Ordre et désordre

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Les commentaires sur les comportements actuels de la Police durant les manifestations laisse un peu rêveur l’observateur attentif de l’Histoire des mouvement sociaux.

Les innombrables témoignages, souvent extérieurs à l’évènement, interrogent sur le rôle exact de la police dans ce qu’elle appelle le « maintien de l’ordre ».

La plupart des commentaires, pas tous cependant, présentent la question avec une neutralité technique qui fait oublier l’essentiel : la police est le bras armé du pouvoir.

Qu’est-ce que la police ?

C’est un corps de mercenaires qui a pour fonction essentielle de maintenir l’ordre, mais entendons nous bien sur ce que l’on appelle l’ « ordre »... Un ordre social n’est pas un « truc abstrait », c’est quelque chose de très concret. Il s’agit d’un mode d’organisation sociale, au sens large, c’est-à-dire économique, mais aussi juridique, éthique qui implique des femmes et des hommes dans des relations sociales, qui organisent suivant certaines règles la manière de produire ce qui est nécessaire à la vie individuelle et collective et la manière de produire et de répartir les biens et services.

Ce mode d’organisation économique et sociale est représenté et garanti par une autorité, l’État.

Une des fonctions régaliennes de l’État est le maintien de l’ordre, c’est-à-dire faire en sorte que ce système fonctionne suivant certains principes et pas autrement. Cette fonction se place dans le cadre de l’impératif de l’État d’être le garant du fonctionnement du système en place. Cette fonction n’en est qu’une parmi d’autres.

La police est donc composée d’individus payés pour obéir à des directives de maintien de l’ordre, c’est-à-dire de personnes qui, en échange d’une rémunération, accomplissent les tâches que leur confie l’État. La particularité de cette fonction, c’est qu’elle se situe dans ce qu’elle a de plus détestable : l’utilisation de la force brutale. On comprendra que pour assurer ce genre de fonction on ne recrute pas ce qu’il y a de plus humaniste, critique ou philosophe dans la population...

Que fait la police ?

Ce que l’État lui dit de faire. C’est-à-dire maintenir l’ordre. Mais c’est là que les choses se compliquent.

Que veut dire « maintenir l’ordre » ? C’est maintenir les rapports sociaux tels qu’ils existent, autrement dit s’opposer à toute remise en cause des principes de leur organisation et faire en sorte qu’ils fonctionnent sans trop d’accrocs.

Ce qui justifie l’utilisation de la violence officielle, c’est la légitimité sur laquelle se fonde le pouvoir : Tous les pouvoirs on été sûrs de leur légitimité : Dieu(x), César, le Peuple,... Tous ont eu les « meilleures raisons du monde » pour justifier l’utilisation de la violence... y compris, au 20ème siècle d’instaurer le fascisme pour « sauver » le système marchand.

Au début du 20ème siècle, dans les situations les plus tragiques, maintenir l’ordre, c’est tirer sur les mineurs en grève, ainsi qu’en 1947. En 1942, c’est arrêter les Juifs, en 1961, jeter les Algériens à la Seine, en 1962, à Paris Métro Charonne, c’est massacrer les manifestants, et ce ne sont que quelques exemples connus...

On me dira mais il n’y a pas que ça. Exact, mais il y a AUSSI ça ! et le fait que ça existe, que ça se reproduise, qu’il y ait des hommes pour le commander et d’autres pour le faire et que souvent, pour ne pas dire quasiment toujours, ça reste impuni en dit long sur ce que sont les forces de « maintien de l’ordre » et l’utilisation qu’en fait un pouvoir, même s’il se dit démocratique.

Il y a aussi ficher, écouter, filer, surveiller, interroger, détenir,... Certes ce n’est pas sanglant et spectaculaire... ça peut ne pas laisser de traces, mais ça peut aussi en laisser : demandez à la communauté juive mise en fiches, aux victimes de bavures dans les commissariats de la République, aux militants anti CPE aujourd’hui...

Ils sont extrêmement rares, les policiers et les gendarmes qui font valoir une clause de conscience pour refuser de faire le travail de répression qu’on leur ordonne. Vous en connaissez beaucoup qui rechignent ? [1] Vous en connaissez beaucoup des policiers et des gendarmes qui ont participé aux rafles de juifs et d’Algériens qui ont fait amende honorable, qui on été condamnés ? Vous en connaissez beaucoup des policiers condamnés à propos des massacres d’Algériens ? Non, l’État couvre quasi systématiquement policiers et gendarmes... Pourquoi ? Mais par ce qu’il en a besoin. Il ne peut pas courir le risque d’une fronde de ce corps de mercenaires.

