Face à l’antisémitisme, pour l’autodéfense

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Dans la rue, sur internet, au travail : l’antisémitisme explose.
Pour la première fois en France depuis la Seconde Guerre mondiale, des enfants ont été assassinés parce que juifs, à Ozar Hatorah, à Toulouse.
Des synagogues sont attaquées, des cimetières et lieux communautaires vandalisés.
Des personnes agressées, insultées, parce qu’elles sont juives ou parce qu’elles sont considérées comme telles.
Les propos antisémites explosent sur internet : la vieille rengaine puante du « complot juif mondial » se propage à grande vitesse par textes et vidéos...

Comprendre la dynamique antisémite pour mieux la combattre

Contrairement au discours des idéologues sionistes (ou de leur alter ego « antisionistes » obsédé par la situation en Palestine), cet antisémitisme n’est pas « l’importation du conflit israélo-palestinien » en France.
C’est le vieil antisémitisme français, européen, qui revient en force.
C’est l’antisémitisme diffusé en Algérie par la ligue antisémitique, qui y voyait un moyen de monter les algériens juifs et musulmans les uns contre les autres pour protéger le statu quo colonial.
C’est l’antisémitisme racialiste des nazis, c’est l’antisémitisme pseudo « révolutionnaire » qui se présente comme « antisystème », alors qu’il est la dernière ressource de la bourgeoisie et du capitalisme pour altérer la conscience populaire, et dévier la révolte populaire vers les juifs et juives présentés comme boucs émissaires. 

« Complot sioniste-illuminatis », le « rebranding » du complot « juif et franc maçon »

C’est une vieille technique de commerçant que de changer la marque d’un produit, quand celui-ci se vend mal, pour relancer les ventes en faisant passer pour neuf une vieille recette.

Le thème du complot « juif et franc maçon » était trop associé au nazisme. Pourtant, ce thème est une nécessité pour le fascisme : il permet de se faire passer pour « révolutionnaire », pour un défenseur des « opprimés » contre le « système », associant les juifs et les juives (amalgamés à la finance et au pouvoir) et les francs-maçons.

On a donc assisté ces dernières années, avec l’aide d’internet, à un « rebranding » : on nous vend le complot juif et franc maçon sous l’étiquette « complot sioniste et illuminati ».

Le contenu est le même. Le fascisme joue ainsi le rôle de dernière ligne de défense de l’ordre bourgeois : car non seulement, toutes les manifestations de l’idéologie raciste, l’antisémitisme divisent les oppriméEs en les dressant les unEs contre les autres. Mais également parce que l’antisémitisme permet de protéger la bourgeoisie, en l’invisibilisant comme classe possédante et dirigeante, en lui substituant dans la conscience populaire la figure du « juif », associé au pouvoir, à l’argent, à la banque par l’idéologie antisémite.

Ce faisant, elle préserve de toute critique concrète la réalité de l’oppression et de l’exploitation capitaliste (l’exploitation salariale, la propriété privée des moyens de production, la hiérarchie, l’impérialisme militariste, la répression et la violence d’État), en attribuant la crise non pas au capitalisme lui-même, mais aux « dérives » d’un capitalisme financier, associé par le jeu des préjugés antisémites aux juifs et aux juives.

Celles et ceux qui parlent de « complot sioniste » le font en référence, non pas à l’idéologie sioniste réelle (un nationalisme qui s’est traduit concrètement par un projet et une pratique coloniale en Palestine), mais à l’idéologie antisémite forgée dans des classiques du racisme antisémite tels que « La France juive » de Drumont ou le « Protocole des sages de Sion » créé de toute pièce par la police politique de l’Empire russe (L’Okhrana).

Face à cette situation, la violence antisémite ne peut que continuer à exploser.
Les institutions communautaires condamnent l’autodéfense juive en appelant les juifs et les juives à chercher le bras protecteur de l’État français, à se ranger derrière la légalité bourgeoise.

