Patriote, ta terre est au cimetière

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« Mon pays vaut-il la peine d’être sauvé ? A quoi bon ? »... Je me pose la
même question. Je me la suis toujours posée. C’est parce que je me la
pose que je suis français. Lorsque je ne me la poserai plus, je serai
mort. J’aurai bien mérité ce repos"
Nous autres Français, Georges Bernanos.

« Ils en viennent à se massacrer entre eux : les tribus se battent les unes contre les autres faute de pouvoir affronter l’ennemi véritable […] le frère, levant le couteau contre son frère, croit détruire, une fois pour toutes, l’image détestée de leur avilissement commun. »
Les damnés de la terre, Frantz Fanon, préface de Jean-Paul Sartre.

« Le GUD a ouvert un squat ! ». La photo détonne dans le Progrès du 28 mai : Steven Bissuel, bras croisés, exhibe son nouveau T-Shirt devant le squat fraîchement ouvert. Le tout brandé sous le sigle Bastion social, opération marketing aussi rodée que pour un pop up store des pentes. Il se lance dans le social pour sauver ses compatriotes de la misère. Voilà un comique qui colle à son époque. Il y a eu Coluche et les restos du cœur. A Lyon, on aura le squat version centre de tri, le GUD et sa soupe xénophobe en pleine page dans les journaux.

On se marre un peu en imaginant les nazillons surfer sur un forum anar’ et consulter Le squat de A à Z, tout en ayant la sensation que là ils marchent sur nos plates-bandes. Une décennie que s’ouvrent des squats avec Roms, Albanais et précaires de tous horizons et l’extrême droite vient faire son beurre médiatique avec des pratiques qu’on a faites nôtres. La diffusion des pratiques comme modus operandi révolutionnaire n’est en soi garante d’aucune éthique. Si le GUD s’encanaille un peu en violant le droit de propriété, ils n’iront pas jusqu’à pirater l’élec’.

Le squat s’annonce comme un lieu d’accueil pour les Français dans le besoin qui seraient délaissés par l’Etat au profit des « clandestins extra-européens » qui accaparent tous les logements sociaux (les milliers d’exilés sur les trottoirs de Paris et Calais n’ont pas dû avoir le tuyau). Alors pour Steven il s’agit de faire de la solidarité sélective. Et là, c’est la question à mille balles : comment vont-ils faire le tri ? D’habitude, au GUD, l’examen se fait au faciès. Comme cette fois où ils ont passé à tabac un type qui était au bras… d’une asiatique. Les yeux bridés, pas de subtilité, le GUD exulte quand il cogne. Plutôt ratonnades que luttes sociales. De mémoire, on ne les a pas vus se prendre pour l’abbé Pierre cet hiver quand Collomb ne concédait qu’une bouche de métro aux SDF pour les nuits à -10. 

Qu’à cela ne tienne, Steven a prévu de faire son marché à l’entrée du foyer pour : « Des Français ou des Européens de culture et de langue française, avec de la famille issue de notre pays par exemple ». Examen de Français pour tous les futurs pensionnaires, donc ? Et de préciser le torse bombé d’importance qu’il s’agit de « Redonner ce local au peuple » ! Le peuple, le peuple… Le peuple FRRRANCAIS, Madame ! Et comment vont-ils le distinguer le peuple ? Leur projet nationaliste pourrait vite se résumer à un vulgaire contrôle d’identité car le fond de leur pensée n’est pas loin. Garder les « Français de souche ». Voilà leur vieille lubie. Compulser les arbres généalogiques, se regarder le livret de famille. Putain, mon grand-père est italien. J’en suis ?

