Note de lecture autour du livre « Poétique de l’emploi » de Noémi Lefebvre

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« C’est vrai que je vois du fascisme partout depuis qu’il y en a de plus en plus, alors que je ne sais même pas ce que veut dire fascisme, comme a souligné mon père le lendemain du jour où j’avais dit qu’il n’y avait pas beaucoup de poésie ».

« Il faut du temps pour voir dans le dos du réel ».

Un enfant. Son père.
L’enfant commence ainsi : « Il n’y a pas beaucoup de poésie en ce moment ».

Le père : « Tu ne crois pas que c’est un peu déplacé de parler de poésie justement en ce moment ? ». L’action se déroule en 2016. Le monde change. L’état d’urgence. À Lyon, « le vent était au nord et les avions tournaient, les magasins étaient ouverts à l’amour de toutes choses, les militaires par quatre et la police par trois patrouillaient dans la rue ». L’enfant a lu Klemperer et Kraus. Il est sans genre et sans âge. Le père est en quelque sorte le surmoi du narrateur - étriqué et moraliste. L’enfant-narrateur est en constant va et vient entre une observation du dehors et une réflexion du dedans. Il nourrit ainsi l’échange avec son père. « Je regardais les gens qui traversaient Bellecour, la statue de Louis XIV influençait l’espace, l’histoire pèse des tonnes. La nature nous manque ».

« - Tu as une conception beaucoup trop limitée de l’acteur dans le système. Dans cette guerre qui a commencé depuis plusieurs années, nous avons bien consciences les uns et les autres qu’il faudra du temps et que la patience est aussi exigeante que la durée et la dureté avec laquelle nous devons combattre.

- Tu dis n’importe quoi Papa.

- Peut-être mais c’est une citation ».

Jusqu’à un certain point je donne raison à mon père, il vaut mieux s’amuser et sauver l’Univers que se taper le spleen de la bonne ville de Lyon ».

Noémi Lefebvre aborde dans ce texte la prise en soi et la prise en main d’une réalité en mouvement. Le texte s’écoute d’une oreille largement avertie - dessinant les traits du fascisme libéré et à l’œuvre à Lyon.

« La sincérité est une fiction américaine, a dit mon père un jour où il avait bu. ».

En vérité chaque fois que j’ai voulu être sincère, je n’ai jamais rien fait que croire à ce que je croyais depuis moi vers le monde et du monde vers moi, comme si le monde et moi c’était du même tonneau. ».

« Qu’est-ce que le fascisme ? est une question que mon surmoi de père aborde à la sauce platonicienne pour me faire admettre que le fascisme, en tant que totalitarisme, n’a rien à voir avec l’Idée vraie (...) je n’ai pas eu le courage de lui parler de Kraus et de Klemperer qui n’avaient jamais dit "il y a fascisme et fascisme", mais étaient occupés à décrire le nazisme qu’ils connaissaient de près pour l’avoir vu détruire le langage et les humains avec, en commençant par la tête des enfants, afin que le futur n’ait plus aucun avenir".

Lefebvre interroge également les sempiternelles injonctions au travail, à la réussite, à l’emploi (qui n’est pas la même chose que le travail) - évidemment et notamment en écho à la loi travail du 8 août 2016 et au mouvement important qui précéda son dépôt officiel.

« Tout est dans Platon a dit mon père un jour où il avait bu ».

« Sur mon lit je pensais là où j’en étais, ça n’était pas fameux, on aurait dit un voyant qui ne voit rien ou une princesse qui n’a jamais rien fait à part imaginer des trucs en se coiffant les tifs ou un vieillard qui n’a pas de souvenir valide. Quand tu vois quelqu’un, de noir, mais dois-je le préciser, se faire écraser le poumon par le poids d’un flic en toute impunité et trainer par un autre qui le bourre de coups de pied sur les pavés de la berge, tu comprends que tout ce que tu as pu écrire dans ta jeunesse dorée n’est que de la foutaise ».

« La tête des enfants est farcie dès leur naissance par un tas de conneries, a dit mon père un jour où il avait bu ».

L’enfant-narrateur mange des bananes, fume des pétards, lit Klemperer et Kraus. Il se « conditionne pour l’estime de l’emploi ».

"Les jours suivants j’avais des choses à faire, je crois que je vivais et j’ai vécu ainsi sans penser au travail, je vivais pour vivre, pas pour gagner ma vie parce que nous sommes nombreux, nous le peuple orang, à vivre sans gagner. J’ai écrit un truc sur les humains outangs mais c’est pas fini, il faut du temps pour voir dans le dos du réel".

Beaucoup de joie dépressive dans cette Poétique de l’emploi qui donne des ailes à nos bras d’orang, d’outang, d’animaux humains.

Vous pouvez suivre le blog de Noémi Lefebvre
https://blogs.mediapart.fr/noemi-lefebvre/blog

P.-S.

Poétique de l’emploi, Noémi Lefebvre, Éd. Verticales, 2018, 12 euros.

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