Le désordre au service de l’ordre

A priori, on peut difficilement soupçonner le Pouvoir de troubler l’ordre puisque sa fonction est justement de le garantir. Pourtant le désordre savamment et consciencieusement organisé peut-être un instrument efficace au service du maintien de l’ordre. Cette technique porte un nom : la provocation.

Tous les régimes à toutes les époques ont utilisé des provocateurs.

Qu’est ce qu’un provocateur ? C’est un individu sans uniforme, soit directement appartenant à la police, soit qui est manipulé (chantage) par elle pour provoquer des désordres et/ou inciter des manifestants à en provoquer. Dans quel but ?

- déconsidérer les manifestations aux yeux de l’opinion publique en en montrant la violence,
- justifier aux yeux de l’opinion publique une répression accrue,
- faire peur aux éventuels manifestants en les dissuadant de venir...

Toutes les polices, dans tous les pays et à toutes les époques ont utilisé ce genre d’individus parce que tout système manipule l’opinion publique, et pas seulement au moment des élections. Le Pouvoir a toujours pu trouver, et trouve, des individus suffisamment vénaux, cupides ou moralement dégénérés pour faire ses basses œuvres.

On voudrait nous faire croire que ce genre d’individu n’existe plus aujourd’hui dans la police (?).... La dénégation n’est pas nouvelle, jamais un Pouvoir n’a reconnu avoir recours aux services de provocateurs... tous l’ont nié.

Pourquoi donc justement le système aujourd’hui en France n’aurait-il pas recours aux provocateurs ? La réponse officielle est aussi nette et précise que peu convaincante : parce qu’il s’agit d’une police démocratique au service d’un régime démocratique ?). Or, s’il s’agit d’un régime formellement démocratique... il suffit de voir comment fonctionne la vie politique pour comprendre, le salariat n’en est pas moins un système d’exploitation, d’exclusion et générateur d’inégalités. La preuve ? La totalité des conflits sociaux ne sont que l’expression de cette réalité.

La police de la République est aussi convaincante quand elle déclare respecter les droits de l’Homme que la police de l’Inquisition quand elle déclarait agir en fonction des préceptes humanistes du christianisme.

Manipulation de l’image de la police

Présenter des mercenaires et en faire un service public est la dernière trouvaille du système. Elle n’est pas très convaincante. On assiste actuellement à tout un conditionnement qui tend à présenter la police sous un aspect respectable : policiers blessés lors de manifestations sur leurs lits d’hôpital, « jeunes beurettes » sympas volontaires pour intégrer le corps de la police,... Officiellement, on présentera toujours un CRS en train de sauver un jeune sur une plage, jamais entrain de le cogner dans une manifestation... alors que ça peut-être le même CRS et le même jeune. Ainsi la confusion des genres brouille opportunément l’image négative qu’a la police.

Pourtant, derrière cette image fabriquée, il y a le rôle fondamental de la police qui demeure.

Comme pour l’Armée qui dans sa publicité ne met l’accent que sur les actions humanitaires et la formation professionnelle (?), l’État essaye de « vendre » à l’opinion publique une image respectable de la police qui dans le cas de violences est présentée comme victime... Nous venons de voir que ce n’est pas aussi simple que cela.

Policiers et gendarmes ne sont évidemment pas la source de toutes les violences lors des manifestations. L’existence de ce que l’on appelle communément des « casseurs » est une réalité, mais le terme « casseurs », terme fourre-tout, est bien commode pour faire l’économie de l’analyse sérieuse de la révolte sociale. L’analyse de la réalité « casse » mérite plus de sérieux dans la prise en considération de tous les paramètres qui interviennent dans un conflit social... et le Pouvoir n’est pas aussi « innocent » que cela, ne serait ce que par ce qu’il n’est pas neutre et est partie prenante du conflit... il a donc une carte partisane à y jouer et qu’il joue, avec ses moyens considérables, en fonction de ses intérêts et du système qu’il représente.

L’image de la neutralité bienveillante du Pouvoir et de sa police est une escroquerie politique.

Patrick MIGNARD

Notes

[1NdM : Il en existe un, courageux et respectueux des valeurs humaines. Il s’appelle Roland Gatti

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