C’est nous les Canuts encore tout nus, mais révoltés et toujours solidaires !

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Révolte des canuts

Ce n’était pas encore Grenelle, ce n’était que l’Ancienne Préfecture à Lyon, rue Confort. Et nous étions le 23 novembre 1831. Le préfet Bouvier Dumolart, homme matois et expérimenté, conscient que désormais, il incarne à lui seul l’autorité gouvernementale et ne peut demeurer inactif.... Un texte sur la résolution de la révolte de novembre 1831 par les autorités publiques de l’époque.

Ce n’était pas encore Grenelle, ce n’était que l’Ancienne Préfecture à Lyon, rue Confort. Et nous étions le 23 novembre 1831. Le préfet Bouvier Dumolart, homme matois et expérimenté, conscient que désormais, il incarne à lui seul l’autorité gouvernementale et ne peut demeurer inactif, réfléchit. "Les ouvriers compagnons, écrira-t-il dans ses mémoires, avaient seuls pris les armes ; mais les chefs d’ateliers n’avaient point participé à l’insurrection. C’est en eux que je cherchais ma force. Et c’est en eux seuls que je pouvais la trouver, dans l’état de démoralisation et de réprobation où se trouvait la garde nationale aux yeux de la partie agissante de la population. Je me hâtai de les convoquer. Et je fis en même temps publier la proclamation suivante : OUVRIERS ! Vos présidents de sections vont se rendre auprès de moi pour rechercher, de concert avec vos magistrats, les moyens de soulager vos malheureux états de souffrances ; ce sont de bons citoyens. Placez en eux toute confiance, écoutez-les quand ils vous diront que votre premier besoin, comme le nôtre, est le maintien de l’ordre et le rétablissement de la tranquillité publique."

Aux seize chefs de sections, Bouvier Dumolart donne lecture du placard séditieux imprimé par l’Etat Major provisoire installé à l’Hôtel de Ville. L’indignation des chefs de section est immédiate. Elle est d’autant plus vive que les rédacteurs de l’affiche menacent en fait directement le pouvoir de ces chefs de section, en décrétant de nouvelles élections de syndics. Aux yeux de ces hommes modérés, qui étaient à l’origine, il faut le rappeler, du mouvement du 25 octobre, et parmi lesquels ont trouve Charnier, Falconnet, Bouvery, les membres de l’Etat major qui siégeaient à l’Hôtel de Ville ne pouvaient avoir de légitimité, puisque Lacombe et ses sbires s’étaient auto-promus et auto-désignés à l’issue d’une nuit folle et d’une sorte de coup d’état municipal digne d’un vaudeville : le pouvoir, dans cette perspective, appartenant au sens propre à celui qui le ramasse le premier. Après s’être indignés oralement, les seize chefs d’ateliers s’offrent donc à rédiger une protestation écrite, qu’ils signeraient et qui serait, à son tour affichée dans la ville. (On imagine, à la lecture de cette série de placards successifs et contradictoires, la perplexité de la population). C’est ainsi que, dans la même matinée, cette proclamation du préfet finalement est affichée : "Ouvriers, respect à la loi, respect à la propriété. Ne souffrez pas que des malveillants se glissent dans vos rangs pour faire calomnier vos intentions. Vous m’avez appelé votre père, et je veux l’être de bons enfants. Lyon, en l’hôtel de la préfecture, le 23 novembre 1831. Le Préfet, Du Molart. ". C’est ainsi que la proclamation d’un second état-major représentatif du mouvement est aussi publiée, ce qui confirme le fait que les ouvriers ont désormais deux "têtes" : "LYONNAIS ! Nous soussignés, chefs de sections, protestons tous hautement contre le placard tendant à méconnaître l’autorité légitime, qui vient d’être publié et affiché avec les signatures de Lacombe, syndic ; Charpentier Frédéric et Lachapelle. Nous invitons tous les bons ouvriers à se réunir à nous, ainsi que les citoyens de toutes les classes de la société, qui sont amis de la paix et de l’union qui doit exister entre tous les vrais Français. Lyon, le 23 novembre 1831. Boferding, Bouvery, Falconnet, Blanchet, Berthelier, Biollay, Carrier, Bonard, Labory, Bret, B. Jacob, Charnier, Niel, Buffard, Sigaud, Farget. Approuvé par le préfet, Du Molart."

