Récit du mouvement dit « anti-CPE » à Lyon, 2e partie : du 21 au 27 mars 2006.

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CPE/LEC/2006

2e PARTIE : DU 21 AU 27 MARS. La 1re partie est disponible ici.

À Bron le blocage tient, malgré la présidence

Côté diant-diant, pas grand chose à signaler pour le mardi 21 mars : l’AG revote l’occupation de nuit, Puech menace de faire intervenir les CRS. On peut quand même noter que les questions du contrôle bureaucratique des AG et du rôle du SO se posent de plus en plus. Les négociations avec les syndicats pour avoir des trains gratos échouent, ces derniers préférant se concentrer sur les élections professionnelles qui auront lieu le jeudi. La SNCF veut bien affréter 3000 places, à un tarif à négocier, et le PS paierait le reste...

Coté lycéen, comme souvent, c’est plus intéressant : au moins 16 lycées touchés (bloqués, fermés ou perturbés), et une manif (environ 800 lycéen-nes, 200 étudiant-es) qui excite les flics (une dizaine de voitures dont deux avec caméras, 3 fourgons, une cinquantaine de civils en tout genre).

Le 22 mars (certain-es étudiant-es cultivé-es notent l’anniversaire), la situation est contrastée suivant les facs : à Lyon I, les étudiant-es décident de vendre des gâteaux pour financer le mouvement, une AG de 1000 personnes à Lyon III se prononce contre le CPE (victoire ! l’UNEF n’aura pas oeuvré en vain), l’IUT de Bron connaît la première AG de son histoire, l’IEP vote l’occupation de nuit, l’ENS (Ag de 200 étudiant-es sur 500) la grève interprofessionnelle, et joint sa caisse de grève à celle de Lyon II.

À Lyon II, la réaction met la pression : des rumeurs circulent d’une descente de l’UNI le lendemain à 9 h à la fac, soit pendant que tout le monde sera à la gare ou dans les trains, et la présidence envoie un petit mail à tout ses administré-es, reproduit ici in extenso, tellement il est caricatural (même la pref est moins répressive, puisqu’elle a refusé l’intervention des flics à la fac) :
«  Le campus de Porte des Alpes a été occupé la nuit du 21 au 22 mars.

Le concours des forces de police pour procéder à une évacuation a été, malgré les dangers pour la sécurité des gardiens et des lieux, refusé à l’Université.

Malgré la mise en place d’un important dispositif de blocage par une coordination étudiante au matin, les campus ont été ouverts ce mardi 22 mars. Le blocage a empêché une majorité d’étudiants de suivre leurs cours.

L’accès à leur lieu de travail a été refusé à certains personnels enseignants ou IATOS.

Jeudi 23 mars, l’Université sera ouverte. Il est demandé aux personnels enseignants et IATOS d’assurer leur service et aux étudiants d’exercer leurs droits dans le respect des libertés de chacun ». Ne dites plus « Bonjour monsieur le président » mais « Crève salope ! », comme on disait à l’époque...

"Tou-te-s à Paris !" (ou pas)

Un autre truc à plus dire, c’est « merci le PS » (enfin perso je l’avais jamais dit) : les crapules socialos ne financeront finalement que 380 billets pour Paris (la SNCF offrant gracieusement une réduction de 50%). Les buros qui ont valeureusement négocié vont pouvoir pratiquer leur clientèlisme habituel pour la distribution de ce maigre butin.

Seulement l’AG commence par voter que si c’est comme ça personne ne part à Paris. Et que tout le monde fout le bordel à la gare... heu enfin pas tout à fait, en fait elle vote le principe d’action « non-violentes » (on n’en sortira donc jamais !) sur la presqu’île. Mais, coup de théâtre, les buros débarquent avec leurs billets dans les mains, font revoter le truc, et obtiennent qu’ont les laissent distribuer l’os à ronger que leur à jeté leur grand frère socialo, au mépris de la réaction collective qui avait été décidé jusqu’ici. L’AG qui ne s’est toujours pas émancipée de la tutelle bureaucratique refuse de voter une dénonciation de ces petites manoeuvres ainsi qu’un communiqué expliquant que le PS et la CGT ont refusé d’aider le mouvement.