L’impasse du légitimisme institutionnel bourgeois des institutions communautaires

Mais l’État français, s’il fait de grandes déclarations condamnant l’antisémitisme, n’a aucune intention de lutter réellement contre une idéologie vitale pour les intérêts de la bourgeoisie française en période de crise. De telles déclarations n’ont pour but que de contribuer à la fiction d’un « antiracisme d’État », masque moral d’un racisme d’État bien réel au quotidien. 

Il est significatif que le même Manuel Valls qui prétend interdire les spectacles de Dieudonné, soit l’auteur d’une sortie violemment raciste contre les Roms, autres victimes de la politique génocidaire nazie. Que ce même Valls continue de mener une politique raciste anti-immigrée, et que l’État français s’en prend quotidiennement aux minorités nationales arabes, noires et roms.

De telles déclarations sont par ailleurs autant d’armes pour le discours antisémite qui présente de telles déclarations comme la preuve de l’influence des juifs et des juives sur l’État.
Elles permettent en outre de détourner la colère d’une partie des minorités nationales arabes et noires de l’antiracisme vers l’antisémitisme, de la même manière que le sionisme tend à détourner la colère de la minorité nationale juive de l’antiracisme vers le racisme anti-arabe et l’islamophobie.

De même, de telles déclarations ont été le prétexte de l’abandon par une partie conséquente du mouvement ouvrier de la lutte contre l’antisémitisme, assimilé au mieux à un combat d’arrière-garde, au pire à un terrain qui ne pourrait bénéficier qu’à l’État, aux courants sionistes, ou participer au climat islamophobe ambiant (l’antisémitisme populaire étant de manière erronée considéré comme importé par le conflit israélo-palestinien alors qu’il est une idéologie française et européenne, une constante de l’idéologie nationale française).

En réalité, l’État français et la bourgeoisie française se contrefoutent du sort des classes populaires juives, qu’ils et elles sacrifieront sans complexe si nécessaire, comme ils et elles l’ont toujours fait face aux explosions antisémites.

Une telle option ne peut que désarmer les classes populaires juives face à la montée de l’antisémitisme.


L’impasse de l’option sioniste

La deuxième option est diffusée par divers courants sionistes. Si ces courants ne condamnent pas en soi l’autodéfense juive, ils l’enferment dans une dynamique exclusivement communautaire et dans le soutien au colonialisme israélien, ce qui la conduit inévitablement au racisme. Ils isolent ainsi la minorité nationale juive de ses autres alliéEs potentiels dans une dynamique antifasciste : mouvement ouvrier, les autres minorités nationales, les minorités sexuelles.
Ils dévoient l’autodéfense juive de ses objectifs premiers (l’autoprotection de la minorité nationale juive) en l’instrumentalisant contre des opposants au colonialisme israélien qui n’ont rien d’antisémite. Ils développent pour les uns des stratégies d’alliances avec certains secteurs des fascistes français (la LDJ organise ainsi des actions conjointes avec les identitaires). Pour les autres, des alliances avec l’ensemble des forces réactionnaires.
Enfin, plutôt que d’organiser la lutte contre l’antisémitisme, ils le considèrent comme inéluctable, et consacrent l’essentiel de leur énergie à convaincre les personnes de la minorité nationale juive à émigrer en Israël et à apporter ainsi leur soutien au projet colonial israélien qu’ils présentent comme un « refuge » contre l’antisémitisme.
En amalgamant opposition au colonialisme israélien et antisémitisme, ils affaiblissent la compréhension du danger antisémite au sein des classes populaires, et au sein même de la minorité nationale juive. En présentant Israël comme un « refuge » face à l’antisémitisme, ils affaiblissent la lutte contre l’antisémitisme en Europe : car plutôt que de permettre à la minorité nationale juive de consacrer son énergie à l’organisation de son autodéfense et à la construction d’alliances antiracistes, ils dévient son énergie vers le soutien à un projet colonial et à la lutte contre les anticolonialistes.