Alors Bouvier Dumolart, après avoir obtenu des "seize" l’assurance de leur parfait loyalisme, désigne ensuite parmi eux dix à douze personnes, toutes chefs d’ateliers, pour faire fonction de représentants officiels des ouvriers et remplacer ceux qui s’y étaient intrusément installés à l’Hôtel de Ville. Dans la soirée du 23 Novembre, deux "Etats-majors provisoires" se trouvent ainsi face à face : l’un, qui s’appuie sur les Volontaires du Rhône, qui occupe l’Hôtel de Ville et se fait obéir dans la partie Nord de Lyon et à la Croix-Rousse ; l’autre, qui s’appuie plus sur la partie ouvrière de la Garde nationale, s’est constituée à la Préfecture et semble influent dans le reste de la ville, notamment dans les quartiers ouvriers de la rive droite de la Saône. Cette situation, déjà en soi extrêmement confuse, se complique singulièrement dès lors que dans ces deux camps en rivalité à la tête du mouvement, se trouvent des sympathisants carlistes, et d’autres républicains, alliés certes d’un jour... Mais quid des lendemains ? Le matin du 25 novembre 1831, justement, les esprits sont encore loin d’être calmés. Le bruit court à la Croix-Rousse que le général Roguet va passer à nouveau à l’offensive. Il viendrait en effet de recevoir ce jour-là le soutien de 2100 fantassins, 300 artilleurs et 392 chevaux, et disposerait à ce moment-là de 11.000 hommes ! Dans tous les cabarets, des rumeurs circulent quant à l’imminence d’autres renforts envoyés de villes voisines, de l’Isère et de l’Ain. Richan, le maire de la Croix-Rousse , redoute « une mauvaise interprétation par les masses ». Il sollicite donc du préfet qu’il dissipe au plus vite ces rumeurs alarmantes, en assurant la population civile que la garde nationale ne prépare pas une offensive contre elle. Au même moment, Frédéric et Guillot, deux membres de l’ancien état-major des volontaires du Rhône qui avaient occupé l’Hôtel de Ville et signé l’affiche séditieuse, sont arrêtés et conduits au nouvel état-major, toujours siégeant, lui, à la Préfecture. Bouvier Dumolart parle de les emprisonner sur le champ, mais Martin Buisson les fait mettre en liberté. A ce moment, le Conseil Municipal discute des modalités d’exécution du tarif du 1er novembre et vote une somme de 100 000 francs afin de secourir les nécessiteux. Les secours répartis iront de 1,50 à 10 francs, et permettent simplement de nourrir les plus miséreux.

