Deux membres de la Fabrique de la Ville ont répondu à nos questions. L’un d’eux habite le 1er depuis 4 ans, l’autre le bas des Pentes depuis 15 ans. Tous deux participent depuis quelques années au Conseil de quartier haut et cœur des Pentes dont ce groupe de 5 à 8 personnes émane.
Comment est née la Fabrique de la Ville ?
Romain : Les sujets récurrents dans les conseils de quartier sont les sujets du quotidien, de réglage de petits problèmes qui s’y passent… Nous voulions prendre de la hauteur car on sentait que des évolutions du quartier nous échappaient. Le premier déclencheur ce sont les projets annoncés par la Mairie de Lyon ou la Métropole sur des lieux bien précis du quartier. Ils ont été annoncés sans concertation. Étant au Conseil de quartier, nous pensions naïvement que nous serions les premiers à être concertés… Le deuxième déclencheur c’est que, depuis 2012, on est en période de révision du PLU-H. Des réunions publiques étaient organisées par la Métropole, sous le nom de « réunions de concertation ». On est allé à une ou deux de ces réunions, ce n’était pas de la concertation, juste des réunions d’information.
Le Plan Local d’Urbanisme et de l’Habitat (PLU-H) est l’outil juridique qui réglemente l’occupation et le droit des sols d’une agglomération. À Lyon, il est commun à toutes les communes de la Métropole. C’est un outil politique qui est défini à partir des objectifs définis des pouvoirs publics en matière de développement économique, d’habitat et d’environnement. |
Franck : L’arrivée de ces projets nous est tombée dessus par l’intermédiaire d’une plaquette réalisée en plein mois d’août 2016. On a vu des perspectives de l’école des beaux-arts (ENSBA). On a vu des perceptives d’architectes, de promoteurs… sur plus de six sites d’un coup ! On a décidé de se concerter pour comprendre comment ces choses étaient possibles et comment on pouvait y répondre.
Romain : Une dimension supplémentaire, c’est que ce sont majoritairement des projets privés sur des lieux publics. Que cela soit l’ancien collège, l’ancienne école des beaux-arts, l’ancienne église Saint-Bernard qui est la propriété de la ville.
Franck : Nous avons organisé un cycle de rencontres fin 2016, début 2017. On y a invité des personnes pour parler de ce qui s’est passé à Saint-Jean ou dans d’autres villes où existent des phénomènes identiques. On a invité des urbanistes. Ces rencontres ont suscité beaucoup d’intérêt. C’est ce qui nous a poussé à constituer un groupe.
« On est toujours mis devant le fait accompli »
Quel sont vos objectifs ?
Romain : Initialement on avait des ambitions assez modestes. Le premier objectif c’est d’informer les habitant·es de l’arrondissement qui ne sont pas au Conseil de quartier. L’autre but est de réfléchir tous ensemble, avec l’idée que chacun·e puisse se faire un avis sur les évolutions du quartier.
Franck : On a vraiment l’impression de ne pas avoir de prise sur les choses, on est toujours mis devant le fait accompli. C’est hyper frustrant, sachant que normalement il y a des dispositifs obligatoires de concertation des habitant·es. Ce sont des bâtiments publics vendus très peu cher à des intérêts privés. Dans d’autres villes, les acteurs publics négocient des contreparties importantes pour les habitants : la création d’une école, d’un espace public, etc. À Lyon, il n’y a ni contrepartie, ni information.
Vous souhaitez participer à la concertation du nouveau PLU-H, comment allez-vous faire ?
Franck : L’arrêt du projet du PLU-H date du 11 septembre 2017. Il marque le début d’une phase concertation des officiels, des mairies, avant les habitants eux-mêmes.
Romain : Pour les habitant·es ce sera en avril 2018, sur une période très courte, d’un ou deux mois maximum. Et c’est aux habitant·es de faire la démarche pour s’exprimer dans le cahier de la mairie ou dans celui de la métropole.