L’option révolutionnaire : la seule voie pour briser l’antisémitisme

La troisième option, c’est celle portée historiquement par le mouvement ouvrier et révolutionnaire juif, théorisée et mise en pratique par des militantEs comme Samuel Schwartzbad, Gustav Landauer, Emma Goldman et bien d’autres... Elle se structure autour de deux axes complémentaires : autodéfense antifasciste (dont l’autodéfense juive) et lutte au sein du mouvement ouvrier pour la révolution sociale.
Le premier axe, pour lutter ici et maintenant contre la violence antisémite. Cette autodéfense doit s’organiser de manière autonome des institutions bourgeoises. Elle doit organiser le combat contre l’antisémitisme ici et maintenant. Elle ne doit pas être dévoyée dans le soutien au projet colonial israélien, qui lui fait se tromper de cible. Cette autodéfense doit s’inscrire dans une dynamique plus large d’autodéfense antiraciste, en cherchant des alliances avec les autres minorités nationales opprimées, et plus largement avec le mouvement ouvrier.


Pour cela, deux choses sont nécessaires :

Au sein du mouvement ouvrier et des autres minorités nationales : Une prise en compte réelle de la nécessité et de l’actualité d’une lutte sans concession contre l’antisémitisme. Cela signifie la fin de toute complaisance vis-à-vis de courants antisémites, la reconnaissance de la réalité de l’oppression antisémite en France, et de sa montée en puissance, ainsi que la détermination à la combattre sur le plan idéologique comme par l’usage de la force lorsque cela s’avère nécessaire.

Au sein de la minorité nationale juive : Une rupture avec le sionisme qui isole celle-ci et rend impossible concrètement l’alliance antiraciste nécessaire pour briser dans l’oeuf la dynamique antisémite. L’inscription de l’autodéfense juive dans une dynamique d’autodéfense antiraciste, c’est-à-dire la condamnation des courants racistes et islamophobes qui au sein de la minorité nationale juive cherchent à isoler celle-ci de ses alliéEs naturels pour l’amener à soutenir le projet colonial israélien.

Ces deux conditions sont réalisables et sont vitales, mais elles nécessitent des positionnements très clairs au sein du mouvement ouvrier, au sein des organisations de luttes populaires. Toutes celles et ceux qui sont conscientEs de la progression du mouvement fasciste, du racisme en général et de l’antisémitisme devraient à notre sens s’y consacrer.

Le deuxième axe, quant à lui, consiste dans le combat pour la révolution sociale, contre la société de classe qui nourrit la division raciste et antisémite, puisque cette division est nécessaire aux classes dominantes, à la bourgeoisie, pour « diviser pour mieux régner ». Le combat pour la révolution sociale permet de « rendre visible », la classe dirigeante que l’antisémitisme a pour fonction de rendre invisible : la bourgeoisie.

Un anarchiste de la minorité nationale juive

Minorité nationale juive : les personnes, qu’elles soient athées ou religieuses dont la judéité fait partie de leur histoire familiale et donc personnelle, qu’il s’agisse de la mémoire de la persécution (en négatif), d’une ou de cultures communes (en positif).
Des personnes qui du fait de cette histoire sont exclues par les nationalistes du roman national, du corps national, et donc relégué au rang de « minorité nationale » en France.
À ce titre, des personnes qui se définissent ou sont définies comme juives, cibléEs par les antisémites, même si leur rapport avec la judéité est lointain.

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  • Le 1er février 2014 à 07:32, par Anar

    L’antisémitisme n’est pas un racisme « classique » puisqu’il s’appuie sur les thèses complotistes, ce n’est pas la dénonciation d’un être « inférieur » mais le lien entre tous les juifs et l’oppression.

    L’antisémitisme cherche à croire que les dirigeants sont juifs donc que les juifs sont causes de malheurs alors que le racisme, c’est plutôt écarter la minorité du pouvoir et lui en refuser le droit.

    De toute façon il faut des groupes d’autodéfense antifascistes composés de juifs, d’homosexuels, de musulmans, de noirs et d’arabes, et de sympathisants.

  • Le 14 janvier 2014 à 14:10, par un communiste libertaire

    Je soutient l’analyse de ce texte.

    Mais il y a un aspect dérangeant. Pourquoi parler d’anti-sémitisme et pas tout simplement de racisme ? Pourquoi développer une analyse et une stratégie spécifique pour ce racisme là ?

    N’est ce pas prêter le flan aux tentatives de division communautaire des fachos ?

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