le rade doit être placé dans une commune de moins de deux milles âmes
il doit constituer le dernier, ou l’un des derniers, commerce du village
posséder une licence 4
être ouvert toute l’année
organiser des animations (au moins trois par an)
proposer au minimum une restauration de type casse-croûte à toute heure, basée sur des produits régionaux
si une restauration complète est assurée, proposer des repas où les recettes et les produits du terroir tiennent une place prépondérante
promouvoir les produits de terroir
disposer des principaux documents d’informations touristiques locales
offrir quelques services de base (épicerie, pain journaux...)
C’est marrant parce que quand on regarde ce programme, on voit tout de suite l’imaginaire qui va avec. En gros, c’est le village de l’immédiate après-guerre, dans lequel l’acculturation qu’entraîne l’artificialisation de la vie moderne n’est pas complètement intégrée dans les esprits d’individus qui ont donc encore des réflexes collectifs (en gros : solidarité et convivialité). Une sorte d’imaginaire à la Amélie Poulain, car il faut bien se mettre ça dans la tête : les organisateurs du bétail humain – généralement des bac+5 – sont désormais complètement incultes.
Bon, tout d’abord, une mise au point : c’est lâche, me diras-tu, de s’attaquer à une cible facile ayant fait moult fois montre de son... immense compétence mais qu’y puis-je si c’est encore la sémillante équipe du Pays de l’Ardèche Méridionale qui, une fois de plus, plante le décor ? Un mot pour celui qui ne la connaît pas. Lis la littérature de propagande du Pays de l’Ardèche Méridionale et tu verras s’exhiber le culot de ces techniciens petit-bourgeois qui n’ont pas peur de se payer de mots : un "territoire solidaire", "ouvert et accueillant", "productif", "un territoire d’excellence de vie, d’innovation", etc., etc. Toutes les tartes à la crème du développement, tous les mots de la novlangue des institutions bourgeoises sont présents. Mais soyons juste, que l’on regarde les plaquettes de propagande du Conseil Régional, du Conseil Général, des communautés de communes, c’est toujours la même litanie, la même obsession de présenter aux citoyens une pensée positive alors que ces mêmes organisations sont à la base de la destruction des terres et des peuples qui les habitent. Ainsi, par exemple, la propagande de la Région Rhône-Alpes annonce : une "terre d’excellence" (super original...), une région "Rhône Alpes citoyenne", "désirable" (si si ! Je te dis que c’est vrai, vérifie toi-même lecteur), "engagée", qui "tisse des liens entre ses territoires", etc. Je t’épargne tout le reste, on s’en branle.
Le Pays de l’Ardèche Méridionale, pour revenir à lui donc, est une structure de gouvernance locale, c’est-à-dire que l’on rassemble ce que le lexique néo-fasciste de la gouvernance nomme les acteurs (mot qui annonce un individu, scindé, schizophrène [1]), on leur fait croire qu’ils discutent de choses sérieuses et, au final, on leur fait accepter – généralement à l’unanimité (signe que les votes se passent sans pression aucune et que nous sommes en démocratie et non, comme certains aigris le laissent entendre, dans une oligarchie avec des structures dignes du politburo soviétique [2]) – les projets préparés à l’avance par des techniciens sans âmes qui fonctionnent dans l’idéologie dominante. Ca s’appelle du management politique c’est-à-dire de la gouvernance. Évidemment, il fallait que ce machin qu’est le Pays, qui tombe dans tous les panneaux du développement territorial, tombe également sur cette caricature que sont les "Bistrots du Pays®" et fonce dedans. En effet, le Pays de l’Ardèche Méridionale est une institution ardéchoise vraiment typique du vide d’idées qu’entraîne l’adoration de l’idéologie dominante. Mais ne soyons pas injuste : le Pays n’est pas seul dans ce projet auquel participent également le Conseil Général de l’Ardèche (alors là, il faudrait une thèse pour dénombrer les catastrophes dues à ce truc) et la Chambre de Commerce et d’Industrie de l’Ardèche Méridionale (eux, on ne les présente pas : leur seule obsession est d’exploiter tout ce qui est faible et qui travaille).
