Pendant plus de deux semaines, nous, étudiantes et étudiants de l’Ecole Normale Supérieure de Lyon, avons occupé la salle F01, jusqu’à notre évacuation par les forces de l’ordre ce matin — qui ne scelle pas pour autant la fin de la mobilisation. Notre mouvement est né dans le cadre de l’opposition nationale à la Loi Travail. C’est dans le cadre des manifestations contre la Loi El Kohmri et de la Nuit Debout lyonnaise qu’est née l’idée d’ancrer notre mobilisation au sein de notre établissement.
Un humanisme très sélectif
Aujourd’hui l’Ecole Normale Supérieure de Lyon déclare porter des « valeurs d’humanisme et de service public », « s’engager pour une diffusion des connaissances au plus grand nombre et une plus grande égalité des chances ». Elle est pourtant un lieu fermé dont le jardin est entouré de grilles. Il faut le sésame d’un badge pour pénétrer dans ce lieu de savoir dont l’ouverture au grand public reste extrêmement limitée.
Ce que nous dénonçons à travers notre opposition à la Loi Travail et son monde se retrouve aussi dans les couloirs de cette institution publique. L’ENS comme ailleurs, est soumise aux régimes croissants de précarisation, de privatisation et de mise en concurrence des salariés et des employés, à toutes les échelles de sa hiérarchie. Dénoncer ces évolutions sur notre lieu de travail relève pour nous d’un engagement politique à plus large échelle. Economie, politique intérieure et extérieure, environnement : nous avons le sentiment d’assister à une confiscation du pouvoir démocratique par une classe politique indifférente aux revendications de ses citoyens. Face à ce constat, l’occupation, comme à Nuit Debout, est un moyen de se réapproprier un lieu républicain. Nous espérons attirer l’attention de tous, à l’intérieur comme à l’extérieur de l’école, sur des problématiques locales aussi bien que sur les enjeux globaux dont elles dérivent.
L’occupation comme ouverture vers l’autre
Nous avons organisé des petits déjeuners avec le personnel (CROUS, Sécurité, logistique et maintenance), des diffusions de films, des assemblées générales chaque midi, des banquets chaque soir. Nous avons convié les journalistes Serge Halimi et Pierre Rimbert, les géographes Philippe Pelletier et Sarah Mekdjian, le philosophe Jean-Christophe Angault, l’économiste Henri Sterdyniak, les sociologues Bernard Lahire et Antoine Bevort, les écrivains Alain Damasio, Catherine Dufour et Norbert Merjagnan. Nous avons rencontré des militants de la région : un collectif de soutien aux étudiants sans papiers de Lyon, des membres de Jour Debout Vaulx en Velin, des syndicalistes, la Maison de la Mésopotamie (association de soutien à la résistance kurde), des membres de la Caisse de Solidarité Lyonnaise.
Occuper, c’est aller à l’encontre d’une société individualiste en tissant des liens, c’est aussi apprendre à gérer collectivement un espace qui n’est pas seulement un lieu de discussion mais aussi un lieu de vie où nous mangeons, dormons, préparons les actions à venir. Le fait de s’être rendus visibles et disponibles en permanence sur ce lieu permet d’éveiller la curiosité, de produire un échange intense entre des gens qui ne se seraient peut-être jamais rencontrés sans cela et proviennent, de l’informatique au cinéma en passant par les sciences sociales, de tous horizons. Cette expérience nous permet de prendre conscience que la politique est aussi un mode d’existence, où la parole de chaque citoyen doit pouvoir s’exprimer, où la réflexion ne peut se construire que collectivement, et où la participation de chacun à la vie de groupe est nécessaire ; l’occupation est à la fois un moyen de penser la démocratie et de la construire à notre échelle.
La F01 est devenue un lieu politique de débats, de réflexions, d’actions que nous aspirons à préserver. Entre ses murs sont nés des projets et entre autre la volonté de mettre au jour l’état des conditions de travail au sein de l’ENS – moins reluisantes que voudrait le faire croire l’image prestigieuse de l’établissement.
L’administration envoie la police
Le dialogue avec la direction est conflictuel depuis le début de l’occupation, et culmine ce mercredi 11 mai avec l’évacuation de la salle par une trentaine de policiers. Pour autant la mobilisation ne faiblit pas : plusieurs centaines de personnes ont assisté à l’Assemblée générale organisée ce midi dans l’École, et qui s’est ensuivie d’une longue discussion avec l’administration — laquelle a rejeté en bloc tous nos arguments et revendications.
Nous affirmons notre soutien à tous les collectifs en lutte dans ce contexte de mouvement social et notre espoir dans les luttes à venir.
Nous déclarons donc : à suivre…
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