Massacre post électoral en Ethiopie : l’Etat français soutient la dictature.

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Françafrique, Américafrique, les vieux jours coloniaux n’en finissent pas de se prolonger dans le sang.

Des élections ont eu lieu dernièrement à Djibouti, et le « président » en place a été réélu à une « écrasante majorité ». Un vrai Chirac-Khadafi. La triche était tellement flagrante que les français ne savaient pas comment réagir. Alors ils l’ont invité à prendre un café chez notre président, et l’ont assuré de leur soutien !
Dans la foulée, le « président » faisait tirer sur la foule de manifestant-e-s qui protestaient contre les fraudes massives aux élections. Bilan : plusieurs dizaines de morts et des centaines d’arrestations.

Une poudrière et de juteux intérêts stratégiques

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Les Etats occidentaux protègent leurs intérêts en tentant de conserver les pantins et dictateurs déjà en places. C’est jouer avec le feu. Les tribus Afar de Djibouti ont déjà repris les armes et menacent de reprendre la guerilla qui avait déjà mené à une guerre civile sanglante. En Ethiopie, les Somalis (à l’est) menacent aussi de reprendre les armes, et cela bouge dans certaines villes. Tout ça parce que l’ethnie tigréenne est au pouvoir et que les Amharas ne sont pas contents. Mais les intérêts sont trop importants. Tout le monde en a. L’Etat français défend
Total, Accor qui arrive, Peugeot, BGI (plus gros fabricant de bière en Afrique, détient les trois plus grandes marques éthiopiennes). Rappelons qu’à Djibouti se trouve l’une des plus grosses bases françaises dans le monde. Les USA défendent un pré carré qui s’agrandit (bases militaires dans l’est, contrats juteux de sécurité), les Anglais défendent leurs contrats de vente d’armes, les Italiens défendent le peu qui leur reste ici. Mais d’autres vautours sont en lice : l’Etat égyptien veut démolir le barrage sur le Nil Bleu (financé par la France) dans le nord de l’Ethiopie, et qui a coupé l’eau. L’Etat soudanais veut raffermir son alliance avec le gouvernement éthiopien pour faire la guerre à l’Erythrée. L’Etat érythréen veut faire la guerre au gouvernement éthiopien actuel.

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Un camarade présent témoin des massacres nous donne quelques clés d’explication

« L’état d’esprit actuel de l’Éthiopie est celui d’une révolution. Celle-ci est cependant bien particulière, car elle sort par de nombreux côtés de ce que nous entendons par « révolution » en Occident. Le pays bouge, c’est indéniable, mais plus comme un bébé qui a encore du mal à découvrir ses articulations que comme une soudaine émergence de conscience.

Des élections ont eu lieu dernièrement, en présence d’observateurs internationaux. Ce scrutin est, selon eux, le « plus démocratique de l’histoire de l’Éthiopie. » Il est vrai que l’Éthiopie n’a pas vraiment de tradition démocratique. Après plus d’un demi-siècle de dictature sous Hailé Selassié (le Jah ou Rastafari d’un certain Bob Marley), auquel s’additionnent plus de quinze ans du régime stalinien du Derg (du nom du régime en place alors), le pays se retrouve exsangue en 1991 quand les forces rebelles de l’Ethiopian People’s Revolutionary Democratic Front (EPRDF) entrent dans Addis-Abeba et « libèrent » la capitale. Les guillemets sont nécessaires, car ce mouvement est d’obédience stalinienne, version Henver Hodja, et son leader, Mélès Zennawi, est encore au pouvoir. Pourtant les idées communistes du mouvement ne survivent que dans l’administration et le capitalisme s’est très vite installé.

Or, depuis quelques temps, certains mouvements commencent à pouvoir se faire entendre et profitent du mécontentement général face à certaines politiques du gouvernement de Mélès. Les campagnes en particulier souffrent de la mauvaise gestion et de la corruption des ministres. Elles manquent de tout, même si la situation est loin du catastrophisme annoncé dans les journaux de variétés tels que Le Nouvel Observateur. De plus, le pays, réuni de force sous l’égide d’un Mengistu communiste avéré et donc anti-ethnique en principe, est actuellement divisé en « nations » ethniques. L’ethnie au pouvoir est celle de Mélès Zennawi, l’ethnie Tigréenne. Ses membres connaissent un développement économique sans précédent pour leur région relativement sèche, et occupent tous les postes importants de la politique, de l’administration et de l’armée.

Dans ce climat déjà propice à une explosion, ont été organisées des élections législatives, pour renouveler le parlement fédéral. Les principaux partis d’opposition se sont unis dans une coalition appelée Coalition pour l’Unité et la Démocratie (CUD) La rue, dès avant le vote, prévoyait de sanctionner le gouvernement et de porter l’opposition au pouvoir.

Cette coalition professe une politique teintée de populisme mais plaît (la situation n’est pas neuve) aux classes les plus pauvres de la société : mendiants, vendeurs de rue, petits boutiquiers, ainsi qu’à la petite bourgeoisie qui s’est créée il y a peu.

Avant le 20 mars, date des élections, les manifestations se succédaient, tantôt pour l’EPRDF, tantôt pour la CUD, et à chaque fois réunissaient des centaines de milliers de personnes. La tension était visible mais c’était une tension saine de débat politique. Aucune violence n’avait encore eu lieu, et la présence renforcée à ce moment de la police dans les rues est un mécanisme normal d’une dictature qui se veut une démocratie. La population s’est alors mise à rêver et les slogans dans les manifestations antigouvernementales se sont faits plus violents. Le Pouvoir a réagi la veille du scrutin par la première mesure répressive, en l’occurrence l’interdiction de toute manifestation et de tout regroupement, et nous avons vu apparaître les premières patrouilles des Forces Spéciales, armées jusqu’aux dents et totalement inféodées à Mélès.