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A la Chambre des Députés, à la séance du 25 Novembre 1831, le ministre d’Etat au département de l’Intérieur donne lecture d’une communication faite par le président du Conseil, le très libéral Casimir Périer (portrait ci-contre). Ce dernier, qui possède deux jours de retard sur l’information, en est toujours, si l’on peut dire, à la journée du 23. Des placards séditieux ayant été affichés sur les murs de la capitale la veille et l’avant-veille, le Gouvernement de Louis-Philippe craint, de toute évidence, ce qu’on appelle aujourd’hui « une extension du mouvement ». Quelques extraits de cette « communication » sont savoureux et nous démontre à quel point, à quelques cent soixante dix ans, la politique balbutie et l’histoire se répète. Langue de bois et mauvaise foi : « C’est contre la liberté de l’industrie et du commerce que la révolte s’est armée. Des cris de pillage et de meurtre sont les seuls qu’elle ait fait entendre. » Langue de miel et séduction : « Des ordres ont été expédiés dans toutes les directions. Les préfets en congé retournent à leur poste. Le Conseil a dû accueillir un désir généreux que lui a manifesté Monseigneur le Duc d’Orléans, et demander au Roi d’autoriser Son Altesse Royale à partir pour Lyon, où l’appelle la patriotique impatience de se jeter au milieu de Français dont le sang coule, et d’en arrêter l’effusion. » Langue de fer et brutalité : « Mais comme ce n’est pas seulement à la générosité de mettre un terme à ces désordres, comme la justice doit suivre son cours, comme l’action du Gouvernement ne doit pas cesser de veiller, un Ministre responsable a dû se rendre aussi sur le théâtre de ces déplorables événements. M. le Ministre de la Guerre accompagne donc Son Altesse Royale ». Ainsi, le duc d’Orléans et le maréchal Soult quitteront Paris le soir même afin de se rendre illico presto dans ce théâtre de déplorables événements qu’est devenue, sous l’action de cris de pillage et de meurtre la deuxième ville du Royaume. Langue de bois, langue de miel et langue de fer déclinées côte à côte in fine mouliner la parole en langues de pute, car il faut (tout ceci est tragiquement contemporain), c’est bien connu et bien entendu de tous, savoir sortir la tête haute d’un conflit : Moralité : ce qu’on appelle aujourd’hui le néo-libéralisme n’est pas si neo que cela, puisque de la gouvernance autoritaire du Juste-Milieu à celle du sarko-système, les mêmes recettes sont appliquées.

Le lundi 28 novembre, une semaine après le début du soulèvement, les ouvriers tisseurs pensent enfin tenir leur tarif. Magasins et théâtres rouvrent leurs portes. Une proclamation du préfet annonce aux habitants l’arrivée du duc d’Orléans et les invite à revêtir des « habits de fête » qu’ils n’ont pas. La caisse municipale remet aux bureaux de bienfaisance 18.000 francs pour « "être distribués aux ouvriers nécessiteux". Les meneurs politiques les plus compromis, découragés, abandonnent la ville. Le préfet va jusqu’à annoncer une commande de 640 000 francs d’étoffes d’ameublement pour le compte de Louis-Philippe. "Si l’on se souvient de sa célèbre avarice, note au passage Fernand Rude, on peut mesurer sa frayeur !" Le duc d’Orléans et maréchal Soult, émissaires de Louis-Philippe, après un périple sans difficultés parviennent aux abords de Lyon, à Trévoux. On apprend par ailleurs que les troupes du Général Castellane (le 3e bataillon du 56e de ligne) ont rejoint celles de Roguet, lequel bénéficie ainsi d’un nouveau renfort de près de 700 cavaliers et 800 fantassins. Autour de la cité des canuts, l’étau se resserre, imperceptiblement. Le lendemain, Buisson et son Etat-Major renoncent et présentent leur démission au préfet, avec un compte rendu de leurs actes. Le bon maire Prunelle, qui a été absent durant toute la durée de l’insurrection, peut ré-intégrer sa mairie, avec en poche une déclaration larmoyante (« C’est le cœur navré de douleur… »). C’est lui qui, le 3 décembre, au milieu d’un morne silence, accueillera Soult et le duc d’Orléans entrés par le faubourg de Vaise le matin même. L’ordre régnerait-il enfin à Lyon ? Sous le titre « Historie du prolétaire », une estampe circule où l’on distingue le docteur PRUNELLE représenté sous la forme d’un crapaud bavant d’admiration devant Soult et le fils du Roi. Le 7 décembre, un arrêté du maréchal Soult déclare nul et non avenu ce tarif que, le 26 novembre, le préfet et le maire par intérim avaient encore soutenu face à toute la population. Le 10 décembre, Casimir Périer remercie Bouvier Dumolart et nomme à sa place un préfet à poigne, Gasparin. C’est l’agonie. C’est aussi le commencement d’une onde de choc qui va traverser l’Europe entière. On parlera longtemps encore, avec force lyrisme et beaucoup de conviction, de ces « émeutes qui précipitaient de la Croix-Rousse par l’abrupte descente de la Grande Côte le torrent tumultueux des canuts indignés d’injustice et affamés, venant crier leur misère devant le vieil Hôtel de Ville, faisant retentir de leurs menaces les rues étroites où, dans des boutiques sombres, la fabrique amassait des trésors. » (Citation de Justin Godart)