Le rendez-vous devant la gare est maintenu le lendemain, pour une tentative d’imposer directement la réquisition de trains, ou servir de point de départ aux actions du matin. Certains aimeraient même venir plus tôt pour empêcher les heureux élus de se barrer tout seuls avec les places PS, mais finalement ça se fera pas (tant mieux, qu’ils se barrent ces jaunes, on se marrera mieux sans eux).

Environ 1000 personnes se retrouvent devant la gare Perrache, traversent la galerie commerciale et sont bloquées à l’entrée de la gare par une maigre rangée de condés. Mais les boucliers-matraques-lacrymos semblent plus convaincants et convaincus que les capuches-foulards, donc il n’y aura pas d’affrontements directs à ce moment là. Quelques camarades à casquettes essaient pourtant d’initier les étudiant-es à leur pratique offensive, et à une certaine conception pragmatique et radicale du rapport avec les forces de l’ordre (un lascar, parlant des CRS : « eux ils sont là parce qu’on leur a donné des ordres, nous on sait pourquoi on est là, on est déterminé, on est plus fort qu’eux »). L’arrivée des renforts porcins empêche de justesse l’invasion des voies par une entrée de côté, et les manifestant-es en sont réduit-es à gueuler des slogans, qui se radicalisent avec le niveau de confrontation, et visent aussi bien l’ennemi du moment (la SNCF), que les ennemis structurels que sont l’Etat, les flics et les patrons.

Tout cela ne reste tout de même pas juste symbolique, puisqu’un cheminot syndiqué (à sud ou la cégèt’) informe par téléphone les manifestant-es depuis l’intérieur que tous les trains ont été détournés vers la gare de la Part Dieu.

Une fois qu’il a été clair que la pseudo négociation de la SNCF ne servait qu’à gagner du temps, le cortège s’est rassemblé à nouveau sur la place Carnot. Il semblerait qu’à ce moment une personne ait été arrêtée, mais il n’y a pas plus d’information.

Les buros étant partis à Paris ou rentrés chez eux se préparer pour la prochaine AG, l’auto-organisation s’impose, et les manifestant-es font l’expérience des prises de décisions collectives. Le débat porte sur le choix stratégique de retourner défendre la fac contre une possible descente de l’UNI (des rumeurs circulent depuis la veille), de faire une manifestation sauvage sur la presqu’île ou de viser plus particulièrement le blocage économique. Finalement, sans qu’il soit besoin d’un vote, c’est plutôt la troisième solution qui est retenue, avec dans l’idée de bien montrer aux autorités que le mouvement se constitue en une véritable force, capable de frapper leurs intérêts (« on va leur faire regretter de ne pas nous avoir laisser les trains gratos, le prochain coup on les aura »).

Les plus motivés définissent une cible, le mot circule, et tout le monde part en courant direction le périph’. Les voies sont vite occupées, certain-es commençant à les bloquer avec les blocs de béton armé qui délimitent la chaussée. Les flics arrivent, passent sous la bretelle où sont les manifestant-es, et la tentation est grande de s’en faire un ou deux à coup de blocs de béton, mais manifestement le niveau de conflictualité n’en est pas là à Lyon.

Les étudiant-es pacifistes se laissent encercler en bêlant « la police avec nous » ou un truc dans le genre, et la plupart des autres se barrent par un talus, certains jetant quand même quelques morceaux de bétons aux condés. Les pacifistes se font gazer. Le sérum phy de ceux et celles qui savent que la police n’est pas avec nous circule.

Finalement, tout le monde (environ 2000 personnes) se retrouve place Carnot, et ça part en manif sauvage, qui tente de débrayer un lycée, mais les flics sont sur place et trop nombreux.

