« La Brique se vend mieux quand il y a du bordel dans la rue ! »

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Des membres du collectif Rebellyon ont pris le train et sont allés loin, là-haut, dans le Nord. Avec quelques-uns des énergumènes de La Brique, un super canard lillois, on a pu mesurer nos capacités respectives d’ingurgitation de houblon, capitale des Flandres versus capitale des Gaules. Entre deux bières, on a aussi eu le temps de discuter journal, médias et politiques urbaines.

Lille, un vendredi soir d’avril. On a rendez-vous avec Tonio du journal La Brique, métro République. On se sent à l’aise. Chez eux comme chez nous, la place de la République est dans le centre. Sauf qu’au lieu de jets d’eau et d’un grand-magasin Printemps, il y a des arbres... et la préfecture.

On prend la direction d’un bar fraîchement ouvert, nu de toute enseigne – pas encore eu le temps de la poser – où l’on sert de la bonne bière en pression. Dépaysement garanti !

Quatre autres membres du collectif de rédaction sont attablés en terrasse et sirotent une bière dont le nom m’échappe (il y en a trop). À peine installés, on nous tend déjà le nouveau numéro de La Brique : « Il est sorti il y a bientôt un mois déjà, fallait se dépêcher avec les municipales ! » La couv’ titre : "Le pouvoir au scalpel". On y voit cinq personnages inquiétants pratiquant une dissection sur un un représentant du pouvoir lillois étouffé par des bulletins UMP, PS et FN. Les mots métropole, médias, justice, capital et démocratie se forment sur les boyaux ouverts. Bienvenue à Lille !

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Le pouvoir au scalpel - n°39 - Mars/Mai 2014

Ce numéro 39 est le dernier d’un triptyque marathon commencé en septembre 2013 et dont les thématiques sont exceptionnellement resserrées sur la métropole Lilloise.

« Avant on faisait toujours une enquête et des papiers sur plein de sujet différents. Mais bon, ça faisait 6/7 ans qu’on fonctionnait comme ça, on commençait à se lasser donc on a voulu changer un peu. Et puis il y avait les municipales donc on s’est dit que c’était l’occasion de peser un peu plus fortement sur les enjeux de la communauté urbaine. Du coup, pour les 3 numéros de cette année, on s’est dit qu’on allait faire des thématiques : le logement, la culture – qui est l’une des armes d’Aubry pour transformer la métropole – et un troisième numéro sur les pouvoirs locaux - publics, privés et médiatiques. Parce qu’on avait cet objectif-là, on a réussi à publier un numéro tous les deux mois, alors qu’avant, on arrivait jamais à tenir les délais. »

La Brique est, normalement, un journal bimestriel. La périodicité fluctue un peu en fonction des disponibilités des "briqueux", un collectif 8 personnes (parfois plus).

Aucun n’a de rôle prédéfini et tout le monde passe un peu par toutes les étapes de la fabrication (en fonction, quand même des expériences, du parcours, des envies et de la paresse de chacun) : discussion autour des articles et des enquêtes à mener, rédaction, relecture, correction, illustrations, mise en page, diffusion.

« On essaie de se former les uns les autres. C’est aussi une manière de rentrer dans La Brique : on se spécialise un peu dans un domaine, on devient référent, on passe le bébé, on se fait former sur autre chose et c’est comme ça qu’on devient un peu tous interchangeables mais avec chacun un style particulier. »

Aucun des membres actuels du collectif n’était présent à la création du journal, en 2007 :
« Les fondateurs sont partis, l’équipe tourne. La Brique fait partie des trucs qui ont été créés à la suite du mouvement anti-CPE. Vive les mouvements sociaux ! En règle générale La Brique se vend mieux quand il y a du bordel dans la rue ! »

Le collectif se compose de rédacteurs non professionnels qui aiment boire, certes, mais aussi dessiner, écrire et enquêter. Leurs sujets, souvent très poussés, les emmènent aux quatre coins de la région. Même si la métropole lilloise est leur premier terrain d’enquête.

« On essaie de faire de plus en plus de reportages en ce moment. Ça nous permet de rencontrer des gens. Récemment, on en a fait un à Lille Sud, du coup des gens ont découvert le journal.

