Jeudi après avoir bloqué/débrayé quelques lycées de la presqu’île, une cinquantaine de lycéen.ne.s rejoignent Jean Macé, point de rendez-vous. Là-bas je retrouve mes camarades qui me racontent ce qu’il se passe dans les autres secteurs. On parle de gazage hardcore à Lumière et à Colbert. J’entends parler de nasse à Jet d’eau, avec beaucoup de lycéen.ne.s calmes mais flippé.e.s. Des camarades ont apportés des foulards et de quoi manger mais le repas a un goût amer.
Nous partons. Manif sauvage, on gueule « Lyon Lyon antifa » en arrivant à La Manu. Il faut ensuite rassembler les lycéen.ne.s et toutes les personnes souhaitant faire partie du cortège de tête unitaire. Nous sommes nombreux, mais c’est le foutoir, nous n’arrivons pas à coordonner les banderoles. Une camarade me dit que ce sera probablement la dernière manif, la répression policière s’annonce hardcore, le gouvernement veut « casser le mouvement ».
On s’élance. 10 min après le départ, les CRS commencent à capter qu’on va pas les laisser occuper les trottoirs et faciliter leur sale boulot. Le black bloc est deter. Ils ont raison. Je suis devant les banderoles, j’ai aucun visu sur le milieu du cortège, j’entends les bruits de gazeuzes et de flashballs tirés. Nous avons peur. On continue comme ça relativement longtemps puis à un croisement je les vois. Beaucoup trop de flics, partout. Ils nous encerclent. Je reste avec la banderole de tête et là une lacrymo explose à mes pieds.
J’ai reçu le truc pile dans la gueule. Au début je reste calme, me disant que si c’est comme les gazeuzes habituelles de Bellecour, dans 1 min je pourrais respirer correctement. Je commence à reculer, enjoignant les autres à rester calme. Et là je sens la lacrymo. Je n’arrive pas à ouvrir les yeux, je ne peux plus respirer. Je ne vois rien. J’avance comme je peux, mais je suis vulnérable. J’ai peur. J’essaye d’ouvrir les yeux, tout le monde court autour de moi. Je n’ai qu’une envie, m’assoir contre un mur et rester là, à attendre. J’ai peur. J’ai l’impression de marcher depuis 130 ans. Je sens qu’une personne s’accroche à moi, je ne sais pas qui c’est. Je chope un bout de la banderole et je hurle pour qu’on continue de reculer vers la prochaine intersection, qui promet de l’air.
On y arrive. J’ouvre peu à peu les yeux, je respire. Une 30aine de lycéen.ne.s pleurent. Je me sens responsable. On se rassemble et on se sépare en trois : ceux qui souhaitent rentrer chez eux, ceux qui souhaitent intégrer le cortège syndical et ceux qui veulent retourner devant. On s’asperge de sérum phy. Big up à celleux qui, pendant ce temps, luttaient face aux CRS et décoraient les agences d’intérim, les banques.
Avec ma camarade qui me tenait tout à l’heure, on ne se quitte plus. On décide de retourner devant, en passant par le gros du cortège pour voir si nous reconnaissons nos ami.e.s. Je discute en passant avec des têtes connues. Des adultes, qui n’ont rien vu ni entendu du bref enfer que nous venons de vivre. Comme si nous étions à deux manifs séparées.
La suite je vous l’épargne, mais un ami m’a dit qu’il avait vu les cortèges se séparer. Que des courageux/euses étaient venu.e.s nous aider, nous protéger. A vous merci, merci mille fois. Au reste : comment avez-vous pu arrêter votre cortège laissant des centaines de personnes dans les gazeuses et sous la matraque ? Comment avez vous pu nous laisser seul.e.s ?
Papa, tu me l’avais dit. Papa tu savais ce que je risquais. Papa j’ai 17 ans, et jeudi c’était l’enfer. Papa, j’ai eu peur. Mais maintenant papa, je suis en colère. Maintenant, je sais que les « forces de l’ordre » ne sont pas et ne seront jamais nos alliées. Papa, la prochaine fois je crierai aussi fort que les autres ma colère. Papa, à la prochaine manifestation je serai protégée : par un casque et par nos slogans, qui mettent du baume au cœur.
Soutien à toutes les victimes des « forces de l’ordre », réprimées pour ce qu’elles font ou pour ce qu’elles sont.
Bisous & ACAB.
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