Arrivé sur le pont de la Guill’, des manifestant-es matérialisent le clivage qui existe entre eux et les forces de l’ordre au moyen de barrières de chantier. Les CRS balancent les lacrymos, que quelques personnes équipées (foulard lunettes etc) tentent de leur renvoyer, et chargent. Le cortège et coupé en deux, mais se réunifiera vers Lyon II, pour continuer à défiler, sans chercher l’affrontement avec les flics, mais en essayant plutôt de les balader, et en retardant leur avancée en balançant sur la route tout ce qui lui tombe sous la main (containers à verre, panneau de signalisation, barrières...).

Au bout d’un moment, on voit réapparaître les petits chefs buros, qui se pointent d’on ne sait où et qui se placent tout naturellement en tête de cortège, avec leur mégaphone. On voit même des abrutis qui s’imaginent reformer un SO et canaliser la manif en faisant la chaîne ! La manif perd donc peu à peu de son intérêt (d’autant que la présence policière est de plus en plus massive), et finit par se dissoudre place Guichard, après que tout le monde s’est donné rendez-vous pour la manif « officielle » de l’après-midi.

Quelques gamins qui sortent de leur collège aimeraient bien que ça ne s’arrête pas là : « hé, vous voulez pas retourner notre collège aussi ? ».

La jeunesse emmerde la police nationale

Côté lycéen, ça s’agite aussi pas mal ce jeudi 23 : dans le quartier des Etats-Unis, comme la veille, les lycéen-nes manifestent dans leurs rues, et sont assez violemment réprimé-es par les condés, mais sont soutenu-es par la population qui voit d’un mauvais oeil l’occupation policière du quartier.

Quelques échauffourées ont lieu dans la journée entre les jeunes casseurs et les forces de l’ordre, comme on dit à la télé. Au lycée Diderot, les élèves ont décidé de bloquer la route devant leur établissement à 13h. Les CRS sont présents, et négocient que s’il n’y a pas de jets de projectiles (certain-es lycéen-nes commençant à s’équiper...), ils n’utiliseront pas leurs matraques, leurs flash-balls, ni leurs lacrymos. Évidemment on sait ce que vaut une parole de flic, et la commissaire justifiera la charge avec armes par un « ça vous apprendra à respecter la loi », sans qu’on sache vraiment si c’était ironique ou non...

Les lycéen-nes se sont réfugier lors de la charge dans leur lycée, sauf un qui a été arrêté, et les blessé-es ont été soigné-es à l’infirmerie.

Après les heurts du matin, la manif’ de l’après-m’ s’annonce tendue. Et en effet les flics et les SO sont sur les dents, notamment celui de la FIDL qui a recruté une bande de merdeux qui s’étaient déjà fait remarquer au début du mouvement en agressant des manifestant-es (c’est d’ailleurs à ma connaissance les seuls cas de ce genre à Lyon, rien à voir avec les descriptions médiatiques des hordes de lascars dépouillant tout sur leur passage). Des lycéens à casquettes courent dans tous les sens pour mettre les nerfs aux bakeux, qui arrivent finalement à les chopper. Le cortège s’arrête pour les soutenir, malgré les syndicalistes de l’UNSA (police ?), et réussit à les faire relâcher. Ça repart, les flics se sentent tout permis et circulent au milieu des manifestant-es en bagnoles, gazant ceux et celles, trop rares, qui tentent de les bloquer, alors que la BAC continue sa chasse à la casquette, non sans se faire légèrement caillasser au passage.

Six personnes sont arrêtées, mais cette fois la manif ne s’arrête pas, faute de réflexes de solidarité. Des étudiant-es tentent de bloquer la voiture sono de la cégèt’, et les CRS profitent du flottement pour couper le cortège en deux. La CGT, sous la pression, contacte ses dirigeants départementaux et commence à négocier avec les keufs la libération des personnes arrêtées, mais finalement elle force le passage et repart. Trois personnes sur les six sont libérées.

