En effet, il n’est pas évident, quand on écrit au sein de la presse capitaliste, en tant que professionnel, mais aussi salarié, d’avoir le courage d’aller à contre-courant, de refuser l’autocensure pratiquée par une bonne partie des rédacteurs qui s’en tiennent uniquement à la version policière, de rejeter la désinformation liée à l’exigence commerciale, de conserver une déontologie de son métier de journaliste.
Pour l’année 2005, nous avons sélectionné deux articles de la presse hebdomadaire, dont nous citons quelques larges extraits :
un article de Lyon Capitale du 13 juillet 2005 signé Laurent Burlet,
« La justice dénonce les mensonges de la police » et donne raison à une jeune fille, battue par les policiers de la BAC dont les faux témoignages l’avaient conduite en prison.
un article de Tribune de Lyon du 25 novembre 2005 signé Fabrice Arfi, « FINI DE RIRE », surnom du juge à la Cour d’appel de Lyon réputé le plus répressif. A Lyon, on n’a pas du tout intérêt à faire appel, ce n’est pas la justice comme ailleurs en France.
- En manchette sur la page de couverture de Lyon Capitale du 13 juillet 2005 :
La justice dénonce les mensonges de la policeBavure. La justice lyonnaise vient de donner raison à une jeune fille, battue par des policiers de la BAC dont les faux témoignages l’avaient conduite en prison.
Et l’article signé Laurent Burlet en page 4 :
Retournement de situation dans le procès de
Virginie accusée de violence contre deux agents de
police. Les accusateurs se sont retrouvés accusés et
Virginie relaxée.
Chose peu banale dans le paysage judiciaire : des
membres de la Brigade anticriminalité (BAC) ont été
accusés de mentir au tribunal lors du procès d’une
manifestante, mercredi 6 juillet.
Rappel des faits. Le 30 avril, au cours d’une
manifestation festive contre toutes les frontières,
une jeune fille de 19 ans, Virginie, est arrêtée place
des Terreaux à la suite de dégradations contre le
poste de police de la rue Pizay. Lors de
l’interpellation, Virginie reçoit un coup de pied et
une décharge de pistolet électrique Taser. Mais deux
agents de la BAC accusent Virginie de rébellion,
tentative de vol de l’arme de service et incitation à
la rébellion. Mise en détention provisoire, elle reste
22 jours derrière les barreaux. Pour rien puisqu’elle
est ressortie blanchie de toute accusation.
C’est ce qu’a montré un procès au cours duquel les
policiers de la BAC se sont retrouvés rapidement dans
la position de l’accusé.
Des photos et un film amateur de l’arrestation ont
permis de faire basculer le procès en la faveur de
Virginie. Les policiers, une fois à la barre, se sont
empêtrés dans des explications en contradiction avec
ce que montraient les photos.
Difficile en effet pour eux de justifier les coups de
pieds et l’usage du Taser alors que l’enquête de
l’IGPN (la police des police) avait montré que la
jeune femme ne pouvait pas faire partie du groupe
auteur des dégradations rue Pizay, qu’il était
impossible qu’elle ait essayé de voler l’arme du
policier et lancé un appel à la rébellion.
Les deux policiers parties civiles et leurs cinq
témoins, tous membres de la BAC ont ainsi préféré
donner une vision de la réalité qui s’avère inexacte.
Le procureur de la République, Alexandre de Bosschère,
a pris à partie l’un des agents : « vous mentez au
tribunal, votre déposition n’est destinée qu’à faire
coller votre témoignage aux photos. »
Arrogance policière
« Vous vous rendez compte que vous avez fait deux faux
PV ? » s’est même emporté le président du tribunal,
Jean-Patrick Péju, à l’encontre d’un des policiers de
la BAC, en lui faisant remarquer des versions
contradictoires de l’interpellation de Virginie.
