enfin, ils permettent d’éviter tout ce processus lourd et contraignant de relogement et de déplacement de population. Entre démolition au profit de promoteurs privés et réhabilitation impliquant une réflexion collective, l’Etat semble avoir fait son choix.

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Soutenir les familles en cours de relogement, construire un rapport de force

Les vingt familles doivent rencontrer la mairie et les bailleurs jeudi 13 octobre au matin. Peu d’entre elles pourront s’y rendre en raison de l’heure qui ne permet pas aux habitant·e·s qui travaillent ou qui gardent les enfants d’être disponibles. Elles essaient de la faire déplacer, sans beaucoup d’espoir, habituées qu’elles sont du mépris avec lequel on traite les plus précaires. Elles appellent à les soutenir. Il va aussi rapidement falloir le faire avec les centaines de familles pour lesquelles le processus de relogement n’a pas encore commencé. Pour ce faire, vous êtes invité·e·s à venir vous organiser avec les habitant·e·s, place du Mas du Taureau chaque samedi matin au moment du marché.

Prise de parole lors du rassemblement de la place du Mas du Taurreau


« On est dans un système qui est fait pour nous diviser, pour rendre les gens de plus en plus précaires, pour nous isoler, pour nous encourager à la passivité, à l’indifférence… ». Ainsi débute l’intervention de Pierre Didier, membre du collectif vaudais, venu prendre la parole pour expliquer la teneur de ses revendications. Son discours d’une grosse quinzaine de minutes est éloquent. Il y évoque la situation d’isolement des habitants des quartiers populaires, tant sur le plan physique et social que juridique, et dénonce un système « qui arrive très bien [à imposer aux gens] par des moyens fallacieux et illégaux l’obligation d’aller vivre ailleurs ». L’homme insiste fortement sur cette volonté politique d’atomiser les citoyens dans leurs revendications afin de rendre impossible, voire impensable toute mobilisation collective. Pourtant « hier comme aujourd’hui, c’est la lutte qui fait avancer les choses » insiste Pierre Didier pour contrecarrer le sentiment d’impuissance qu’il perçoit chez les vaudais. Cette mobilisation, elle passe par la convergence des différents mouvements cherchant à défendre un territoire face à des intérêts privés à la voracité pécuniaire toujours plus grande, décomplexée, et surtout organisée. « On veut nous voir séparés, divisés et exclus, c’est pour ça que nous organisons cette journée-là en collaboration avec Notre-Dame-Des-Landes ».

Il rappelle également l’histoire de Vaulx-en-Velin : cette ville « creuset de l’immigration » se dessine dans une identité « multiculturelle ». Et c’est là tout le poids de ce discours : Pierre Didier oppose cette identité plurielle avec l’idée de mixité sociale imposée par les politiques d’aménagement urbain. Cette idée-là, à la fois un moyen et une fin de la politique de la ville, ce n’est pour lui qu’un prétexte à « l’éparpillement » et l’isolation des individus. En effet, à quoi bon faire venir des personnes des classes moyennes, organisant ainsi la gentrification par la hausse des loyers, alors que les habitants actuels ne demandent qu’à avoir un emploi, qu’à gagner plus, qu’à vivre dans la dignité. La mixité sociale relègue finalement les plus précaires toujours plus loin des villes, bien à l’abri des regards pour que ne soit visible qu’une cité propre et sans misère.

C’est sur un appel à la mobilisation collective que Pierre Didier conclut sa tirade. « Nous sommes ici pour dire Non ! […]Nous refusons ça. Non seulement nous refusons ça, mais nous allons nous retrousser les manches parce que nous avons de la valeur, parce que nous sommes des gens intelligents, parce que nous nous respectons, parce que nous avons une histoire […].Et nous allons travailler et nous organiser. Et le travail, il commence par résister. Résister c’est quoi ? C’est être débout ! Nous sommes debout, nous sommes dignes, fiers ! Fiers de ce que nos parents nous ont légué, fiers de ce que nous avons vécu avec nos voisins, fiers des gens qui sont ici pour nous soutenir ».

P.-S.

Article réalisé dans le cadre du collectif d’entraide à la rédaction.

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