Qui aurait pu sérieusement prétendre que 25 ans après, « Silence » existerait encore, lorsque Michel Bernard est entré dans le resto associatif « La Clef de St Georges », dans le Vieux-Lyon, un certain jour d’avril 1982, en annonçant à la cantonnade le lancement de cette nouvelle revue écologique ? Il venait fêter cette nouvelle en sortant de la première réunion de « Silence » qui s’était tenue juste en face, au Centre d’Expressions Populaires, le CEP du 44 rue St Georges.
Et même mieux que ça, car si le premier numéro a été tiré a 700 exemplaires, ce sont aujourd’hui plus de 8000 qui sont vendus chaque mois. Et cette revue « Silence » semble avoir encore de nombreuses années devant elle, alors que le restaurant associatif « La Clef de St Georges », lui, s’est arrêté au bout de cinq ans, à cause notamment de la réhabilitation et de l’expulsion de toute une population populaire du quartier St Georges, encore que cette durée de vie soit au delà de la moyenne d’un restaurant dans le centre de Lyon.
Comment l’idée de « Silence » a pu donc germer de la sorte ?
Le célèbre et premier mensuel écologiste, « le journal qui annonçait la fin du monde », fondé en novembre 1972 par Pierre Fournier, « La Gueule Ouverte » venait de la fermer le 29 mai 1980. Du coup, désormais « Silence » s’imposait !
Et il s’imposait à trois joyeux drilles du groupe éco de la Doua : Michel Bernard, Philippe Brochet et Pascal Blain, qui faisaient partie tous les trois du Comité Malville de Lyon, mais il s’imposait aussi à Géraldine Satre et Manoëlle Géniquet, deux fenottes rencontrées lors de la marche de Pâques 1982 contre la centrale nucléaire « Superphoenix » de Creys-Malville, pour former ce club des cinq désireux de concocter une revue écologiste régionale face au nouveau gouvernement mitterrandien qui trahissait déjà ses promesses et particulièrement au niveau du nucléaire.
C’est affreux ce que ce « Groupe Écologiste de la Doua » a été pourvoyeur de militants qui ont su marquer par leur ardeur les organisations au sein desquelles ils ont participé, ou qui ont su réaliser nombre de projets novateurs sur Lyon ! Le saviez-vous tout ce que ces personnes ont créé ? Entre autres : « Radio Léon », la librairie « La Gryphe », la revue « Poing Noir », « Walter Native », « l’habitat groupé », « l’association des amis de François Partant » devenue « la Ligne d’Horizon », le Comité Malville... et puis bien sûr la revue « Silence ». Si ce « groupe éco de la Doua » a pu durer au sein du campus c’est que des professeurs comme Lebreton en acceptaient la responsabilité en faisant le lien avec l’administration de la fac tout en laissant toute l’autonomie possible aux membres du groupe.
L’aventure des premiers numéros de « Silence »
Le numéro zéro a été édité tout de suite en mai 1982. Et le numéro 1 est sorti le 4 octobre 1982 avec 20 pages et un dossier sur la biomasse, en 700 exemplaires. L’idée était au départ de réaliser une revue de dimension régionale et l’équipe a pu utiliser le fichier régional du Mouvement Écologique Rhône-Alpes, ce qui l’a bien aidé. La revue est imprimée chez AIPN, une coopérative militante locale située sur les pentes où travaillent entre autres Pierre Diviani, qui est toujours l’imprimeur de « Silence » même s’il est désormais dans la Drôme, et Mimmo Pucciarelli, qui est l’actuel directeur de publication.