Avant de commencer la description de la pantalonnade que représente chacune des inaugurations de ces rades (qui ont eu lieu en 2008), rappelons que l’opération Bistrot de Pays® coûte 57 000 € au Pays de l’Ardèche Méridionale. Belle somme, n’est-ce pas ? Pour sûr elle va être bien utilisée par ces institutions qui se disent si préoccupées de l’utilisation rationnelle des fonds publics... Alors ça donne quoi les inaugurations de ces pauvres bars soudainement transformés en clinquant Bistrot de Pays® ? Chaque inauguration d’un des 15 Bistrots de Pays® de l’Ardèche Méridionale donne lieu à une animation et surtout à un buffet avec petits fours et boissons alcoolisées : ceux qui connaissent le monde des oligarques [3] vont pouvoir imaginer l’engouement de ces derniers. On n’a pas idée de la torture que représente de tels événements pour les gosiers des oligarques locaux, obligés d’attendre la fin des discours totalement vides de leurs confrères mus par la seule volonté de briller en société, puis sommés d’attendre la fin d’une animation artistique dont tout le monde se contrefout avant de pouvoir se jeter sur la bouffe et l’alcool. Notons que si les oligarques sont bien obligés d’écouter leurs pairs, à qui ils ne veulent pas déplaire au risque de se voir retourner un jour la pareille, il en va tout autrement des intermittents du spectacle qui, eux, auront beaucoup plus de mal à se venger d’un éventuel affront et, par conséquent, ne méritent visiblement pas le respect. C’est pourquoi le rush commence alors que les artistes essayent de bien faire pour ne pas déplaire à leurs obèses majestés.
De l’avis de plusieurs artistes interrogés, les spectacles sont plutôt nuls (coupés, retravaillés pour la circonstance). Mais les techniciens de Pays en sont très contents. Dans ce monde technico-scientifique, la marque du goût s’apparente à la capacité de discourir sur l’art. Et l’on voit fleurir des discussions dans lesquelles chacun essaye de se faire mousser : les techniciens affirmant que les spectacles sont très cohérents avec l’événement, les oligarques voyant là l’occasion de se montrer sous un jour positif - cela est d’ailleurs la principale activité de leurs mandats - bref tout le monde est content. Et l’on voit cette situation digne de romans de science-fiction dans laquelle une oligarchie d’obèses, secondée par de jeunes techniciens lèches-cul aux dents longues qui essayent de faire carrière et rêvent d’être, peut-être un jour, calife à la place du calife ; une oligarchie donc qui se gausse, pouffe, bouffe, picole, observée par un prolétariat artistique exploité qui la méprise autant qu’il se sent méprisé.
Un monde à la Bilal.
Attention, n’oublions pas l’acte de propagande, c’est-à-dire l’objet principal de tout ce micmac. Les journalistes, non moins lèches-cul que les techniciens, sont présents. Pour l’inauguration du Bistrot de Pays® dont il est question ici, ton serviteur a retrouvé et questionné des acteurs présents qui affirment – et je les crois volontiers – qu’on a monté une scène de toute pièce devant les caméras de France3 pour faire croire que le moment était vraiment convivial (c’est la scène de bouffe où le patron sert des assiettes faites à la hâte pour de faux clients). On en est là : des actes de propagande au quotidien digne de la grande époque de l’Union Soviétique (en fait, je suis sûr que la propagande n’était pas aussi systématique sous Staline, les moyens techniques n’existaient pas et surtout, j’ai du mal à imaginer que l’embrigadement idéologique était autant incrusté dans les individus). Enfin, les patrons des rades en question sont dégouttés parce que les petits fours et l’alcool sont à leurs frais. Ils ont donc eu l’honneur de débourser pour voir la clique élue accompagnée de sa cour s’en foutre plein le bide pour pas un rond. Et là, comment ne pas citer quelques lignes de la Tribune sur une de ces inaugurations, qui montrent bien que la presse locale n’est pas un sombre organe de propagande néo-fasciste comme certains jaloux l’affirment :
"Jean-Paul Laffont et sa compagne Florence avaient convié à cette symbolique et conviviale manifestation les habitants du village et leurs amis. [4]"
À cette inauguration-là, je n’y étais pas mais pour le "avaient conviés", comprenez que les patrons raquent et les oligarques débarquent parce que c’est le programme imposé. Merveilleux journalistes, pas du tout au garde à vous devant la clique. Je propose à la Tribune de se renommer La Vérité [5], tant ce journal démontre avec une passion toute professionnelle que dans le système totalitaire, un mot veut dire son contraire et que la vérité, on s’en fout puisque c’est les entreprises et les institutions, systématiquement à leurs bottes depuis la révolution française, qui la font et ce quelque soit la réalité.