La situation est restée très calme, bien que tendue, à partir de ce moment là. Le vote a eu lieu le 20 mars, et la participation a été massive. Les nouvelles arrivaient de tout le pays pour annoncer, de manière officieuse, la victoire de la CUD, mais presque toutes ont été contredites par les résultats officiels qui sont, encore maintenant, rendus au compte-goutte. C’est alors que la grogne s’est faite sentir. Les gens, persuadés de la victoire de la CUD (qui remporte tout de même près de 194 sièges dans ce parlement, contre 12 dans l’ancien), n’acceptent pas la victoire de l’EPRDF (plus de 300 sièges remportés selon les résultats diffusés par le gouvernement) Mais la rue était encore calme.

Tout a dégénéré le dimanche 3 juin au soir. Le gouvernement annonce un report de plus d’un mois des résultats définitifs et officiels, certainement afin de gagner encore du temps dans sa triche. Les étudiants de l’université d’Addis-Abeba décident alors d’entamer une grève. La police, ayant placé des indicateurs partout, a vent du mouvement, et envoie des troupes sur le campus. Les étudiants sont poursuivis toute la nuit dans les couloirs, et plusieurs d’entre eux sont légèrement blessés. Quatre sont arrêtés et emmenés vers une destination inconnue.

Le lendemain, lundi 4 juin, l’université se met en grève, et près de deux cents étudiants occupent le campus, bloquant la grille principale d’entrée. Plus tard dans la matinée, la police investit une seconde fois le parc, et grâce à la chére matraque que tout flic digne de ce nom chérit, sépare les manifestants en cinq groupes et les fait s’asseoir par terre. La situation est plus que tendue et des insultes fusent des deux côtés. Les robocops sont armés de fusils d’assaut mais ne semblent pas vouloir s’en servir. Ce jour là, uniquement à cet endroit, plus de 500 étudiants sont arrêtés. Sachant que des centaines seront arrêtés aussi sur les autres campus, la thèse officielle de 370 arrestations, reprise naïvement par Libération et l’AFP, vole en éclat. Les personnes arrêtées sont emmenées vers un endroit inconnu, et ne sont pas encore revenues au moment où j’écris ces lignes.

Le mardi 5 juin, la situation reste relativement calme, malgré quelques manifestations sporadiques, vite dispersées par les « forces de l’ordre ».

Le jour le plus meurtrier aura été le mercredi 6 juin. Ce jour, menées par les mouvements étudiants, les manifestations s’organisent dans plusieurs quartiers de la capitale. La répression est sanglante. En effet, la police avait reçu l’ordre de « rester ferme » face aux manifestants, et elle a appliqué la règle à la lettre. Armée de fusils d’assaut AK47 et de mitrailleuses lourdes, elle a ouvert le feu sur la foule et tué 22 personnes. 4 autres manifestants sont morts des suites de leurs blessures entre jeudi et vendredi. Un journaliste étranger ayant vu les corps assure que plus de la moitié étaient morts par balle à la tête. Le but était donc de tuer le maximum de manifestants, dans l’espoir que cela apporterait le calme. L’histoire nous montre ce qu’il en est. La mort d’un militant en fait lever dix.

La tension est actuellement à son comble et aujourd’hui, vendredi, nous avons encore eu vent de coups de feu tirés dans certains quartiers de la capitale. Il y aurait encore des morts.

Nous sommes ici dans ce que d’aucuns appelaient il y a peu « le pays le plus démocratique d’Afrique ». Nous voyons ce qu’est la démocratie prônée par les puissances occidentales. Ce n’est que la démocratie de la police. Ce genre de gouvernement considère comme une carte blanche les répressions sanglantes des manifestations de Gênes et de Seattle et les bastonnades régulières que subissent les militants. Seulement ici, la démesure est à la hauteur du mépris pour la vie humaine. Il faut montrer une façade bien propre et bien lisse, pour attirer les investisseurs étrangers. Les ambassades temporisent la gravité de la situation car elles ont trop peur de voir s’envoler de juteux contrats (installation d’Accor à Addis-Abeba, Total est omniprésent)

Quelques temps avant les élections, le gouvernement a raflé tous les petits mendiants, souvent des enfants, et tout ce qui pouvait donner une mauvaise image de la capitale, et les a déportés à près de 100 km de la ville, en plein désert, sans autre moyen de transport que leurs pieds, généralement nus d’ailleurs. Cela dans le but d’accueillir dignement des observateurs internationaux .- 200 pour les 35 000 bureaux de vote. Les partis politiques étaient autorisés, comme chez les grands, en Europe, à placer leurs propres observateurs, mais ils ont été chassés au moment du dépouillement, et de nombreuses urnes ont mystérieusement brûlé par la suite.

Je ne souhaite pas entrer dans la politique locale. Ce que je vois, c’est une violation grave du premier des droits humains, celui de s’exprimer librement. Et cette violation s’accompagne d’une série de meurtres inacceptables perpétrés par un Etat dictatorial contre une population dont la seule revendication est qu’on entende sa voix.

Je ne pourrai pas ajouter grand-chose, puisqu’il n’y a pas grand-chose à ajouter. Les faits parlent d’eux même. »

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