Encore faudrait-il que des SDF frappent véritablement à leur porte, ce qui au fond n’est pas la question. L’élan de solidarité des Gudards n’est qu’une fiction utile à véhiculer leur idéologie raciste et leur stratégie politique au plus proche des gens. Le groupe aspire à mobiliser la société civile à coups de citation de Dominique Venner et de récupération politique déguisée en initiative citoyenne. Le tout soutenu par une communication maîtrisée ; hyper présence sur les réseaux sociaux, photo de plantes au milieu des travaux (ne manque qu’un filtre Instagram), esthétique léchée sur des t-shirts dignes d’un groupe à la mode et slogans qui prêtent à confusion sur leur origine. La véritable ambition du GUD n’est pas tant de faire dans le social que de s’assurer un point d’énonciation supplémentaire dans la ville et toucher un public plus large. A l’instar des fascites italiens de CasaPound qui arrivent à rencontrer pas mal de gens grâce à leurs « centres sociaux  », le GUD se dote d’un lieu ouvert et plus rejoignable que ceux du Vieux Lyon de par son identité floue de «  foyer d’accueil ». Avec cette occupation, il s’offre une large fenêtre médiatique pour propager leur analyse bancale ; le vieux mythe de l’invasion, mâtiné d’une critique du néolibéralisme. Or, « crise migratoire » ou pas, les gouvernements n’ont jamais fait grand-chose en faveur des pauvres, qu’ils soient français ou étrangers. La raison de ce désintérêt est la volonté politique de laisser un ordre se perpétuer et naître des rivalités. Il est confortable de croire que c’est le voisin qui vous ôte le pain de la bouche.

Sous le filtre d’une prétendue neutralité journalistique, la complaisance qui émane du traitement médiatique de cette action laisse pantois. Aucune mention de l’appartenance à l’extrême-droite violente du GUD dans l’article du Progrès. Mais peut-on se plaindre encore longtemps que les journalistes soient trop à droite ? Collomb quant à lui, lors du dernier conseil municipal, balaye la question du GUD à Lyon pour en revenir à la RAF et aux Brigades Rouges. La gauche radicale est un plus grand péril que les néo-fascistes pour le nouveau ministre de l’Intérieur. Prenons en acte, les partisans de l’extrême-droite sont bien en place. Une position victimaire ne nous fera rien gagner. Le GUD lui, promet de résister à la « police politique », et on est curieux de voir. « Politique  » ? Est-ce un appel du pied à leurs collègues CRS du même bord droitier ? Après l’alliance entre gudards matossés qui nous attiraient là où se planquaient quelques BACeux en embuscade aux abords de la manif #onvautmieuxqueça, va-t-on assister au divorce de la flicaille et des racetons ?

Si ces garants de l’État-Nation, policiers ou civils se mettent sur la gueule, tant mieux. Quant à nous, envisageons le chemin à parcourir. Un des enjeux se situe au niveau du discours afin de démonter leur langage rhétorique et esthétique, de ridiculiser la menace d’une France en péril. Il n’y a pas de nation ou de société française à sauver des méchants fascistes. Il y a d’abord ces mythes à déserter. Ces mythes qui voudraient qu’on se sente lié à ces bas du front sous prétexte d’un vivre ensemble culturel et historique. Ces mythes qui voudraient faire passer la machine capitaliste qu’est la France® et l’exploitation qu’elle administre pour un intérêt général quand tout le monde a compris que toujours les mêmes se gavent. Les brefs moments de communion nationale orchestrés après les attentats ne suffisent plus à endiguer la fragmentation toujours plus accentuée de ces vieilles unités. Si les fafs gagnent du terrain en surfant sur les désastres du libéralisme, nous les combattrons en ayant construit nos propres solidarités. Dans nos groupes, nos lycées, nos quartiers, nos lieux de vie quotidiens comme dans nos lieux de travail. Une expérience commune qui naîtra de la volonté de vivre et lutter dans cette ville. Une éthique généreuse qui n’ait rien à voir avec leur amour d’une soi-disant patrie qui ne repose que sur la haine du reste du monde.

Patriote Steven, solde la question du vieux Georges comme l’a fait ton cher Dominique Venner et vas croupir dans ta terre de souchien [1].

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Notes

[1NDR : D. Venner est un essayiste d’extrême droite qui a eu le bon goût de se suicidé devant l’hôtel de la cathédrale de Paris au moment des débats autour du mariage pour tous

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