Généralisation de la vidéo-surveillance sur le campus de Bron, instauration de la carte Cumul qui cumule surtout électroniquement nos activités sur la fac, grillage du campus, existence de dossiers (complètement illégaux) sur les personnes ayant des activités militantes [1]… Lyon 2 n’est pas en retard dans la mise en place d’une société de contrôle.
Mais l’implication de Lyon 2 dans cette généralisation de la surveillance ne s’arrête pas à ces aspects quasi-courants : dans les quelques pages qui suivront, nous montrerons qu’elle est (ainsi que d’autres universités ou écoles lyonnaises) au coeur des recherches et de la mise en place de nouveaux dispositifs dans le domaine sécuritaire, dans le cadre d’une collusion entre recherche, université et intérêts privés.
A l’heure de la loi Pécresse sur la privatisation des universités, ces quelques pages nous semble un bon début pour discuter de la participation des étudiantEs à ces projets de recherche, en tant que cobayes, main d’oeuvre ou initiateurs, et de la pertinence de liens entre nos universités et le marché du sécuritaire.
TECHNO-VISION
Du missile intelligent à la vidéosurveillance intelligente
Les projets sécuritaires lyonnais forment un tableau qui débute au niveau national.
En janvier 2007, la Commission Nationale Informatique et Liberté (CNIL) donnait son accord pour la mise en œuvre de deux programmes de recherche sur la biométrie [2].
L’un est mené par SAGEM Défense Sécurité, industriel de l’armement et leader mondial en matière de biométrie. Il n’en sera pas question dans ce qui suit.
L’autre, le projet IV2 « Identification par l’Iris et le Visage via Vidéo » est un partenariat français entre les pointures de la recherche sur les technologies de l’information : INT, INST, INRIA, EURECOM [3]… Le laboratoire LIRIS [4] de l’Ecole Centrale de Lyon participe à l’aventure scientifique, comme les sociétés THALES (aéronautique et armement) ou URATEK. C’est ce projet IV2 que nous allons aborder dans les lignes qui suivent.
IV2 est inséré dans un programme plus ambitieux, TECHNO-VISION, soutenu conjointement par les ministères de la Recherche et de la Défense.
Lancé en juin 2004, TECHNO-VISION a pour thèmes de recherche « la vision pour la robotique, la vidéo-surveillance, la biométrie, le traitement d’images aériennes et satellites » ou encore les technologies d’archivage vidéo [5].
Parmi les dix projets financés dans le cadre de TECHNO-VISION, l’un d’eux, ROBIN [6] se concentre par exemple sur l’imagerie terrestre et aéroportée, avec en son sein des entreprises comme MBDA Missile System. Objectif : la détection et la reconnaissance automatique d’ objet. Les chercheureuses travaillent ici sur les missiles à guidage vidéo [7]
ou missiles « intelligents ».
Le projet TOPVISION s’occupe lui d’imagerie sous-marine ; divers programmes ont pour objet la vidéo-surveillance et un dernier concerne l’imagerie médicale.
IV2 est le projet concernant la biométrie : on s’affaire à Lyon, Paris et Toulouse pour constituer les bases de données nécessaires aux recherches. Dans trois des universités participantes, tout ce qui les peuple, (des étudiantEs au personnel administratif en passant par les technicienNEs de surface) est invité à se faire numériser par bouts : visages, iris et visages parlants. Avec ces bases de données, le LIRIS École Centrale travaille entre autres à en déduire des algorithmes qui permettront la reconnaissance informatique d’un visage ou d’une iris par vidéo, tentant par là-même de mettre au point ce qu’à l’Imperial College de Londres on affine déjà : la vidéo-surveillance capable de reconnaître un visage, de le suivre sur bande vidéo et de l’identifier une fois le système couplé à un fichier nominatif de visages numérisés.
En matière de vidéo-surveillance intelligente couplée à la biométrie, VISIONICS, l’un des plus gros du secteur aux Etats-Unis, détient un palmarès étonnant : le scan du visage des 72 000 spectateurs du SuperBowl ; elle a déjà vendu cette technologie au service d’immigration des Etats-Unis (qui s’en sert à la frontière mexicaine) et à l’armée israélienne pour qu’elle surveille plus et mieux la bande de Gaza [8].
Avant de continuer, petit rappel pour celles et ceux qui ont raté la présentation FNAC du dernier ordinateur à sécurisation digitale :
La biométrie
La biométrie consiste à informatiser des données morphologiques (empreintes digitales, forme de la main ou du visage, iris) et biologiques (ADN, odeur, sang). Elle est aujourd’hui utilisée principalement pour l’identification et les contrôles de flux d’individus. Ainsi, dans certains collèges et lycées, la cantine est équipée de bornes scannant la main des élèves. Ou encore, HITACHI a développé un système relié directement au compte en banque pour régler ses achats par lecture du réseau vasculaire du doigt.
Un autre exemple concerne notre future carte d’identité, prévue initialement pour 2006 et repoussée à 2009, qui mêlera biométrie et puces RFID (puce lisible à distance) ; la puce contiendra nos empreintes digitales et notre photo du visage numérisées, permettant une reconnaissance par informatique.
Quand l’université Lyon 2 se transforme en secteur R&D de l’industrie du sécuritaire
Au LIRIS École Centrale de Lyon, à Ecully, il semble que l’esprit aiguisé des chercheureuses n’ait pas résisté à l’attrait certain de ces recherches pour le progrès humain. La concurrence avec l’Imperial College qui développe en ce moment un nouveau concept de reconnaissance faciale pour les JO de 2012 [9] doit être stimulante !