Pour revenir au Bistrot Machin®, précisons qu’en plus, on va faire chier les patrons avec des formations qui, soyons en sûr, vont faire honneur au monde de la formation déjà réputé pour ne pas être du tout une nébuleuse de fumistes qui pompent des salaires pour apprendre aux gens ce qu’ils savent déjà ou ce qui ne leur servira jamais. Non, le monde de la formation n’est pas un rite de passage entièrement symbolique qui remplit une fonction totalement différente de ce qui est annoncé officiellement.
Au delà de l’aspect ubuesque de ce genre de manifestations de merde, essayons de comprendre dans quel monde nous pénétrons. En gros, une fois de plus, les institutions tentent de nous faire croire que, bien que leur rôle soit d’imposer le système qui détruit la planète sur toutes les terres qu’elles contrôlent, elles sont capables de sauver les traditions, c’est-à-dire les us et coutumes élaborés de façon autonome par les milliers de générations qui nous ont précédés. En maintenant cet apparat de tradition qu’est cette fausse convivialité et ce service [6] qui n’en est pas un puisque d’une part il rentre dans un échange monétaire et que d’autre part, il est voulu par une autorité extérieure, les institutions exhibent une image dégradée de la tradition. Ainsi, elles effectuent une double trahison. Tout d’abord, elles confirment aux gens de gauche que la tradition est un fait asservissant (ainsi, bien que contestataires vis à vis de l’autorité, ils acquiesceront aux stratégies du pouvoir central destinées à nous faire rentrer dans sa modernité). Ensuite, elles trompent les gens de droite, qui s’en accommodent d’ailleurs fort bien, en leur faisant croire que la tradition ne peut vivre que par elles. Pour toute une partie de la population, la tradition est liée aux idées d’autonomie, de convivialité, et c’est cette strate du peuple qui, méprisée par les individus dits « de gauche » qui n’entendent rien à la tradition et sont par conséquent modernistes, se retrouve dans les bras de la droite. Nous avons donc des institutions qui vendent pour leur plus grand profit une idée dégradée de la tradition, un folklore, un truc complètement réactionnaire, alors que dans les faits, la tradition n’est pas un système en tant que tel (bien qu’elle puisse en fonder) mais juste la manière dont les humains sont ensembles, en communauté, en se souvenant du passé [7]. Il n’y aura jamais de convivialité sans autonomie. Or les institutions altèrent toute autonomie. Il suffit de nous regarder tous dans la rue : tout le monde tire la gueule, nous ressemblons à une communauté de gens qui n’ont pas envie d’être ensemble.
Le décalage entre la destruction de toute forme d’humanité et la propagande gentiment débile des institutions ferait rire si les enjeux n’étaient pas aussi immenses. Ainsi le label Bistrot de Pays®, avec tout son folklore ridicule, est en réalité une marque déposée [8], tu l’auras compris. Tout est parfaitement organisé pour faire croire au péquenot lambda qu’il baigne dans de l’authentique. En réalité, tout est structuré, mesuré, évalué, contenu par des techniciens. Il n’y a plus rien d’autonome là-dedans. C’est un peu le même principe que Disneyland : on crée un monde enchanté pour prévenir toute possible prise de conscience de l’artificialisation du monde qu’entraîne l’action de ces mêmes institutions. Dans les dispositifs que mettent en place ces dernières, il y a un double mensonge. Tout d’abord, bien que totalement inefficaces, ils sont, si on prend la propagande au sérieux, en fait destinés à atténuer les effets des politiques que le pouvoir central, donc les institutions, met en place (ainsi, les institutions renforcent-elles les tendances oligopolistiques des marchés en désenclavant - encore un mot de propagande – les terres transformées en territoires, c’est-à-dire en zones fonctionnalisées. Par conséquent, elles dévitalisent les aires les plus sensibles, aires qu’elles annoncent ensuite vouloir revigorer avec des projets bidons comme Bistrots de Pays®. Les institutions créent les problèmes et leurs solutions : elles se renforcent des catastrophes qu’elles provoquent). Ensuite, second mensonge, la vraie efficacité de ces dispositifs tient en l’impossibilité dans laquelle ils mettent la population de conscientiser collectivement l’affadissement de la vie. Voici le nouveau visage du fascisme. Ne t’attends plus à voir un malade haranguer les foules en leur promettant la Solution Finale. Non, le néo-fasciste est un manager, un technicien sympa qui parle positif pendant que le système artificialise la vie et le monde. Au final, c’est bien dans les petits événements quotidiens que se lit le mieux la gigantesque tragédie que représente la Modernité.
totof
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