L’agent, pour sa défense, ne pouvait pousser qu’un
plaintif : « je nai pas menti car jai prêté serment. »
Le président ainsi que le procureur ont finalement
exprimé leurs sincères regrets en abandonnant tous
les chefs d’accusation contre Virginie.
Dans son réquisitoire, le procureur s’est interrogé :
« Que ce serait-il passé s’il n’y avait pas eu les photos
et la vidéo ? » Il y a tout lieu de penser en
effet que Virginie aurait été certainement condamnée
sur la foi des dépositions des policiers, comme elle
avait fait 22 jours de préventive sur la base de cette
même confiance.
A la sortie du tribunal, maître Frédérique Penot,
l’une des deux avocates de la jeune femme, exprimait
son écoeurement : « C’est grave ce qui s’est produit surtout dans le cas de procédures de comparution immédiate où 98% des preuves sont des PV de la police. Toute crédibilité de la justice est remise en question. On a à faire à un mensonge en bande organisée. »
L’avocat des policiers, maître Gabriel Versini a toutefois
décidé de faire appel sur le plan civil en espérant que le
parquet fasse de même sur le plan pénal. Ce qui paraît
peu probable compte tenu de la virulence du
réquisitoire du procureur à l’encontre des policiers. [1]
[...]
Malaise
C’était la parole de Virginie, une simple citoyenne, contre celles de policiers assermentés. [...]Ce qui crée une impression de malaise, c’est que les policiers qui ont violenté Virginie, puis ont menti à son sujet, n’ont même pas été sanctionnés par leurs supérieurs. C’est choquant dans l’épilogue pitoyable de cet abus de pouvoir caractérisé.
Deux prévenus relaxés
Deux jours après le procès de Virginie, c’était au
tour de Christian et Luis de comparaître devant la 14e
chambre correctionnelle. Les deux étaient accusés
d’avoir jeté des bouteilles sur des agents de la force
publique lors du dispersement de la même
manifestation, place Saint-Paul. Dans les deux cas, le
procureur a souligné l’absence de certitude concernant
l’auteur de ces jets de bouteilles, pour les mêmes
raisons que lors du procès de Virginie : des procès
verbaux de la police contradictoires. Christian et
Luis ont finalement été relaxés.
La police fait bloc
Pour l’instant, en l’attente d’un éventuel appel du
parquet, aucune sanction disciplinaire n’est prévue
par le directeur de la sécurité publique du Rhône,
Hubert Weigel : il ne m’appartient pas d’analyser une
décision de justice. La Cour d’appel pourra apprécier
l’ensemble du dossier. En l’espèce, rien ne prouve que
les policiers nont pas suivi les règles de
déontologie.
Une nouvelle fois, l’institution policière ne prend
pas la mesure de la multiplication des dérives, comme
l’avait souligné le rapport 2005 de la Commission de
déontologie.
Dans le numéro du 11 mai 2005, Lyon Capitale s’était
largement fait l’écho de certaines de ces dérives.
Dans un entretien, le même Hubert Weigel nous avait
même affirmé que les policiers seraient sanctionnés
s’ils ne respectaient pas les règles de déontologie.
Il reste encore à la police de reconnaître qu’en
l’espèce, ces règles n’ont, pour le moins, pas été
franchement respectées.
Laurent Burlet
- L’article signé Fabrice Arfi en page 9 de Tribune de Lyon du 25 novembre 2005 (photo Sébastien Erome) :
FINI DE RIREGrégoire Finidori, 57 ans, juge à la cour d’appel
Magistrat à Lyon depuis 1988, Grégoire Finidori traîne la réputation du juge le plus répressif de la ville. Mais pourquoi est-il si méchant ? Nous l’avons rencontré.
[...]Grégoire Finidori, 57 ans, est
depuis plus de 10 ans le président
de la 4e chambre de la cour
d’appel de Lyon. Celle des affaires
générales. Violences, stups... Une
fonction exposée. « C’est un bon
poste d’observation d’une société
qui est de plus en plus violente »,
analyse le magistrat. Un proverbe
russe dit : « Ne crains pas la
justice, mais crains le juge ».
