Le Petit Paumé est une vieille institution bien connue des Lyonnais·es créée en 1968 par l’ancêtre de l’EMLYON Business School et qui se définit comme « un ami lyonnais que l’on consulte pour trouver des bons plans avant de sortir. Il émet un avis subjectif à partir d’un ressenti global. Il recommande certains établissements et en déconseille d’autres. »
Il est surtout un malheureux thermomètre du patriarcat ambiant. Distribué à quelques 250 000 exemplaires depuis le 8 octobre, jour du lancement de l’édition 2017 place Bellecour, aucune réaction sur son contenu n’a encore été émise. Et pourtant, il y aurait bien des choses à (re)dire. Ce n’est pas la qualité des commentaires que nous critiquons ici mais le ton machiste et misogyne utilisé tout au long du guide, sans que les auteur·e prennent conscience de la portée des mots utilisés.
La culture du viol en édito
Pour justifier la thématique annuelle, le retour de la Fête des Lumières, les auteur·es commencent par faire référence à l’annulation de l’année précédente en déclarant « Nous souhaitions également marquer notre impatience de retrouver notre chère Fête des Lumières violée en 2015 par la terreur de certains esprits peu lumineux. »
Alors non, une fête n’est pas violée parce qu’elle est annulée. Un viol c’est une relation sexuelle non consentie. Détourner ce terme pour l’utiliser dans un contexte totalement inadéquat, c’est en nier la définition même et ça le banalise. Cela participe ainsi à la culture du viol dont est imprégnée la société française. Le fait qu’un des événements phare de la politique touristique lyonnaise ait été annulé a, plus qu’autre chose, été une libération pour les habitant·es qui ont pu profiter de leur ville sans l’habituelle horde de touristes du début décembre.
Une apologie du plus crade du porno
Mais, hélas, comme pour beaucoup de choses le meilleur (enfin ici le pire) est à la fin...
Ainsi à partir de la page 381 démarre une rubrique intitulée « Fripons ». Cette rubrique regroupe les sex shops, love shops et autres clubs libertins, décrits de façon plus ou moins graveleuse. La sexualité est vue principalement du point de vue des hommes hétérosexuels, où la femme n’est qu’un objet.
Trois pages ont particulièrement attiré notre attention. Glissées entre les descriptions de bar à hôtesses et autres bars à strip-tease, les rédacteurs (et rédactrices ?) ont cru bon de partager des compléments d’informations sur ce qu’il s’imaginent être pour eux (et elles ?) la sexualité.
La première page est ainsi consacrée au porno sur le web « Jeu de mains, jeux de coquins ». On y trouve une « liste du meilleur porno gratuit » et un classement des « plus bonnes de la toile »... La pornographie en elle-même n’est pas le problème, mais il s’agit là d’une caricature de ce que l’on peut trouver de pire, ce que la suite nous confirme vite.
La rubrique suivante, se voulant une rubrique francophone « Le porno que l’on peut com-prendre », le Petit Paumé fait la promotion d’un site tristement célèbre, « Jacquie et Michel ». Ce site, façade d’un des plus important et des plus rentables groupes de l’industrie pornographique française, est le fruit de très nombreuses critiques. Certaines pointent ses films pseudo-amateurs qui le plus souvent sont basés sur la soumission, l’humiliation et l’apologie du viol des femmes. D’autres portent sur ses liens avec l’extrême droite la plus dure en donnant la parole a un vieux taulier de la fachosphère.
Les femmes considérées comme des objets sexuels
Sur la page suivante (389), le Petit Paumé se permet de dresser un palmarès des meilleures positions sexuelles, à l’attention des hommes uniquement, évidemment. Seule la sexualité hétérosexuelle y est présentée et le consentement de la femme n’y est jamais évoqué, sûrement inutile aux yeux des auteurs. Les femmes sont passives, réduites à une fonction d’objet sexuel quand l’homme est présenté comme actif et seul pourvoyeur de plaisir pour la femme.
La position recommandée par le Petit Paumé, où le mot viol aurait plus de sens que dans l’édito, est édifiante : « C’est une dure journée pour moi, je décide de tout : plus vite ? Plus fort ? Nos enfants vont marcher à quatre pattes jusqu’à leur 5 ans. »
La prostitution lyonnaise présentée comme une balade touristique
Enfin, la page 391 est dédiée aux différents lieux de prostitution, pour que les hommes puissent se décider selon leurs « goûts » et leur portefeuille.
On y retrouve une banalisation (encore) des femmes rendues objets. La rubrique est teintée de racisme, mentionnant qu’elles sont « rangées par ethnie ». Le tout est écrit sur un ton potache. La prostitution est un lieu d’initiation pour les « puceaux, loosers et mauvais coups », les conditions de travail sont exotisées, minimisant la violence sociale de leur situation. La relégation des prostituées de Confluence à Perrache est présenté comme une chance pour le client puisque maintenant elles sont encore plus nombreuses dans leur camion joliment illuminé par des bougies, la « prostitution de proximité » est vantée, tel un service rendu, ou un commerce comme un autre.
Les prostitués sont donc au service des hommes, pour leur apprendre la sexualité ou pour les « soulager ».
Finalement, la répression policière est ici présentée comme un jeu « PS1 : la prostitution c’est mal, et si vous êtes pris sur le fait vous en aurez pour votre argent : 1500 € d’amende soit environ 75 fellations ou 3 jours de salaires brut d’un député. »
Une équipe de rédaction en roue libre
On ne fera pas une critique exhaustive de toutes les descriptions des bars, restaurants et autres, elles aussi sexistes et racistes.
Ce qui est affligeant est que tout cela à l’air totalement banal et ne semble poser aucun problème à ces auteur·es. Leur seul souci est d’éviter tout nouveau procès en tâchant de ne pas être trop irrévérencieux, car ils se sont « rendu compte de la popularité du guide auprès des Lyonnais et de la responsabilité qui en découle vis-à-vis des entreprises dont on parle. » Pour cela, un avocat relit gracieusement le guide [1].
Dommage que ces étudiant·es n’aient aucun conseiller pour les prévenir du sexisme et racisme qu’ils reproduisent et que selon eux, ni l’un ni l’autre ne fassent partie « d’une impasse sur un code de bonne conduite, garant [du] sérieux et de [l’] intégrité » du Petit Paumé.
Ces immondices sont à mettre en lien avec l’affaire des publicités Bagelstein, lorsque cette enseigne de bagels fait impunément du sexisme la base de sa stratégie publicitaire. Une affaire révélatrice du climat ambiant.
Alors que cela fait plus de 3 semaines que ce guide est sorti et que la plupart des institutions et des entreprises locales lyonnaises sont dedans, ni ces dernières et ni aucun lecteurs-trices n’a pour l’instant réagi...
Cher Petit Paumé, nous espérons que tu retrouves un jour ton chemin, en attendant, pour cette année, la poubelle sera le tien.
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