Franck : La période de concertation débouche sur l’enquête publique, là où les habitants ou les Conseils de quartier peuvent faire des requêtes argumentées sur des points particuliers. On peut aussi faire des contrepropositions sur certains points. Normalement, ces requêtes et propositions remontent pour être analysées et intégrées dans une nouvelle version du PLU-H. Cette procédure très stricte est la seule piste qu’on a sur le plan institutionnel et elle se joue dans des délais hyper courts. C’est pour ça qu’on travaille en amont et qu’on organise une réunion publique le 22 novembre.
Des stratégies comme celles-ci ont-elles déjà abouti à un changement dans un PLU-H ?
Romain : On n’a pas d’exemple. Les enquêtes publiques sont consultatives. Par exemple, de nombreux grands projets inutiles et imposés ont été mis en œuvre malgré des retours négatifs. Dans ce type d’enquêté, la voix des habitant·es n’est pas prépondérante. Quand une enquête publique est déclarée négative c’est plutôt car une mairie, un département ou une région s’est opposé au projet en question. Travailler sur le PLU-H est surtout pour nous un moyen de produire quelque chose collectivement sur ce sujet. Proposer une ou plusieurs contributions sur des thèmes précis serait déjà un résultat intéressant.
Votre objectif c’est de contester le PLU-H pour impulser une mobilisation des habitant·es du quartier ?
Franck : Oui. Le but c’est de mobiliser et d’aller sur le terrain, sur chaque projet et de les contester. Je pense qu’il y a une marge de manœuvre sur chaque projet. Contrairement à ce qui a été annoncé, ces projets ne sont pas définitifs, ils sont là pour prendre la température. Je pense que la réaction aux annonces de ces projets est très observée.
Romain : Pour la reconversion du collège Truffaut, il y a l’association Environnement Place Morel. Ces habitant·es se sont mobilisé·es assez tôt et ont réussi à passer des propositions dans l’appel d’offre. Le groupement privé sélectionné par la Métropole doit les intégrer.
Franck : Il y aura un lieu pour les jeunes, du logement social et l’ouverture de la cour sur le reste du quartier. Il y a quand même de petits acquis. L’association Environnement Place Morel est une émanation de l’ancien Conseil de quartier de l’Ouest des Pentes. Il est donc possible de passer du Conseil de quartier à une association qui fait bouger les choses. C’est dans ce créneau qu’on se situe.
Romain : Le fait de parler de mobilisation sous-entend qu’on a identifié un objectif précis contre lequel on se mobilise. Dans les Pentes il y a de nombreux groupes qui travaillent sur des sujets similaires. D’autres personnes travaillent sur la nature en ville, notamment aux alentours de la rue Pouteau : elles réinvestissent le trottoir, plantent, arrosent... Ces collectifs partagent la même vision du quartier : un quartier pour tout le monde où les choses se font en commun et où les habitant·es décident de ce qu’il se passe.
« La variable clef de la gentrification, c’est le prix de l’immobilier »
Quel regard portez-vous sur l’évolution du quartier ?
Romain : La gentrification est un phénomène récurrent dans toutes les grandes villes occidentales. Dans la Croix Rousse, ça a commencé dans les années 80 et ça s’est accéléré à partir de 2000. Et au lieu d’avoir des politiques qui essayent de contrebalancer cette évolution, les pouvoirs publics contribuent à une accélération en proposant des projets destinés à une certaine population. Par exemple, l’École des beaux-arts, un bâtiment des années 60 en béton un peu austère, va être reconvertie en lofts avec des prix au mètre carré bien au-dessus de ce qui se pratique actuellement dans le quartier.
Vous avez fait partie de la vague de gentrification des années 2000. Peut-on dire que vous êtes en train de protéger vos intérêts ?
Romain : Je suis cadre, je suis arrivé il y a 4 ans. Tout le monde est le gentrifieur d’un autre. La gentrification vient des dispositifs qui vont exclure certain·es habitant·es d’un quartier. La variable clef c’est le prix de l’immobilier avec un mécanisme d’offre et de demande qui s’applique au logement sans régulation. Si des mécanismes visaient à garantir une diversité, il en irait autrement. C’est pour ça que pour l’enquête publique du PLU-H, nous allons faire des propositions sur le logement social.