On a aussi fait un reportage à Croix (au nord-est de Lille), ville de 20 000 habitants, mais 2e ville de France la plus assujettie à l’ISF. Notre enquête s’appelait Safari chez les riches. C’est là-bas qu’habite Mulliez, la première fortune de France. Sa société arrive rarement en premier dans les classements parce qu’elle a un montage financier un peu particulier. Mulliez c’est Auchan, Kiabi, Décathlon, Norauto, Pizza Paï… »

Bref, toutes les enseignes qui bouffent les campagnes autour des villes de l’hexagone.

« C’est une énorme entreprise textile qui a réussi à se reconvertir dans les années 60-70 dans la grande distribution. (…) Mulliez possède environ 1/5e de la ville. Quand tu vas là-bas, tu peux voir une ville assez représentative de ce que peut être le Nord. D’un côté, beaucoup de chômage et de misère, et de l’autre, les grandes usines qui ont fait de la thune. Mais quand ces usines se barrent, il ne restent que les fortunes… Les autres, démerdez-vous ! Un côté de la ville est populaire et l’autre, c’est voyage au Touquet ou à Neuilly. »

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Safari chez les riches - n°36 - été 2013

La discussion en terrasse se poursuit mais la petite brise du nord commence à avoir raison de nos pauvres oreilles. On se dit qu’on continuera à discuter le lendemain dans un lieu tenu secret où des dizaines de milliers d’anciens numéros de La Brique sont entreposés.

Samedi, nous visitons donc les archives de La Brique . Des tas d’1 m de haut sur 1 m de large et sur 5 m de long, à moitié recouverts par des tissus, recouvrent le sol !

« Aujourd’hui, on tire à 3 000 exemplaires, mais un bonne partie des numéros que tu vois là étaient tirés à 5 000. Donc, si tu fais le calcul, de ce côté il en reste à peu près 3000…Ici, il y a six tas. Tu multiplies par deux, ça fait 12. Ensuite tu multiplies encore par trois rangées, ça fait 36. Donc là, tu as 36 000 numéros. Seulement sur cette partie-là. Donc bon, si tu comptes tout, ça fait 50 000. Ça fait un potentiel d’emmerdement pour la mairie de Lille assez intéressant quand même. »

C’est sûr, ça dépite un peu nos amis briqueux, c’est autant de Briques qui n’ont pas été lus. Mais du coup, Les anciens numéros sont à prix libre et ça leur arrive d’en laisser gratuitement dans les bars ou à l’entrée du métro.

« On enlève tous les 20 minutes et on met des Briques à la place ! Mais bon, dès que les agents arrivent, ils mettent tout à la poubelle. Même quand on les distribue à l’entrée du métro, il y a des gens qui prenne un numéro et le balance direct par terre ensuite. Du coup, tu arrives dans le métro et tu vois des Briques partout par terre ! Les gens hallucinent un peu. »

Mais le travailleur pressé du métro est loin d’être la seule « cible » du canard. Depuis 6 ans, le collectif tisse un réseau de distribution et s’essaie à plusieurs méthodes de diffusion.

La première, c’est la vente en kiosques.

« Avant on était diffusé sur toute la région Nord – Pas-de-Calais. Mais avec les municipales, on ne pouvait pas assurer une veille sur toutes les villes de la région, donc on s’est resserré sur la métropole. Là on est sur Lille, Roubaix et Tourcoing.

Pour vendre en kiosque, on passe par les anciens NMPP [1], Presstalis, boîte qui appartient à Lagadère, un très grand ami de La Brique ! C’est le côté emmerdant mais c’est aussi ce qui nous permet d’être lu et d’être plus disponible que si on démarchait juste les points de vente “copains”. »

Ensuite, viennent les abonnements.

« Ils sont arrivés en nombre avec les trois derniers numéros, on est très contents ! Contrairement aux autres journaux, on est en augmentation. C’est sûr qu’un de ces jours, on va dépasser Libé ! On devrait même pouvoir racheter la Voix du Nord d’ici quelques années. »

Comme La Brique, c’est de la bonne came, il faut forcément faire appel à des dealers pour assurer la vente.

« Nos dealers, ce sont des cafés, des bars associatifs, des épiceries où l’on dépose nous-mêmes les numéros. Ça, c’est les lieux copains, c’est pour ça qu’on les appelle les dealers. On en a une vingtaine sur Lille et Roubaix. »

Enfin, dernière manière de diffuser le journal, la criée.