Né début 2003 à la suite du regroupement de plusieurs laboratoires de recherche lyonnais, le LIRIS, (« Laboratoire d’informatique en images et systèmes d’information », associé au CNRS), compte environ 280 personnes (sans compter les centaines de doctorants). Divisé en quatre tutelles, à l’INSA de Lyon, à l’Université Claude Bernard Lyon 1, à l’Ecole Centrale de Lyon et à l’Université Lumière Lyon 2, il se répartit sur les campus de la Doua, Ecully et Bron.
Le LIRIS Lyon 2 Bron, situé dans le bâtiment C au 1er étage, a cette particularité d’être le partenaire très particulier d’une entreprise spécialisée en vidéo-surveillance intelligente, la société FOXSTREAM.
(Sur la plaquette de présentation de son logiciel FoxVigi, Foxstream affiche son partenariat avec le CNRS et le LIRIS.)
Cette société base ainsi son activité commerciale sur les technologies issues des recherches effectuées au LIRIS Lyon 2 Bron. Le travail effectué à Bron par l’équipe du professeur Miguet sur les techniques de vidéo-surveillance intelligente n’est pas aussi complexe que la reconnaissance des visages, mais l’entreprise chargée « du transfert des technologies issues de la recherche en traitement et analyse d’images effectuée au LIRIS [10] » peut maintenant se targuer de vendre un produit high-tech : FoxVigi.
On est loin des dispositifs d’aide aux personnes médicallisées ou d’imagerie médicale qui ont fait la réputation du LIRIS.
Le transfert de savoir du laboratoire public à la société privée est ici le plus simple possible : l’entreprise a installé directement ses locaux dans le laboratoire LIRIS Lyon 2 Bron, en plein milieu du campus [11].
(L’adresse de FOXSTREAM, ici entourée sur la plaquette de FOXVIGI, est bien connue des étudiantEs de Lyon II.)
Son patron Jean-Baptiste Ducatez, tête de liste PS à Genas, commente : « Cette proximité géographique avec des chercheurs reconnus internationalement dans ce domaine est une source de richesse inépuisable pour la société Foxstream et ses clients [12]. »
Une richesse inépuisable...
FOXSTREAM À la conquête du campus, des TCL et du ministère de l’Intérieur ?
FOXSTREAM a commencé « petit » : depuis juin 2005, la société équipe les caméras de l’université Lumière Lyon 2 [13] avec son logiciel FoxVigi.
(Sur la brochure de FOXVIGI, quelques exemples des fascinants transferts de savoirs possibles entre une université de Sciences Humaines et l’industrie de la vidéo-surveillance.)
Le soutien institutionnel répété lui permet de voir plus loin : elle est lauréate de l’association Rhône-Alpes Entreprendre, puis labélisée NOVACITE, structure dépendant de la Chambre de Commerce et d’Industrie de Lyon. Au niveau national, elle se voit remettre différents prix, notamment par le président-directeur général du groupe THALES (armement et aéronautique). Et avec l’aide de 137 000 € d’Oséo (Oséo, « soutien à l’innovation »), la jeune pousse lyonnaise voit grand.
En janvier 2006, l’entreprise partait à la conquête de Lyon. Le pôle industriel Lyon Urban Truck&Bus 2015 [14], un pôle dit de compétitivité dans le domaine des transports financé par la région, labellisait [15] son projet de vidéo-surveillance intelligente adapté aux bus (poétiquement nommé Cerbère Vision), dans le programme « sécurité et sûreté ». Le soutien des collectivités locales à cette entreprise peut laisser présager l’implantation de ses technologies dans leurs transports en commun.
FOXSTREAM ne s’arrêtera pas là. Le 29 juin 2006, elle était invitée par le Service des Technologies de la Sécurité Intérieure (STSI) du ministère de l’Intérieur pour présenter son produit FOXVIGI [16]. La perspective de contrat est alléchante puisque le STSI participe à la définition des achats du ministère pour les 3 années à venir.
Associé au LIRIS de Bron, FOXSTREAM peut potentiellement profiter des recherches en cours au LIRIS École Centrale sur la reconnaissance du visage. L’industrie lyonnaise de la vidéo-surveillance intelligente a de beaux jours devant elle…
Militaro-civil, publico-privé, plus rien ne doit nous étonner
En ces temps d’autonomie de l’Université, dans les locaux d’une faculté de sciences humaines, la présence d’une entreprise à la conquête du marché du sécuritaire est censée passer inaperçue.
À Lyon donc, entre camarades ÉtudiantE-chercheurEUSE on se biométrise dans des bases de données pour décrocher son petit diplôme. Le transfert à l’industrie est rôdé. La fac, mi-université mi-zone industrielle, se sert quant à elle de l’étudiantE comme cobaye pour tester les logiciels de la société maison de vidéo-surveillance, développée en partie par l’étudiantE. Avant que cette société n’aille conquérir de nouveaux marchés, et que l’on se félicite de la vitalité de l’économie locale !
La refonte de l’université et de la recherche avec l’industrie suit donc son bonhomme de chemin. Le surf généralisé sur le « sentiment d’insécurité » trace la voie des investissements.
Michèle Alliot-Marie ex-ministre de la Défense, actuelle ministre de l’Intérieur (future ministre de la Recherche ?) commenterait :
« il est plus que jamais indispensable de dépasser les frontières entre militaire et civil pour mutualiser nos expériences et nos savoir-faire [17]
. »
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