Franck : La stratégie des pouvoirs publics c’est de dire « le premier, c’est le patrimoine » Dans leur esprit, patrimoine = tourisme, et l’économie fonctionne derrière parce qu’ils n’ont rien d’autre à proposer. On se retrouve alors dans l’entre soi. La vision que je défends c’est que la ville ne doit pas être sectorisée mais homogène dans sa diversité. Ça ne m’intéresse pas de vivre dans un quartier où je n’aurais que le même type de cafés cupcakes et plus de cafés de quartiers.
Cette idée café de quartier authentique n’est-elle pas une construction qui participe à cette économie du patrimoine et du tourisme ?
Franck : J’ai l’impression de savoir ce qu’est un café de quartier et il y en avait à la Croix Rousse. Des lieux de partage et de convivialité étaient basés sur autre chose que la pure consommation.
Romain : Je ne ciblerais pas les pratiques, cafés cupcakes, vélos électriques, etc. Ce sont des effets de mode auxquels participent ces commerces. Ces commerces se développent parce qu’on est dans un quartier cher. Un vélo électrique coûte 2 000 €, c’est un produit de luxe, cela rapporte de l’argent. Les cafés de quartiers, si le quartier est abordable, ils restent où ils se créent. Ce qui compte c’est davantage le facteur économique que culturel.
Franck : La limite actuellement, c’est que quand tu occupes un deux pièces dans le quartier et que tu as un enfant, tu ne peux pas rester. On arrive dans un cas où on va avoir d’un côté du tourisme dans les petites surfaces en airbnb et, de l’autre, des personnes très aisées.
En Allemagne, en Espagne ou en Angleterre, il y a eu des mobilisations virulentes contre la gentrification. Puisque nous sommes embrigadés dans le mécanisme qui amène nos quartiers à prendre de la valeur et que l’on ne puisse plus y rester, que faisons-nous ? Doit-on faire en sorte que nos quartiers puent la pisse et soient moches pour que les investisseurs ne viennent pas ?
Romain : Ce qui s’est passé à Barcelone, c’est qu’ils ont touché le fond sur ce problème là. Tout le monde a pris conscience du problème, a manifesté, a voté et il s’est passé des choses dans l’autre sens. Le problème du premier, c’est que les jeunes cadres qui arrivent ne s’y intéressent pas parce que dans leur vie il n’y a pas de problème. Ça ne les touche pas, ils vivent avec sans souci. Mais sur le fond, si on leur présente le problème, ils sont d’accord.
Franck : À Hambourg, la gentrification a été violente donc la réaction a été violente. Ici, c’est insidieux, ça ne se voit pas tous les jours, on s’y habitue, on trouve presque ça normal. C’est plus difficile de mobiliser, même si les gens n’ont pas envie d’habiter dans une ville aseptisée pleine de touristes. C’est pour ça que le premier stade c’est l’information.
Il y a un gros pas entre le fait d’être informé et le fait de se mobiliser. Surtout quand on n’est pas directement concerné.
Romain : C’est vrai qu’on peut convaincre un nombre assez large de personnes sur le fond, sur les idées. C’est compliqué d’être à la fois bénéficiaire et contre les évolutions du quartier. Je suis convaincu que si on va bien au-delà de la concertation, qu’on a de vraies possibilités de décision de ce que doivent être nos lieux de vies, plus on en débattra, plus les décisions iront dans le sens de l’intérêt général.
Pour rencontrer la Fabrique de la Ville, rendez-vous le mercredi 22 novembre (19h30-21h30) à la Salle Paul Garçin (Lyon 1er) Le Plan Local d’Urbanisme et de l’Habitat a été adopté par les élus de la Métropole de Lyon, il exprime une certaine vision de la ville. Une enquête publique vous permettra prochainement de vous exprimer. Nous habitant-es du quartier, vous proposons de comprendre ensemble ce que décline ce plan d’urbanisme c’est à dire la ville qu’il dessine pour les 15 années à venir et de nous interroger : dans quelle ville souhaitons nous vivre ? |
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