Au début tout était tapé à la machine à écrire par des bénévoles, les ordinateurs n’existaient pas encore. La machine à écrire utilisée se trouvait au local d’ADP (Association de Diffusion Populaire), rue Camille Jordan, sur les pentes, mais il fallait y aller de nuit pour taper les articles, en effet la journée le local était occupé par une équipe de réalisatrices et réalisateurs de films vidéos militants. Le démarrage s’est fait sans un sou. C’est la vente d’affiches d’une chanson de Jean-Marc Le Bihan qui permit de payer les quelques frais du premier numéro. Ensuite, l’équipe eu l’idée écologique de vendre du papier recyclé ce qui faisait qu’une partie du bénéfice servait à alimenter la revue « Silence ». Au départ, il n’y avait qu’une seule et même association qui s’appelait « Courant alternatif » et qui regroupait l’activité de la revue « Silence » et celle de la « Maison de l’Écologie », ouverte au 4 de la rue Bodin, Lyon 1er, en haut des pentes de la Croix-Rousse, qui était principalement la vente du papier recyclé.
Sur les quatre salariés, payés à peine un demi-SMIG, trois avaient un niveau ingénieur, juste après leurs études ; ils savaient monter un projet financier, mais n’avaient jamais été dans la vie active. Heureusement dès le démarrage plein de bénévoles sont venus aider l’équipe. Ensuite, des objecteurs ont été aussi accueillis au sein de la bande. La revue paraissait tous les quinze jours et il fallait chaque fois trouver tous les articles à rédiger, à corriger, à taper, effectuer la mise en page, le pliage, l’affranchissement...
Au numéro 7, c’était la dèche complète et « Silence » a bien failli s’arrêter. Et puis le courage est revenu et près de 5000 adresses ont finalement pu être collectées. Il aurait été vraiment dommage de stopper l’aventure en si bon chemin. Lors de l’été 1983, partout en Europe, d’immenses manifestations dénoncent le déploiement de nouveaux missiles nucléaires américains et russes... Un jeûne qui durera 40 jours, se déroule dans plusieurs pays pour demander le « gel de l’armement nucléaire ». Le sujet est tabou en France. Pour les numéros 23/24 de « Silence », ils en profitent pour lancer le dernier rassemblement au Larzac, avec le PSU, contre la militarisation à la Hernu. Les abonnements ont alors beaucoup progressés et depuis, il n’y a jamais eu de problèmes financiers pour la revue. Tous les ans, comme c’était beaucoup plus militant qu’aujourd’hui, il y avait le bal folk de soutien à « Silence » au CCO et aussi des soirées débat organisées.
Agir un peu pour changer beaucoup
A Lyon, les TCL, la société de transports en commun de l’agglomération, se mettent à mener une campagne anti-fraude. Pour le numéro 40, « Silence » consacre un dossier sur la gratuité des transports collectifs. Au printemps 1985, quatre ans avant la chute du mur de Berlin, la guerre froide entre l’Europe de l’Est et de l’Ouest est à son maximum. « Silence » publie un dossier sur les mouvements dissidents à l’Est, dossier qui prédit l’effondrement du bloc de l’Est. Les analyses présentées s’avèreront tout à fait fondées.
En août 1985, c’est la crise après 78 numéros de sortis. Les bénévoles ont du mal à tenir le rythme de publication tous les quinze jours. Il y a un problème entre ceux qui travaillent plus la nuit et d’autres plus le jour. La parution cesse pour neuf mois. C’est le moment de grands changements. Aussi bien pour la structure, l’association « Courant alternatif » ne s’occupera que de la « Maison de l’Écologie » de façon désormais séparée d’avec « Silence », que pour la revue qui doit redémarrer à zéro. En effet « Silence » a perdu dans l’histoire son numéro de commission paritaire. Il faut recommencer comme dans les premiers temps du numéro zéro sous le couvert du Comité Malville en annexe de « Superfolix ». Après apres débats, la revue devient mensuelle et abandonne le côté régional, elle n’a plus de limites géographiques. Un premier ordinateur est acheté, une première personne embauchée, Michel Jarru. Et la revue « Silence » reprend son envol en mai 1986 avec un tirage de 2000 exemplaires, une mise en page améliorée et un rythme de croisière.