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A l’heure de la « résolution » du conflit, voici deux lettres rédigées par les membres de l’état-major provisoire de la ville de Lyon. La première adressée à Monseigneur le duc d’Orléans, la seconde au préfet Bouvier Dumolart, lequel, sans qu’il s’en doute, est en train de vivre ses derniers jours à la préfecture de Lyon. Grâce à son talent de négociateur, d’aucuns diraient de « récupérateur », les événements de novembre 1831 sont donc sur le point de « s’achever ». On appréciera l’ironie de la rhétorique politicienne avec laquelle les chefs d’ateliers, à cet instant convaincus d’avoir au moins réglé la question du tarif, s’adressent « au génie bienfaisant » entre les mains duquel ils remettent leur espérance en « l’aurore d’un avenir meilleur ». A langue de bois, langue de bois et demie : Qu’on se le dise ! Les lois de la communication post-moderne étaient déjà à l’oeuvre derrière les périphrases et les hyperboles neo-précieuses des négociateurs de préfecture d’antan ...

Auguste Prince,

Vous accourez parmi nous chargé par notre bien-aimé souverain de nous rendre la paix et le bonheur ; nos sentiments vous rendront cette tâche aussi douce que facile. On nous a peints aux yeux du gouvernement comme des factieux ennemis de l’ordre et de votre dynastie ; on nous a indignement calomniés. Tirons un voile épais sur l’erreur ou le hasard qui a ensanglanté notre cité ; oublions le passé, votre présence doit ramener l’espoir et la concorde, et faire fuir au loin la tristesse et la haine. Que la royauté se rassure, nous sommes ses soutiens les plus dévoués ; que l’étranger, et le factieux sous quelque couleur qu’il se présente, ne se méprennent pas à l’exposé de nos malheurs ; que rien ne soit dénaturé par l’éloignement ; qu’ils se rappellent toujours le courage qui de part et d’autre a été si malheureusement prodigué, et qu’ils se gardent de jamais le mettre à l’épreuve : notre intrépidité alors redoublerait contre eux. Pour vous convaincre de la droiture de nos intentions, Prince, nous avons cru devoir vous remettre copie de notre rapport à M. le Préfet du Rhône, pendant notre gestion. Il y a exacte vérité dans ce simple narré des faits en ce qui concerne notre conduite et les résultats que nous avons obtenus. Nous appelons votre jugement, votre équité nous le rendra propice. Nous sommes, Monseigneur, avec la plus respectueuse soumission, De votre Altesse Royale, Les très-humbles et très-obéissants serviteurs.
Les Membres de l’état-major provisoire,
Buisson, Dianot, Martinon, Chabrier, Cantat, Michallet, Damour, Bret, Richard, Leclerc.

Rapport résumé des Membres composant l’état-major provisoire de la ville de Lyon, du 23 au 29 novembre 1831, A M. le Préfet du département du Rhône.

