La précarité tue : droit de retrait à l’Université Lyon 2

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la précarité tue

La précarité tue ! Face à ce danger grave et imminent, nous, enseignant.e.s à l’Université Lyon 2, exerçons notre droit de retrait. Nous exigeons la fin des politiques policières répressives et le déblocage urgent de moyens humains et matériels.

Nous sommes des enseignant.e.s, titulaires et non-titulaires, de l’université Lyon 2. Nous avons décidé d’exercer notre droit de retrait, pour une durée encore indéterminée. Les conditions actuelles de travail dans notre université présentent, en effet, un nombre suffisant de facteurs indiquant un risque de danger grave et imminent.

Le 8 novembre dernier, un étudiant de notre université a tenté de se donner la mort de manière brutale, en s’immolant devant le bâtiment du Crous, à Lyon, pour protester contre ses conditions de vie précaires. Son pronostic vital est engagé.

Cet acte nous a tou.te.s profondément affecté.e.s. Il est, depuis, devenu impossible pour nous de continuer à exercer notre métier d’enseignant.e. La précarité, qui découle des politiques publiques mises en œuvre depuis quarante ans, nous était, certes, déjà connue. Cet acte ne nous a pas moins obligé.e.s à prendre conscience de l’exacerbation du problème chez les étudiant.e.s pendant ces dernières années. Les dernières réformes engagées (loi Travail de 2016, baisse du montant des allocations pour le logement, loi asile et immigration de 2018, remise en cause de l’assurance chômage en 2019, etc.) ou programmées (comme la réforme des retraites) ne peuvent qu’aggraver la précarité et réduire encore davantage les perspectives de vie digne.

Le risque qu’un tel acte ne soit amené à se répéter n’est, dès lors, pas du tout écarté dans notre université, où la précarité touche une proportion croissante de nos étudiant.e.s. La présidence de l’université a elle-même pointé, dans ses instructions, le risque d’une reproduction de tentatives de suicide, puisqu’elle nous demande « de prêter une attention toute particulière [aux absences] qui se prolongeraient dans le courant de la semaine ou aux manifestations de mal-être ou de détresse ». Sur d’autres lieux, des actes similaires se sont d’ores et déjà produits depuis le 8 novembre : à Villecombe, une lycéenne s’est immolée par le feu dans les locaux de son établissement devant ses camarades, et à Clermont-Ferrand, un étudiant a été trouvé mort dans sa chambre universitaire du Crous. La réitération de tels actes demeure probable tant que les politiques publiques continuent à produire de la précarité. Il est donc urgent d’y mettre un terme. Il est urgent d’allouer immédiatement les moyens nécessaires aux étudiant.e.s et aux universités.

Notre mal-être psychologique a été aggravé par les instructions que l’équipe présidentielle nous a adressées au lendemain de l’immolation de l’étudiant de notre université. Nous avons, en effet, été enjoint.e.s d’être à l’écoute des difficultés matérielles des étudiant.e.s et d’être attentifs.ves à leur détresse psychologique, alors même que nombre d’entre nous sommes directement touché.e.s par la précarité, en tant qu’enseignant.e.s contractuel.le.s et vacataires.

Ces injonctions nous placent aussi, quels que soient nos statuts, dans une posture intenable et génèrent des conflits éthiques insurmontables. Que pouvons-nous répondre à des étudiant.e.s dont les préoccupations matérielles sont quotidiennes et immédiates : se nourrir, se loger, se soigner, alors que nous ne disposons pas des moyens nécessaires ? C’est, en réalité, tout le sens de notre métier d’enseignant.e que le contexte actuel bouleverse totalement. Si nous avons choisi ce métier, et de travailler dans le secteur public, c’est pour des raisons de valeurs (d’égalité, de justice sociale, etc), de croyance en le caractère émancipateur de l’université, qui sont violemment remises en question par la détérioration des conditions matérielles de vie des étudiant.e.s des classes populaires et d’une partie des classes moyennes, ainsi que des enseignant.e.s, un nombre considérable d’enseignements étant assuré par des personnels précaires. Plus généralement, les conditions matérielles d’enseignement et d’études se sont beaucoup dégradées à l’université, comme pour d’autres services publics (santé, éducation, transports, etc.) : nous manquons de plus en plus des moyens indispensables à l’exercice de notre métier.

Enfin, les interventions policières, devenues récurrentes, instaurent un climat de tension permanente. La présence régulière, dans l’enceinte de notre université, de policier.e.s détenant des armes, provoque un sentiment d’insécurité psychologique et physique, d’autant que les forces de police ont fait d’innombrables victimes au cours de ces dernières années, parmi les habitant.e.s des quartiers populaires, ainsi que les lycéen.ne.s au cours des mobilisations de l’an dernier, parmi les gilets jaunes, provoquant des morts, des mutilations et des blessures irréversibles.

À l’université, les interventions policières constituent un danger pour les étudiant.e.s, en particulier étranger.e.s sans carte de séjour (car risquant d’être déféré.e.s en centre de rétention) mais pas seulement. En raison de ce climat répressif, des étudiant.e.s nous sollicitent pour les accompagner afin d’effectuer les allers-retours des salles de cours jusqu’à la sortie des campus. Les nombreuses interpellations policières mettent en péril la santé psychologique et les parcours scolaires des étudiant.e.s, dont certain.e.s font l’objet de poursuites judiciaires, une plainte ayant été déposée contre eux et elles par la présidence de l’université Lyon 2. Ils et elles risquent trois années de prison et une amende de plusieurs milliers d’euros. La présence policière et la gestion répressive de la crise contribuent, au final, à précariser encore davantage les étudiant.e.s et à rompre la confiance entre ces dernier.e.s et l’institution universitaire, accentuent le mal-être de jeunes... ceux-là et celles-là mêmes dont on nous a demandé de prendre en charge les problèmes dits "psychologiques" et autres. A cela il faut ajouter la multiplication des agents de sécurité à l’intérieur de l’université, qui renforce encore ce climat de suspicion, de tensions et de violences.

En raison de tous ces risques psychosociaux et physiques, générés par des politiques publiques d’une part de creusement des inégalités entre les plus riches et les plus pauvres, et d’autre part, de criminalisation des mouvements sociaux, nous avons décidé d’exercer notre droit de retrait.

Des enseignant.e.s de l’université Lyon 2.

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