« C’est celui qui fait le plus de tapage et qui est le plus intéressant. Le 1er mai, on sera sur le salon du livre d’expression populaire et de critique sociale. Sinon, on est souvent présents sur les marchés. Celui de Wazemmes est plutôt populaire et bobo, c’est celui où on retrouve le plus de nos lecteurs. Celui de Sébastopol, c’est plus sélect, avec des bobos et des trucs qui coûtent chers. Dernièrement, Harry Covert est allé sur celui du Vieux-Lille, et là, c’est carrément des bourgeois. »

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Logement : fabriquer l’embourgeoisement - n°37 - Nov/déc 2013

À Lyon comme à Lille, les quartiers autrefois populaires et ouvriers sont en train de se faire avaler tout crus par les politiques d’urbanisme [2].

« Du coup, on se demande : “La Brique se vend-elle mieux aux bourgeois qu’aux classes populaires ?” C’est la grande question (rires). On est plus lu par les classes moyennes et moyennes-supérieures que par les prolos ! Pour contrer ça, on essaie de s’organiser pour que des numéros partent gratuitement dans les quartiers populaires, là où c’est important que ces infos là passent.

Mais plus sérieusement, c’est une question qui revient souvent : “Qu’est-ce qu’on fait des bourgeois ? Est-ce qu’on se prive de leur thune pour continuer tout seul dans notre coin à galérer, ou est-ce qu’on prend leur argent et on se développe grâce à ça… Finalement, les bourgeois se tirent une balle dans le pied en achetant La Brique ! C’est un débat qui n’est pas tout à fait tranché, comme passer par Presstalis avec Lagardère ou être vendu à Auchan et Leclerc. C’est sûr que ça pose question à chaque fois."

En parlant de bourgeois, cela remémore aux deux briqueux présents une anecdote croustillante survenue il y a un mois environ, en pleine campagne municipale.

« C’était au Grand Sud, une salle inaugurée en grande pompe pendant l’hiver, un gros bloc de béton, à Lille Sud, un quartier plutôt populaire. Martine Aubry fait sa réunion de campagne donc on se dit qu’on va distribuer des Briques à tout le monde.

On arrive donc avec nos paquets de Briques sous le bras, c’était le numéro sur la culture. On voit les sans pap’ qui sont là avec les slogans donc on se rapproche. Et là, qui on voit ? Martine Aubry et son premier adjoint, Pierre de Saintignon. On commence à donner des Briques à tout le monde ; Saintignon regarde le journal, jette un coup d’œil à la couv’ et le met dans son imper. À un moment, Aubry se retourne et là je lui file La Brique. Elle regarde la couv’ et dit : “Ah non, La Brique, il n’y a que des saloperies là dedans !”, et elle se casse.

C’est le premier retour qu’on a de Martine Aubry sur notre travail. Du coup, on en a profité pour faire une opération de communication sensationnelle en collant des A3 avec cette phrase dans tout Lille. Martine Aubry nous connaît maintenant. Quand elle voit le journal, elle a toujours une pensée très amicale pour le monde de la presse libre et indépendante. »

Pour fêter une telle consécration, on ouvre une nouvelle bière. Cette fois, c’est une 3 Monts, je crâne, celle-là je la connais. On la trouve aussi à Lyon… Mais La Brique, comment on se la procure en région Rhône-Alpes au fait ?

« Il fût un temps, on la trouvait à La Gryffe et peut-être à La Luttine aussi. Mais depuis quelque temps, on a un peu négligé nos dealers hors région. Par contre, on en envoie contre un petit chèque. Le dernier numéro est à 2€ et les anciens sont à prix libre. Après faut penser aux frais de port, parce que La Brique, c’est du lourd. »

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La Brique n°1 - Tourisme à Lille - Mars/Avril 2007

Merci à Tonio et Harry Covert pour leur accueil et leur professionnalisme sans faille en interview !

P.-S.

Avis à la Gryffe, Luttine et autres lieux libertaires lyonnais pour se (re)procurer le journal.
Pour contacter les Briqueux : journal.labrique [at] gmail.com et pour s’abonner, c’est
Les anciens numéros et plein d’autres bonnes choses sont lisibles directement sur le site internet de La Brique.

Notes

[1Nouvelle Messagerie de Presse Parisienne

[2Sur le sujet, voir le n°37 : Logement : fabriquer l’embourgeoisement.

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