Monsieur le Préfet,

La mort, guidée par l’erreur ou un mal-entendu, pendant deux jours avait promené sa faux meurtrière parmi nous ; l’autorité avait perdu son pouvoir ; des désordres affligeants en étaient la suite. Les passions secouant leurs torches incendiaires avaient éveillé l’anarchie qui déjà faisait entendre sa voix lugubre. A la vue du danger qui menaçait d’anéantir notre malheureuse cité, nous n’avons pas restés spectateurs impassibles ; un devoir impérieux nous commandait de mettre à profit la confiance dont nous entouraient nos concitoyens, et de tout entreprendre pour comprimer les passions et rétablir la tranquillité publique. La tâche était grande et le péril imminent, mais ce n’était rien pour nous ; le salut de notre pays nous inspirait et nous donnait le courage nécessaire pour l’exécution de notre entreprise. Vu l’urgence et sur la communication que nous vous fîmes d’accord avec la commission des ouvriers, vous vous êtes empressé, M. le Préfet, d’approuver et d’autoriser notre résolution. Immédiatement la commission qui s’était établie à l’Hôtel-de-Ville et osait méconnaître l’autorité fut expulsée par ceux d’entre nous présents : MM. Dianot, Martinon, Buisson, Chabrier, Michallet. Des mesures énergiques furent arrêtées et sur-le-champ mises à exécution. Nos efforts ne furent pas infructueux, et bientôt les désordres cessèrent. Dès le jeudi nous vîmes l’aurore dégagée des nuages menaçants de la veille. Heureux de nos succès, nous avons redoublé de zèle ; des postes nombreux furent établis, des patrouilles fréquentes et partout dirigées assurèrent l’inviolabilité des personnes et des propriétés, et parvinrent à purger notre ville d’une grande partie d’individus qui y étaient étrangers ; tous ceux armés rencontrés isolément, furent désarmés.

Enfin aujourd’hui, M. le Préfet, aujourd’hui que l’anarchie a fui notre cité, que le calme a succédé à l’orage, que la voix de l’autorité n’est plus méconnue, que force est rendue à la loi, notre mission est terminée. Tous ensemble, avant de reprendre nos occupations habituelles, nous sentons le besoin de vous remercier de la confiance dont vous nous avez honorés ; nous nous retirons avec la conviction de n’en avoir point abusé et d’avoir fait tout ce qui était possible pour y répondre dignement ; heureux si nous avons pu mériter votre approbation, votre estime et celle de tous nos concitoyens : c’était-là notre unique ambition, notre conscience nous dit qu’elle ne sera pas déçue. Quant à nos intentions et à nos sentiments, M. le Préfet, quant aux intentions et aux sentiments de la commission des ouvriers et des ouvriers eux-mêmes, envers l’autorité et le trône de juillet, nous laissons à notre conduite et aux heureux résultats que nous avons obtenus, le soin de vous les faire connaître, et nous vous prions d’en transmettre l’expression au Prince chéri qui s’empresse d’accourir dans nos murs pour cicatriser nos blessures. La nouvelle seule de son arrivée a comblé notre espoir. Votre prudence et votre équité, M. le Préfet, feront le reste, et vous assureront des droits éternels à la reconnaissance de tous. L’aurore d’un avenir meilleur commence à luire. Il est doux de nous retirer en laissant notre ville paisible et sous l’influence du génie bienfaisant qui vient lui rendre sa prospérité, en nous rappelant la triste époque où nous a été confiée la direction de l’état-major provisoire de la ville de Lyon.

Agréez, M. le Préfet, l’assurance de notre profond respect.

Les membres de l’état-major provisoire :
Buisson, Dianot, Martinon, Chabrier, Cantat, Michallet, Damour, Bret, Richard, Leclerc

Achevé, le feuilleton des canuts ? La revendication pour le tarif, devenue revendication pour le pouvoir d’achat concerne désormais toutes les classes moyennes et nous n’avons pas fini ni d’en parler, ni d’en entendre parler ! François Fillon, quand il était premier Ministre, un parfait Bouvier Dumolart ré-incarné, vous ne trouvez pas ? Et Sarkozy, dans le rôle de Casimir Périer... Il en possède la touche et la dégaine, trouvez-pas non plus ? Sauf qu’on n’est plus du tout en 1831. L’heure de la bataille d’Hernani, celle du romantisme fougueux et verbeux, celle des insurrections de prolétaires, en 2007, on se souvient qu’elle est passée par nos rues, certes, et puis qu’elle s’est résorbée tel un vieux courant d’air qui file la quinte de toux à qui trop la respire. Nos avenues et nos boulevards sont sages comme des images touristiques et pas pieuses pour un sou. Bientôt, c’est décembre et ses fastes : Décembre et ses fastes ! A Lyon, Fête des Lumières (excusez-moi du peu.) puis Noël : Mercantilisme et Consumérisme sont les deux mamelles de notre révolte ! ... A Lyon, cité des canuts, toutes les rues seront donc bientôt enguirlandées pour le plaisir des pauvres comme pour celui des moins pauvres, pour la joie des fils et filles de canuts comme pour la joie des filles et fils de marchands-fabricants du monde entier puisque par la grâce de la fée technologie, tous sont réconciliés et que we are the world ! Les réverbères endimanchés de couleurs verte, rouge, bleue, mauve, tous plus pimpants les uns que les autres brilleront devant les yeux hallucinés des prétendus fêtards. Pendant cinq jours, ces derniers auront l’impression de déambuler dans un dessin animé, un jeu vidéo, ou une série TV.

