Libération, quotidien du groupe Rothschild, organise un « forum citoyen » à Grenoble les 13, 14 et 15 septembre 2007.
Intitulé « Vive la politique » - clin d’oeil de Laurent Joffrin, directeur de la rédaction, à son émission et au numéro spécial de Libération « Vive la Crise », de 1984-, ce « forum », sponsorisé par la mairie de Grenoble, le Conseil général de l’Isère et le Conseil régional Rhône-Alpes, est censé rassembler 10 000 personnes, dont Rachida Dati, André Vallini, Brice Hortefeux, Henri Guaino, Valérie Pécresse, Jean-Jack Queyranne, Luc Ferry, Jean Daniel, Nicolas Beytout, Fadela Amara, Nicolas Baverez, etc, à MC2 (la maison de la haute culture), et à la Bifurk (local associatif).
Concrètement, c’est Max Armanet, médiatique catholique et militariste, ex-directeur de la rédaction de « La Vie », et nouveau directeur du développement de Libération, qui dirige cette opération à entrées multiples.
Le blog du « Forum Libération à Grenoble » laisse planer un insoutenable suspense sur les participants et les thèmes de ces trois jours de talk show, les 13, 14 et 15 septembre 2007.
Pour soulager l’impatience des lecteurs qui piaffent de s’inscrire à cette fête de la pensée sponsorisée par la mairie de Grenoble et le conseil général de l’Isère, nous publions ci-dessous l’état du programme à l’heure où nous mettons en ligne.
À Grenoble, on a deux espèces d’espaces : un espace « Ferme ta gueule » (alias MC2) où auront lieu les « duels » entre « grands témoins » devant un public spectateur, et un espace « Cause toujours » (alias La Bifurk) où le menu peuple pourra babiller entre soi sans conséquence.
Voilà, juste pour se faire une idée, ce qui semble avoir été concocté.
PROGRAMME MC2
Jeudi 13 septembre
* Mercier/Mauroy : « Gauche : la balle au centre ? » (arbitré par Laurent Joffrin - Libération)
* Fadela Amara/Jean Daniel : « Comment peut-on être français ? » (Béatrice Vallaeys - Libération)
* Christine Lagarde/J-Paul Fitoussi : « La politique est-elle esclave de la finance ? » (Grégoire Biseau - Libération)
* Xavier Darcos/Aurélie Filippetti : « L’école forme-t-elle encore des citoyens ? » (Paul Quinio - Libération)
* Hervé Morin/Alain Richard : « Qui sont nos ennemis ? » (Jean-Dominique Merchet - Libération)
* Stéphane Diagana/Krazentowski : « Le sport est-il nocif ? » (coaché par Vittorio de Filippis - Libération)
* D.R Tabuteau/Guy Vallancien : « La santé : un privilège ? » (ausculté par Eric Favereau - Libération)
* Nicolas Beytout/J-François Kahn : « A quoi sert le centre ? » (centralisé par Laurent Joffrin)
* Bramy/Richoufftz (à tes souhaits) : « L’entreprise crée-t-elle de la valeur civique ? » (Alain Auffray - Libération)
* Trellu-Kane/Berau : « Un service civique obligatoire ? » (Marc Sémo - Libération)
* Pierre Larrouturou/Manière : « Travailler, plus, travailler moins ? » (Alexandra Schwartzbrod, la régionale de l’étape - Libération)
* J-Marie Bockel/Thomas Piketty : « Vive le blairisme ? » (Eric Aeschimann, quadra blairiste - Libération)
Vendredi 14 septembre
* Brice Hortefeux/Eric Morin : « La ghettoïsation française ? » (Laurent Joffrin)
* Ricardo Petrella/Gérard Mestrallet : « Comment gérer les biens publics mondiaux ? » (Vittorio de Filippis)
* Luc Ferry/Morel : « Le civisme en héritage ? » (Jean-Dominique Merchet)
* Cherfi/Mahmoud Hussein : « L’islam est-il compatible avec la laïcité ? » (Marc Sémo)
* Emmanuelle Perreux/J-Paul Garaud : « Prison : punir ou réinsérer ? » (Béatrice Vallaeys)
* D. Cohn Bendit/Henri Guaino : « Liquider 68 ? » (Eric Aeschimann, quadra frustré)
* Valérie Pécresse/Coudry : « L’entreprise menace-t-elle l’université ? » (Véronique Soulé - Libération)
* J-Pierre Raffarin/François Chérèque : « La retraite à 80 ans ? » (François Wenz-Dumas - Libération)
* François Rebsamen/Patrick Devedjian : « Faut-il supprimer les partis politiques ? » (Paul Quinio)
* Solère/Thieulin : « Le net : nouvel opium du peuple ? » (Alexandra Schwartzbrod)
* Jean-Jacques Aillagon/Jean-Jack Queyranne : « L’art, une affaire de manager ? » (René Solis - Libération)
* L. Fabius/ ? : « La recomposition de la gauche européenne ? » (Laurent Joffrin)
* Richard Descoings/Bruno Julliard : « Tous étudiants ? » (Béatrice Vallaeys)
* Pascal Bruckner/Eric Fassin : « Des m¦urs trop libres ? » (Eric Aeschimann)
* Denis Mac Shane/J-Pierre Jouyet : « Trop d’Europe ? » (Marc Sémo)
* F. Hollande/ ? (y’a qu’à le mettre contre Fabius) : « Développement durable ? »
* Edgar Morin/Claude Lefort : « Vive la politique ? »
* Martin Hirsch/Franck Riboud : « Le marché crée-t-il la pauvreté ? » (François Wenz-Dumas)
* Bloche/Zelnick : « La fin des droits d’auteurs ? » (Michel Orier – directeur de la MC2 la semaine, provençal en espadrilles le week-end)
* Olivier Besancenot/MJS Ammadi : « S’opposer, jusqu’où ? » (Paul Quinio) - Mais il paraît que Besancenot a refusé. On jugera sur place.