Début 1991, c’est la première guerre immonde en Irak. La France est aux côtés des USA. « Silence » décide d’appeler à la désertion. Comment faire légalement ? Une ancienne manière reprise d’une revue britannique est utilisée en mettant en première page un extrait de loi... mais en grossissant certains mots de telle sorte que la lecture en change le sens.
En 1993, la Maison de l’Écologie devient trop petite et les trois plus grosses associations présentes (Européens contre Superphénix, qui deviendront en 1997 le Réseau Sortir du Nucléaire - le salon Primevère - et « Silence ») lancent une souscription pour acheter de nouveaux locaux. Ces associations déménagent au printemps 1995, tout près sur le plateau de la Croix-Rousse, au 9 rue Dumenge, Lyon 4e.
En septembre 1995, alors qu’un moratoire est observé au niveau international, Chirac décide de reprendre les essais nucléaires à Mururoa. « Silence » publie, en lien avec d’autres associations, un numéro supplémentaire en milieu de mois pour protester contre ces essais nucléaires français dans le pacifique.
Faire des propositions alternatives
En plus de toutes les idées pour manger, se soigner, habiter, se déplacer, travailler, faire la fête de façon alternative au sein des brèves et des articles de chaque revue, en mai 1997 sort un numéro sur les alternatives en Alsace. L’idée de travailler par région est venue en constatant qu’établir des dossiers par thème oblige à faire un grand nombre de kilomètres. Pour diminuer notre empreinte écologique, il est indispensable de travailler sur un espace plus restreint comme la région. Un autre sort sur les alternatives en Bretagne, puis le rythme va ensuite devenir régulier sur chaque région.
En 1998, un moment très fort fut la campagne que « Silence » a mené contre la malbouffe lors d’un procès contre Mac Donald’s en Angleterre très peu médiatisé chez nous. Un dossier sur Mac Donald’s est réalisé et un tract extrait de ce dossier va se diffuser partout et connaître la célébrité lors du démontage du MacDo de Millau pendant l’été 1999. Il se diffusera à plus de 150.000 exemplaires. Cela aura une heureuse conséquence sur « Silence » avec l’arrivée d’un lectorat plus jeune et plus nombreux dans toute la France, voire au-delà.
En 2001, un colloque est organisé par « la Ligne d’Horizon » sur l’Après-développement. « Silence » en profite pour refaire, neuf ans après, un nouveau dossier sur la décroissance qui provoque un vaste débat et débouche sur un colloque à Lyon l’année suivante ainsi que la publication de la brochure « Objectif décroissance ». De très nombreux dossiers seront ensuite publiés sur la décroissance et la simplicité volontaire...
En 2002, plus de 400 personnes ont participé aux rencontres d’été pour les 20 ans de « Silence », l’occasion de les interroger sur ce que peut être un monde écolo. Résultats dans le numéro 289. Une association des ami-e-s de « Silence » se met en place pour renouveler chaque année des rencontres dans le même état d’esprit d’ouverture et d’autonomie.
Dernièrement, des jeunes, Julie, Esteban, Vincent, Guillaume se relaient d’année en année, et donnent une touche particulière à « Silence » en faisant partie de l’équipe qui compte aujourd’hui cinq salariés, représentant trois temps complet, chacun travaillant les 3/5 de temps de travail normal, aidés par une vingtaine de bénévoles pour mettre au point la revue. Le tirage est de 8500 exemplaires pour environ 5000 abonnés. En projet, un dossier, avec un tract, sur les dangers du téléphone portable.
En 25 ans, « Silence » a réussi à garder le cap qu’il s’est fixé, c’est-à-dire une revue associative, autogérée et indépendante, lieu de débats et de propositions au sein de la mouvance alternative et écologiste, avec des combats sur le nucléaire, l’écologie, la condition des femmes, l’éducation, la santé, l’environnement, la non-violence, les lieux de vie alternatifs, les relations sud-nord, la presse indépendante, la politique, les festivals alternatifs, les transports, l’habitat sain…
Une revue qui ne se contente pas de refuser le système en place, mais agit avec ses moyens et ses envies, pour un avenir plus soutenable.
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