« Des brèches dans la forteresse »

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Meurtre policier

Entretien avec Paul Le Derff, volet 2. Les violences policières touchent des catégories de plus en plus larges de personnes. Les homicides policiers se multiplient… et les mobilisations aussi. Le chercheur pointe le rôle central des émeutes urbaines dans l’évolution du rapport de force.

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Illustration de Laffrance

Notre dossier « Homicides policiers : qui fabrique le silence ? » :

Récit de Fatiha : « Ils ne m’ont jamais informée, comme s’ils avaient abattu un chien errant »

Entretien avec Paul Le Derff, partie 1 : « La légitimité policière tient surtout à la faible condamnation des policiers »

Entretien avec Paul Le Derff, partie 2 : « Des brèches dans la forteresse »

Paul Le Derff est docteur en science politique. Il a enquêté sur 360 interventions policières mortelles, qui ont fait 393 victimes entre 1990 et 2016. Sa thèse a été soutenue en février 2023. Elle s’intitule : « Faire voir, faire parler, faire taire, La publicisation des faits policiers mortels en France ».

Nous avons terminé le précédent volet de cet entretien sur le rôle de la justice. Pouvez-vous revenir à présent sur le rôle des médias ? Comment les journalistes se positionnent-ils sur les affaires d’homicides policiers ?

P. Le Derff : Du côté des journalistes, il y a généralement peu d’intérêt à s’investir sur ce type de faits. Très peu d’entre eux suivent une enquête sur le long terme, et très peu ont traité plusieurs affaires. Sur 601 journalistes recensés qui ont écrit sur les 19 homicides policiers les plus médiatisés, près de la moitié d’entre eux (48,9 %) n’ont écrit qu’un seul article. Seuls 14,1 % d’entre eux sont « prolifiques », c’est-à-dire ont écrit, soit au moins dix articles, soit au moins cinq articles liés à au moins trois affaires différentes.

C’est plutôt logique. Il y a statistiquement trop peu d’homicides policiers pour motiver une spécialisation sur ce thème. Et d’un point de vue journalistique, ce sont aussi des récits sur lesquels il est très dur d’enquêter, faute de preuves. Il n’est pas possible de s’appuyer sur le récit de la victime, comme c’est le cas dans des affaires de violences policières qui concernent des blessures ou des abus.

En plus de cela, au début de l’enquête, c’est le parquet qui garde la main sur les éléments du dossier. Donc, lorsqu’on soupçonne qu’il y a eu des dissimulations, il est généralement impossible pour les journalistes de s’appuyer sur le récit de témoins ou sur des éléments matériels pour mettre en doute la version officielle des faits.

Cela étant dit, je pense aussi que ça ne les intéresse généralement pas trop. Les journalistes police/justice qui travaillent quotidiennement auprès et avec ces institutions sont peu enclins à se distancier de leurs sources policières habituelles. Et puis il ne s’agit pas de « grandes » enquêtes policières ou judiciaires, qui vont rarement jusqu’au procès d’ailleurs, qui pourraient susciter le même engouement journalistique que le grand banditisme ou les autres récits criminels.

Il y a quand même des journalistes engagés sur ces questions…

P. Le Derff : Certes, cependant, leur travail influe assez peu sur la mise en visibilité de ces événements. Soit l’affaire est déjà très médiatisée, et ce n’est que dans un second temps qu’ils couvrent l’événement ? Soit ils couvrent une affaire très peu médiatisée, mais ça ne suffit pas à changer la donne.

Un bon exemple récent, c’est la mort de Merter Keskin en 2021. Caurentin Courtois, Fabien Leboucq et Willy Le Devin révèlent les images de sa mort au commissariat de Sélestat en 2022 pour Libération. Ça n’a pas suscité beaucoup de réactions.

Je pense que le travail des journalistes spécialisés sur ces enjeux a bien plus d’effets lorsque la controverse publique est déjà enclenchée, notamment en participant à des coups médiatiques (le plus souvent, se faire le relais des fuites du dossier judiciaire), mais c’est beaucoup plus difficile pour eux d’en être les initiateurs.

Mais alors, comment expliquer que certaines affaires font « scandale » ?

P. Le Derff : D’abord, il n’est pas inutile de rappeler deux choses. D’une part, les émeutes ne sont pas des tactiques à proprement parler. Elles ne sont pas prévues ou planifiées, contrairement à des actions entreprises par des organisations liées à des mouvements sociaux. Donc, peu importe ce que l’on pense de leur rôle : une émeute a sa logique propre, se suffit à elle-même et, bien souvent, l’action de police en est l’élément déclencheur.

D’autre part, comme le rappelle Francis Dupui-Déri dans la préface d’un livre paru en 2018, ce qu’on qualifie aujourd’hui de « violences » correspond, sauf exceptions, à de la destruction de biens matériels. Ce qui a pu être considéré auparavant comme de la non-violence. Sans chercher à minimiser ces transgressions, on reste loin de la violence des mouvements anarchistes du XIXe et XXe siècle... Lire la suite de cet entretien sur Flagrant-Déni.fr

« La légitimité policière tient surtout à la faible condamnation des policiers »
Lire la première partie de l’entretien avec Paul Le Derff. Le chercheur décrit les mécanismes qui contribuent à laisser la plupart des homicides policiers dans l’ombre du débat public. Il pointe les liens de collusion entre police, médias et justice, et le rôle central de cette dernière.
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La suite à lire sur : https://www.flagrant-deni.fr/des-breches-dans-la-forteresse

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