* Godefrain/Dubois : « Accueillir la misère du monde ? » (Fabrice Rousseau - Libération)
* J-Marie Colombani/JacK Lang : « Une VIe République ? » (Alain Auffray)
* J-Marc Ayrault/Bernard Accoyer : « Les députés doivent-ils prendre le pouvoir ? » (Paul Quinio)
* A. Gatti/Didier Bezace : « L’art est-il partage ou exclusion ? » (René Solis)
Samedi 15 septembre
* Olivier Todd/ ?
* Michel Barnier/Michel Destot (les deux Michel du Sillon Alpin) : « Les villes font-elles l’Europe ? » (Didier Pourquery - Libération)
* Nathalie Kosciusko-Morizet/Dominique Voynet : « L’homme saura-t-il réparer ce qu’il détruit ? » (boarf, l’homme est bricoleur) (Alexandra Schwartzbrod)
* Jacques Généreux/Bernard Spitz : « De la gauche plurielle au centre gauche ? » (Paul Quinio)
* Patrick Braouzec/Eric Raoult : « Banlieues : maires poules ou maires fouettards ? » (Béatrice Vallaeys)
* Rachida Dati/André Vallini : « La justice est-elle juste ? » (Laurent Joffrin)
* Velasquez/Mérieux : « Malades au sud, médicaments au nord ? » (et labo P4 à Lyon) (Vittorio de Filippis)
* Alain-Gérard Slama/Savidan : « Elites : une société d’héritiers ? » (Marc Sémo)
* Louis Chauvel/Julien Dray : « Ordre et désordre, une crise de l’autorité ? » (Jean-Dominique Merchet)
* Patrick Weil/Olivier Faure : « Un PS pour quoi faire ? » (Alain Auffray)
* Nicolas Baverez/Arnaud Montebourg : « Qu’est-ce que le sarkozysme économique ? »
* Bernard Stiegler/Régis Debray ? : « Ethique et esthétique » (Gérard Lefort)
* A. Cissako/Poivre d’Arvor : « Culture locale ou globale ? » (ou glocale ?) (René Solis)
* JacK Ralite (has been communiste)/Frédéric Martel (up and coming) : « Bye bye Malraux ? » (Michel Orier)
* Jean Therme/Jacques Arnould ? : « La puce est-elle l’avenir de l’homme ? » (The future doesn’t need us) (Vittorio de Filippis)
* Olivier Mongin/Stéphane Bern : « Culture et dérision ? » (débat forcément dérisoire – mais pas plus que les autres ) (Gérard Lefort)
* Stéphane Hessel/Jamel Debbouze ? : « Quelles racines européennes ? » (et voilà où mènent les matchs d’improvisation à Trappes) (Max Armanet)
* Jacques Blanc/Maryvonne de Saint-Pulgent : « La culture pour tous : une faillite ? » (René Solis)
* Jacques Attali/ ? (La Berd ? Les Angolais ? Les auteurs plagiés ? Les musiciens martyrisés ?) (Laurent Joffrin)
* M-Georges Buffet/Roselyne Bachelot ??
* Manuel Valls/Mandarine Autain : « Qu’est-ce qu’une gauche moderne ? » (Eric Aeschimann)
* Aziz Ridouan/ ? : « Culture et net ? » (Christophe Alix - Libération)
* Bruno Patino/Alain Finkielkraut ? : « Toute modernité est-elle un progrès ? » (et réciproquement) (Didier Porquery)
* Pascal Lamy/Gustave Massiah ? (Vittorio de Filippis) ??
