Nuit Debout en questions

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Loi travail

Nuit Debout en questions

Depuis le début de ce mouvement nous observons enthousiasme, espoir, initiatives mais aussi incompréhensions, scepticisme voire mépris derrière lesquels s’exprime une certaine résignation, fatalisme ou impuissance (y compris dans certains milieux militants).
Aujourd’hui Nuit Debout pose plus de questions qu’il(le) n’apporte de réponses à condition bien entendu de vouloir se remettre en questions.

Ceux qui attendraient de Nuit Debout une logique de parti avec une pensée et une idéologie unique ou bien la recherche de leader charismatique ou de maitres à penser seront forcément déçus et ne les trouveront pas ici.
Ce qui ne veut pas dire que la pensée est absente, bien au contraire, de ces multiples débats qui nous occupent avec des couleurs variées du réformisme citoyen à la radicalité révolutionnaire.
Les actions qui en découlent y compris dans la démonstration du mode de fonctionnement interne à Nuit Debout sont des critiques en actes contre toute les aliénations (travail, consommation, exclusion, précarité, sexisme, racisme Etc…). Ces actions ont eu un caractère très symbolique voire volontariste et souvent restreintes aux conditions du légal et de la non violence tout en déclenchant des réactions violentes de la police et des valets du système : occupations, blocages, interventions sur les lieux de consommation, manifestations autorisées et sauvages, recherche de liens avec les travailleurs et les syndicats en lutte, interventions dans les médias, production ou reproduction de nombreux textes, groupes de travail sur de nombreux thèmes etc.
Deux questions reviennent souvent au sujet de Nuit Debout : Qui es-tu ? Où vas-tu ? Je pourrais répondre par une boutade ; « Nuit Debout c’est personne donc c’est tout le monde » ; « je ne sais où je vais mais j’y vais » et « si je ne connais pas l’avenir nous le construisons ensemble au présent pour le rendre possible ».

Rappel des idées fortes qui traversent le mouvement :
- Réappropriation de l’espace public pour en faire un lieu de rencontre et d’échange
- Réappropriation et libération de la parole dans le respect de la diversité
- Expérimentation d’une démocratie horizontale sans leader
- Participation à la convergence des luttes

Voilà qui me paraît être une base minimum non exhaustive pour répondre à la question de l’identité et des objectifs de ce mouvement qui ne peut pas se définir davantage sans risquer de s’étiqueter et de se catégoriser dans les critères et les normes de la représentation politique actuelle (la question de rédiger un Manifeste a été débattue et a donné lieu finalement à la rédaction d’une Charte).
Ce mouvement ne l’oublions pas est parti d’un rêve fou de quelques hurluberlus au début du mouvement contre la loi El Khomri qui ont lancé le défi et le message « on ne rentre plus chez soi et on reste debout sur place en signe de résistance » et « la peur doit changer de camp ». Deux messages simples fortement symboliques (porteurs de sens) qui faisaient écho au mouvement des Indignés.
Le sens profond du mouvement est justement de se remettre en mouvement après une phase de dépression et de résignation du mouvement social pour redonner espoir et confiance. Debout c’est l’invitation à un changement de posture pour sortir de la soumission et du pessimisme et remettre en mouvement son corps et ses pensées même si cela ne suffit pas et qu’il faut aller plus loin.
La limite de l’occupation statique d’un lieu étant le risque de l’enfermement et de l’isolement .
Nuit Debout pourrait se définir comme un foyer d’agitation et d’incubation d’idées et d’actions pour impulser de nouvelles formes de lutte avec un nouveau langage.
Son expression actuelle n’est donc pas de se prendre pour la « conscience du peuple » pour faire du prosélytisme mais au contraire de cette posture élitiste, Nuit Debout participe à l’évolution d’une conscience collective du monde où nous vivons et de l’apprentissage de comportements émancipateurs (une certaine naïveté peut faire sourire mais elle n’en est pas moins l’expression d’une certaine fraicheur et jeunesse du mouvement ).
Ceux qui voudraient y voir les prémices d’un parti à la PODEMOS à des fins électoralistes mettraient fin à cette aventure et donc au mouvement en retombant dans les arcanes du système qu’on veut changer.
La question est de savoir jusqu’où les idées forces du mouvement pourront aller sans trouver une expression politique sous des formes innovantes. Pour éviter que le rêve ne se termine en cauchemar du retour à la norme d’une nouvelle mascarade électorale à l’horizon 2017...
Nous sommes parfaitement conscients qu’un ou deux milliers de personnes rassemblées sur une place ne va pas changer le monde mais avec tous et la grève générale on pourra contribuer au changement.
Nuit Debout constitue un noyau qui doit grandir par cristallisation et doit éviter l’atomisation par le rejet et la marginalisation du mouvement (ce que recherche l’Etat).
Nuit Debout est un mouvement inclusif et non exclusif (jusqu’où ?) qui privilégie le et/et plutôt que le ou/ou en mode de pensée et le "fais si tu le sens" aux injonctions du "il faut faire ou pas". A ce titre la notion de consensus majoritaire a été relativisée pour décider d’une action montrant par là qu’il n’est pas nécessaire d’être majoritaire pour faire aboutir une initiative.
La condition à une véritable convergence des luttes est de sortir du spécisme militant, de ses chapelles et groupuscules, sortir de ses identités enfermantes et cloisonnantes entre les différents fronts de résistances (anti capitaliste, anti sexiste, anti nucléaire, anti ogm, anti fascistes, anti répression anti raciste, anti tout, etc) allant même dans le particularisme jusqu’à établir une hiérarchie dans l’exploitation et l’aliénation. Ce qui entraîne une perte de vision de la globalité et donc la perte de l’unité de ces différents acteurs autour de leur dénominateur commun contre les « rapports de domination ».
Comment faire pour que ce dénominateur commun n’annule pas la richesse de la diversité et du dissensus dans les luttes ?

