À l’occasion de l’Euro 2016, l’UEFA impose aux villes accueillant des matchs la mise en place d’une Fan Zone, dédiée à l’accueil des supporters. À Lyon, elle occupe l’intégralité de la place Bellecour et se présente comme un espace totalement fermé et privatisé. Installée le 27 mai son démontage se fera le 17 juillet. Une fois passés les portiques de sécurité semblables à ceux d’un aéroport (détection de métaux, scan des sacs, liquides laissés à l’entrée) - on entre dans un espace commercial : stands des sponsors (voiture, téléphonie, pari…), bars à l’effigie d’une célèbre marque de sodas et d’un industriel danois de la bière. Un espace VIP et un médias center accueillent les privilégiés.
C’est le géant lyonnais de l’événementiel GL Events qui assure, pour un montant de 1,3 millions d’euros réglé par la mairie [1], l’organisation du lieu, de son installation au recrutement des nombreux intérimaires [2]. La sécurité est assurée par la société Byblos qui a embauché 120 agents. Lorsqu’on se rend à la Fan Zone, on croise avant eux une bardée de flics : un escadron de gendarmerie (environ 110 militaires) et à peu près autant de policiers sont mobilisés chaque soir de match [3].
On peut d’ailleurs se demander si les contrôles de sécurité sont bien là pour protéger les supporters d’agressions éventuelles (il y en a eu une au couteau à Lyon le 15 juin) ou plutôt à assurer aux multinationales installées dans la Fan Zone des profits maximaux. Cette privatisation de l’espace interroge particulièrement lorsque les boissons sont confisquées à l’entrée avant d’être vendues à des tarifs prohibitifs à l’intérieur.
Une fréquentation bien médiocre et qui coûte cher
La première chose qui nous a marqué le 10 juin pour le match d’ouverture France-Roumanie, c’est que nous nous attendions à étouffer, comprimés au milieu des fans. Malgré le battage médiatique, le succès ne fut pas au rendez-vous. Ainsi, alors que la jauge et les attentes de l’UEFA et de la mairie de Lyon s’élèvent à 20000 personnes - ce sont seulement 5 000 (selon un vendeur de bière) à 8 000 (estimation haute fournie par un secouriste) personnes qui se sont pressées devant les deux écrans géants.
Cet échec en terme de fréquentation semble annoncer la concrétisation des prévisions déficitaires d’un point de vue économique - la dépense à Lyon s’élevant à 202 millions d’euros pour des retombées maximales attendues de 166 millions. En fait de retombées, il s’agit du pognon versé par les institutions publiques à des entreprises privées, notamment l’UEFA qui est de plus exonérée d’impôt [4].
La sous-fréquentation de la Fan Zone, remarquée par les supporters, s’explique pour certains d’entre eux par la peur de la menace terroriste.
« Forcément, on est tous un petit peu craintif par rapport à ce qui s’est passé lors des attentats de ces derniers mois (…) On est peu déçu par le nombre de personnes qui est venu, on s’attendait à beaucoup plus de monde. Donc on se dit que beaucoup ont préféré rester chez eux par rapport à cette menace. »
Une illusion sécuritaire
Il n’y a pas de lieu d’être étonné de ce genre de discours tant ils sont concordants avec la gesticulation politique et médiatique. On peut par exemple citer François Hollande qui déclarait le 5 juin :« Elle existe, la menace (…) elle vaut, hélas, pour un temps qui sera long (…) donc il faut que l’on prenne toutes les garanties pour que cet Euro 2016 soit réussi ». Ce discours de la menace omniprésente justifie aussi aux yeux des supporters les mesures de sécurité déployées et particulièrement la fouille systématique.
« On a été fouillés comme si on allait prendre l’avion. Mais c’est normal. Ça reste normal, ça rassure. Ça montre que c’est surveillé et que même avec tout ce qui se passe on est en sécurité, on se sent en sécurité. Ça fait un peu beaucoup, c’est abusé, mais je pense qu’il le faut. ».
Certains vont même plus loin regrettant une fouille qui semble trop légère.
« La surveillance n’est pas si bien fait. Nous les femmes, on a des sacs, ils les font ouvrir, ils regardent vite fait. J’aurais eu une arme ou un couteau, je pense que… ».
« Malgré le fait que pour la fouille des sacs, moi on ouvert, on a regardé vite fait dedans, on n’a pas vraiment regardé. On m’a embêté pour un vuvuzela mais on a pas regardé sous ma veste, j’aurais pu rentrer avec quelque chose de dangereux. (…) Ça me rassure quand même de passer sous des portiques et d’être fouillé, mais y a quand même des failles. »
Un commentaire s’impose ici. À force de gesticulation sécuritaire, il semblerait que le gouvernement se soit pris les pieds dans son propre tapis anti-terroriste. Il a en effet oublié que le principal effet de la concentration d’hommes armés et de portiques de sécurité est de renforcer le sentiment de menace ; et de signifier de la sorte aux supporters que les Fan Zones sont des endroits possiblement dangereux, forcément des cibles du terrorisme [5].
Néanmoins le discours de l’État semble au moins passé sur un point. Les terroristes ne sont pas désignés comme les seuls empêcheurs de célébrer le foot business et la nation, le mouvement social contre la Loi Travail est aussi pointé du doigt. Manuel Valls, par exemple, a ainsi appelé le 1er juin ceux qui luttent « à la responsabilité » qu’il justifie, sans rire, par « les très bons chiffres économiques » et « l’image de la France ». Un discours auquel semble adhérer une bonne proportion des personnes rencontrées dans la Fan Zone.
« En ce moment c’est compliqué parce qu’il y a énormément de grèves en France et j’espérais que l’Euro puisse être un moyen de déconnecter par rapport à tout ça, de vraiment se retrouver entre Français et de fêter ça tous ensemble et d’oublier tous les soucis du quotidien comme le chômage, l’économie et tout ça. ».
Souder la nation et faire passer à l’arrière plan médiatique les conflits sociaux, tel semble être un objectif partiellement réussi par l’État. Toutefois l’échec en terme de fréquentation, la présence réjouissante d’un drapeau de l’Algérie flanqué d’un « pour toi Zidane » au milieu des centaines de drapeaux français mais aussi la rencontre désagréable d’un salut Hitlérien nous font dire que le gouvernement qui souhaitait que ne soit tenu dans les Fan Zones aucun « propos politique, idéologique, injurieux, raciste ou xénophobe » est une illusion autoritaire. Un signe de plus d’absence totale d’emprise sur le réel de nos gouvernants.
Compléments d'info à l'article
Proposer un complément d'info