PROGRAMME BIFURK
Les activités programmées à la Bifurk n’ayant strictement aucun autre intérêt que d’ajouter une touche associative à ce barnum institutionnel et gouvernemental (12 membres du gouvernement annoncés, plus la « plume » de Sarkozy), et de fournir une vitrine aux associations les plus anodines de Grenoble, on se dispensera pour l’heure d’en publier le détail.
1) Pour Libération et Joffrin, l’objectif est de re-positionner le quotidien « libéral-libertaire », sur le créneau vacant et supposé plus rentable de « journal de gauche », dans la lignée de feu « Le Matin de Paris ». Sur 17 millions d’électeurs, c’est bien le diable s’il ne s’en trouve pas 170 000 pour acheter chaque jour un quotidien social-libéral.
2) Pour la droite décomplexée, de Bayrou à Royal, en passant par Strauss-Kahn et Cohn-Bendit, il n’est pas mauvais de disposer d’une tribune, et de s’emparer du média « emblématique » du soixante-huitisme ; notamment à la veille des cérémonies du 40ème anniversaire de mai 68.
3) Sempiternellement, il s’agit de « rénover », « refonder » la gauche, c’est à dire d’écraser les derniers rogatons étatistes (mélanchonistes, communistes, trotskystes, josébovistes, syndicalistes, d’Attac à Politis), la gauche du « non » au traité constitutionnel européen pour laisser la place à la gauche de marché. C’est Rosanvallon qui n’en finit
pas de piétiner le cadavre de Bourdieu. Ce qui rend cette « gauche de la gauche », voire « 100% à gauche », si vulnérable à cette absorption, c’est qu’elle est déjà à demi-vaincue de l’intérieur. Soumise au primat de la croissance, de l’emploi, du pouvoir d’achat, souvent pro-nucléaire, superstitieusement scientiste, elle soutient le lobby « Sauvons la Recherche » (d’ailleurs dirigé par d’anciens trotskystes), la liaison recherche-industrie et l’innovation techno-industrielle, la plus futile comme la plus liberticide. Complètement obtuse au fait que l’artificialisation du Vivant et le marché sécuritaire constituent désormais les seuls vases d’expansion de la croissance.
4) Où « rénover la gauche » ? sinon, comme d’habitude, depuis Dubedout, dans le « laboratoire grenoblois » et sous la tutelle du CEA. En suivant le « modèle grenoblois » et ses déclinaisons : technopole, essaimages, pôles de compétitivité, et vidéo-surveillance. Strauss-Kahn, « Dominique » comme dit Sarkozy, a d’ailleurs confié au magazine « Acteurs de l’Economie Rhône-Alpes », tout le bien qu’il pensait du « modèle de développement grenoblois », mis en oeuvre par son vassal Destot.
Pour celui-ci, pour Migaud et Vallini, caciques de la Métro de Grenoble et du Conseil général de l’Isère, cette opération de relation publique constitue un coup de pub national, à l’entrée dans la campagne pour les élections municipales de mars 2008. Destot, surtout, aura fort à faire pour faire oublier à une fraction réduite, mais indispensable de son électorat, l’arrachage des arbres de la place de Verdun, la construction du multiplexe Chavant, la destruction du parc Paul Mistral, son
implication dans Biopolis, Minatec, dans l’A51, dans le projet de tunnel sous la Bastille et nombre d’autres méfaits. Ce « forum citoyen » financé par les collectivités locales était donc une proposition irrésistible pour son directeur de la communication.
Il va de soi qu’instruits par de fâcheux précédents (congrès du PS en 2000, assises de « Sauvons la recherche » en octobre 2004, « Forum Sciences et Démocratie » de juin 2005, « Forum nouvelles critiques sociales » de la République des idées en mai 2006, inaugurations contestées de la MC2, du tramway C, de Minatec, les loustics qui
montent cette opération ont tenté de mettre toutes les chances de leur côté pour communiquer sans brouillage. La date est choisie de manière à prendre de court tous les révolutionnaires en congé du 15 juin au 1er octobre. L’occupation de la Bifurk (juste en face de la MC2), après normalisation municipale, vise à priver les opposants d’un lieu de réunion qui avait servi dans le passé, et à draguer le fretin artistico-associatif toujours à l’affût d’une subvention ou d’une occasion de s’exhiber. Et l’on peut penser que la présence de ministres et d’importants justifiera l’abondance et la variété de polices privées et publiques.
Cependant, à leur mesure, et avec les moyens du bord qui sont les leurs depuis des années, ceux qui, parmi beaucoup d’autres, ont rendu nécessaire la énième répétition de ces barnums citoyens à grand spectacle, diront à cette occasion pourquoi il ne faut pas suivre
l’anti-modèle grenoblois, et l’urgence au contraire d’en démonter le laboratoire.
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