Ils s’extasieront. Ils photographieront. Ils pousseront des oh et des ah aussi ronds qu’imbéciles. Non seulement l’autochtone blasé, mais aussi le profane de passage, pourra en foule se traîner d’un bâtiment municipal à un autre pour égarer tout jugement dans un son et lumière tournant en boucle et racontant l’époque, le tragique du dérisoire de la vide époque dans laquelle nous nous trouvons. Ainsi, des milliers d’euros passeront d’une poche à une autre pour le bien du commerce. Toutes les vitrines s’apprêtent déjà. Pas étonnant, au milieu d’une telle salade technologique et touristique, que l’artisan-canut fascine ses descendants. Au point qu’ici, à la Croix-Rousse, il faut le savoir lorsqu’on vient d’ailleurs, on appelle tout et n’importe quoi un canut.

Un canut c’est un appart’ haut en plafond avec poutres apparentes, un fromage blanc, une espèce de pain, un boulevard. Il y a le pressing des canuts, la librairie des canuts, le garage des canuts et je ne sais combien de restos qui contiennent ce mot dans leur enseigne. Ah ! Le canut ! Ce gars-là, dont nous ne parlons plus la langue et ne comprenons plus les rites, il nous parait, à peu de frais, vivre à dans une espèce d’âge d’or d’avant l’individualisme marchand et le narcissisme cannibalesque. Pauvre, certes, mais pas assailli de crédits ni sollicité par des tas de conneries. Dénué de nombreux divertissements, certes, mais pas de véritable culture ni de traditions. Sans congé payé, eh oui, mais apte à la réflexion critique. Exploité, évidemment, mais, encore autonome et habile à tisser...

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Surtout, le canut fascine par sa pratique établie du devoir mutuel et de la solidarité. Quand on examine l’histoire de ses révoltes, celle de son organisation quotidienne, on acquiert vite la conviction que, par delà les conflits internes vécus au quotidien, c’est l’entraide, l’esprit de groupe, les sentiments communs qui l’emportent. Dans sa nudité, le canut manifeste une forme d’esprit essentiel, ce qu’Orwell appelait la common decency. Je suis sûr qu’il serait le premier scandalisé à voir le spectacle de nos poubelles regorgeant de saloperies diverses, le salaire de nos footballeurs, le non-talent de nos chanteurs-chanteuses, la laideur des vêtements exposés dans nos vitrines, des meubles vendus par Ikea, l’insipidité du ketchup, du programme du PS, des programmes télé, de la presse gratuite distribuée à l’entrée des métros, et pour finir, la sanctification médiatique des people d’à présent. Et que dirait-il devant les scènes de pillage que l’hystérie imbécile des neo-émeutiers de banlieue offre régulièrement en pâture aux médias et à l’opinion publique ? Que dirait-il des crises boursières à répétition ? Des happenings sportifs, humanitaires dont la télé s’est faite championne ? Quel sens retiendrait-il, de cette époque saturée d’images ? Pour finir ce fastidieux feuilleton de novembre, il faut signaler la courageuse ré-édition à La Découverte du titre « C’est nous les canuts » de Fernand Rude. A ceux qui cherchent à offrir un cadeau pas trop con à leur prochain pour Noêl, je conseille celui-là. A tout seigneur, tout honneur, Fernand Rude, ce sera le mot, le bon mot, doux et rêveur, de la fin.

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