Grégoire Finidori, fils d’un
fonctionnaire de police et d’une
mère au foyer, est un juge craint.
Il n’y a pas d’avocats à Lyon qui
n’ait sur son extrême sévérité
quelque anecdote décapante. Tel
client relaxé en première instance
et condamné à de la prison ferme en
appel. Des peines qui passent du
simple au double, voire au quadruple
ou plus.
Il y a par exemple l’histoire de
cette femme, S. R., accusée
à tort de l’incendie d’un centre
équestre en 1997. Blanchie devant le
tribunal correctionnel, Finidori
lui a infligé trois ans ferme en
appel, sans élément nouveau. Chirac
l’a grâciée. « C’est un magistrat qui
n’arrive pas à envisager
l’innocence. Il a une conception
rétrograde de la société qui fait
qu’il n’y a, selon lui, que des
coupables. Il semble totalement
imperméable au raisonnement de
l’autre », s’échauffe un pénaliste
lyonnais de renom qui ne
démentirait pas Balzac : « plus on
juge, moins on aime ».
Un autre, qui comme la plupart de
ses confrères hésite à faire appel
de peur de voir la peine de son
client alourdie, assure que « les
gamins qui sont passés sous ses
fourches caudines ressortent de
prison armés de haine ». Mais tous
conviennent de sa remarquable
mécanique d’esprit et de sa fine
érudition de la chose judiciaire.
Dans son petit costume anthracite,
la rosette au col, Grégoire Finidori
reste de marbre face à sa réputation
: « Je fais mon devoir et je ne
cherche pas à me corriger. Une
mission lm’a été confiée. C’est
celle de juger mes semblables, ce
qui n’est pas banal. L’image de
répressif qui est la mienne, je la
subis. Mais imaginer que je puisse
changer mon comportement, ça non ! »
[...]Grégoire Finidori a un sobriquet :
"Fini de rire". « Attaquer sur le nom,
c’est déplaisant » commente
l’intéressé de son ton qui suggère :
« Je suis calme, mais faut pas
m’énerver ».
[...]Magistrat à Lyon depuis 1988,
Frégoire Finidori est l’auteur de
jugements qui ont fait couler
beaucoup d’encre. Le décès
accidentel d’un foetus qualifié
d’homicide volontaire, c’est lui. La
relaxe du policier impliqué dans la
mort d’un jeune homme, en 1990 à
Vaulx-en-Velin, juste avant les
émeutes, c’est lui. La condamnation
d’une mère de famille qui avait volé
jouets et nourriture dans une grande
surface pour Noël, c’est encore lui.
La reconnaissance du statut de
"religion" à l’église de
scientologie, aussi. « Je préside une
chambre collégiale. Il ne faut pas
l’oublier. Ma conception est que
l’on a des dossiers, on les étudie à
fond et on rend des décisions. Oui,
la cour est ferme. Elle est aussi
travailleuse, scrupuleuse,
rigoureuse intellectuellement »
réplique le juge.
[...]En 1990, Grégoire Finidori avait eu
à juger l’affaire de la caisse noire
de l"AS Saint-Étienne. Parmi les
prévenus, un certain Michel Platini.
Harcelé de caméras et micros la star
du foot français était arrivée au
palais de justice en taxi et
décontracté, se déplaçant comme
certains montent les marches à
Cannes. A la barre du tribunal,
Finidori lui a lancé, glacial comme
il sait l’être avec le délinquant
lambda : « Tout Michel Platini que
vous êtes, vous sortez les mains de
vos poches tout de suite ». « Il
voulait diriger les débats. Il s’est
découvert et, comme on dit, je l’ai
contré ». Finidori sourit.
Fabrice Arfi
Compléments d'info à l'article