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La convergence des luttes passe par la capacité à défocaliser par rapport aux cibles qu’on s’est données à sortir des codes et des langages du « prêt à penser idéologique » pour mettre ses convictions au service de la transformation du monde.
En d’autres termes lorsqu’on vient participer à des échanges à Nuit Debout ce n’est pas pour entendre dans la bouche des autres ses propres croyances ou vérités mais au contraire pour les faire évoluer vers plus de conscience et d’universalité dans nos propos. Pas plus que l’intelligence collective n’est la somme des intelligences individuelles, la convergence des luttes n’est la juxtaposition des luttes parcellarisées ou l’alignement des stands des différentes boutiques venues faire leur promotion.
Entre l’époque révolue des grandes idéologies collectives qui fédéraient les énergies et l’époque actuelle des choix individuels à engagement sélectifs et momentanés, un nouvel espace est à définir dans la recherche d’un équilibre des tensions sociétales et mondiales entre collectivisme et individualisme.
En cultivant l’illusion que ce sont les plus exploités qui doivent être à l’initiative d’un changement de perspectives (on l’a vu dans les tentatives pour rallier les travailleurs en grève de Bosch et les populations des banlieues) le risque est de confirmer des clivages socio-culturels, ce qui démontre que notre lutte ne s’affirme pas dans un langage suffisamment universel pour que tous et toutes se sentent en appartenance avec le mouvement.
La démobilisation rapide des travailleurs de Bosch dès lors qu’ils ont obtenu la promesse de la suspension des licenciements pose question sur l’intégration de luttes revendicatives et corporatives qui ne partagent pas les mêmes objectifs. La perte de leur emploi constituant une menace plus urgente sur leur quotidien que les conséquences de la loi El Khomri.
Encore une fois comment faire de l’unité dans la diversité ?
En d’autres termes être une femme, employée d’une entreprise de nettoyage, âgée, de culture différente, sans diplôme, sans papiers, me pose le problème de savoir dans quel aspect de mon identité je me reconnais pour savoir dans quelle lutte je dois m’engager.
Si aucune de ces identités ne me définit en tant qu’individu je vais devoir trouver la source et la conviction de mon engagement dans la révolte fondamentale contre tous les aspects de l’oppression dans mon quotidien et non dans quelque cause extérieure à ma vie (militantisme désincarné).
Bien sûr que je ne peux pas me battre contre le tout mais que les actes et comportements libérateurs que je vais développer devront contenir le tout de manière explicite ou symbolique. Comment expliquer autrement que l’injustice et l’humiliation subie par un jeune marchand ambulant en Tunisie qui finit par s’immoler ait provoqué des émeutes en cascade et finalement le renversement du gouvernement Ben Ali ?Dans un contexte différent, l’assassinat de Rémi Fraisse par des gardes mobiles lors du mouvement sur Sivens s’est passé dans l’indifférence quasi générale hormis les réactions de ses camarades de lutte.
Est-ce le sentiment d’appartenance autour de valeurs fortes qui suscite l’adhésion et la mobilisation, y compris dans la mobilisation de notre énergie et de notre conviction personnelle ?
Le cocktail explosif se trouve dans le lien que nous pourrons établir entre toutes nos luttes particulières et la totalité pour le respect et la primauté de l’humain sur l’économique, la réappropriation de l’espace et du temps de nos vies, pour des rapports sociaux fondés sur l’égalité et la solidarité, pour…

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C’est en se positionnant sur ces « pour » non-toxiques que nous sortirons de la dépendance réactive à ce que nous combattons dans nos identités respectives pour nous rendre compte que nous cherchons tous et toutes à prendre le pouvoir sur les aspects de notre vie.
Et si expérimenter des modes de relation non toxiques, enrichissants et libres dans la vie quotidienne (elles seront forcément en rupture avec la routine et les habitudes) ou adopter des modes de vie plus écologiques (au sens global) nous rapproche de ce but ce sera sans entretenir l’illusion qu’on peut se sauver individuellement même dans la fuite car la bulle qu’on se crée peut très vite devenir une prison. Le monde sinon rien.
Voilà pourquoi la fulgurance de Nuit Debout est porteuse d’espoir par une rupture avec le quotidien en terme d’espace et de temps, un déconditionnement des certitudes dans les échanges, la tentative de se parler en temps qu’individus et non pas à travers des étiquettes ou des représentations sociales ou culturelles, d’initier des processus d’organisation et de décision horizontaux même si dans cet espace restreint et autorisé nous retrouvons aussi toutes les contradictions et tensions de notre société.
Seule la grêve générale et illimitée peut permettre au plus grand nombre de vivre le privilège de cette rupture avec le quotidien qui nous aliène et il ne tient qu’à nous que cette place Guichard ne devienne pas une prison mais un laboratoire parmi d’autres de notre libération future. (Place que je propose de renommer Place Rémi Fraisse résistant de notre époque et de toujours).
Nuit Debout devra s’étendre ou s’éteindre… Ce n’est qu’un début, il en restera toujours quelque chose.

un participant à Nuit Debout

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