La manif continue dans ce climat de tension jusqu’à la place Guichard, où les manifestant-es décident après discussion d’aller jusqu’au palais de justice à une centaine de mètres pour réclamer la libération des personnes interpellées. Seulement les condés profitent de l’agencement de la place (une sorte d’arène avec deux entrées) pour encercler la manif et la disperser. Les lycéen-nes commencent par fuir devant la charge, puis reviennent, certain-es balançant quelques trucs aux flics, plus par rage que dans un réel but d’affrontement.

Ça charge un peu dans tous le sens, la BAC s’en donne à cœur joie, usant des flash-ball (parfois à 2 m et dans le dos) pour les lascars et des lacrymos pour les autres. Il y a au moins vingt cinq interpellations, et une permanence est mise en place devant Marius Berliet (le commico central) pour attendre la sortie des personnes arrêtées et des coups de fils sont passés à tous les postes de police pour avoir de leurs nouvelles. À ce moment, l’activité anti-rep’ n’est pas vraiment organisée, et est plutôt prise en charge par des personnes de la mouvance libertaire ayant un peu d’expérience en la matière (notamment des gens de l’association témoins). Une des personnes arrêtées ce jour là, accusée de jets de pierre sur les forces de l’ordre, s’est vue convoquée au tribunal en octobre après une nuit de garde-à-vue, et a finalement été relaxée.

Triste démocratisme étudiant et joyeuse agitation lycéenne

Pas grand chose à signaler le vendredi 24 du côté de la fac, et pour cause, la journée est parasitée par l’inévitable débat en AG entre bloqueur et anti-bloqueur. Le seul point positif de ce petit jeu démocratique de la course à la légitimité, c’est la possibilité de se marrer en écoutant les « propositions alternatives » des anti-bloqueurs, qui n’empiéteraient pas sur leur « droit à étudier » : grève de la faim géante sur le parking de la fac, occupation de la pref, du medef ou de l’hôtel de ville. [1] ! Dommage que le mouvement ne soit pas allé jusqu’à l’annulation des examens, on aurait pu assister au joyeux spectacle de braves apolitiques réclamant qu’on pende Villepin avec les tripes de Sarkozy plutôt que de les empêcher de décrocher leur diplôme...

Pour se rendre bien compte à quel point le débat sur le blocage a été hypertrophié et a concentré toutes les énergies, on peut citer l’exemple de Lyon III, où le maigre comité de mobilisation n’envisageait même pas la mise en place de ce type de pratique, et où c’est le camp des anti-bloqueurs qui a imposé que cette question soit votée, avec urnes et tout le folklore démocratique.

Encore une fois, c’est des lycées que sont venues les initiatives les plus intéressantes en cette journée du 24 : plusieurs établissements sont bloqués, comme à Faÿs où les flics délogent par la force les élèves et personnels qui bloquaient l’entrée. Seulement, une fois l’accès dégagé, personne n’entre, même le facteur venu apporter un colis, comme au bon vieux temps où la dignité prolétarienne interdisait de franchir un piquet de grève.

À Vénissieux, une cinquantaine de lycéen-nes de Sembat-Seguin. [2] sont rassemblé-es devant les grilles, pour protester contre la répression policière de la veille. Leurs petit-es camarades de Jacques Brel entament au même moment une tournée de débrayage des lycées de la ville. Mais les CRS [3] s’interposent pour éviter la jonction, chargent à tour de rôle les un-es et les autres, gazent tout le monde et font une interpellation. Des lycéen-nes enfermé-es par la direction dans leur lycée foutent le feu à un camion sur le parking, et ceux et celles qui restent dehors pètent quelques rétros en se barrant devant la charge des CRS.

À Oullins, le lycée Jacquard est bloqué spontanément le mercredi 22, puis le blocage est reconduit avec cadenas les jours suivants. Le lundi 27, des lycéen-nes balancent des oeufs et des pierres sur les vitres de l’établissement, et les flics interviennent pour les disperser.

Notes

[1Malgré ces efforts d’imagination et ces propositions somme toute constructives, le blocage sera reconduit jusqu’au mercredi suivant.

[2C’est marrant rien que le nom des établissements scolaire permet de savoir qu’on se situe en « banlieue rouge ».

[3Au nombre de 250 selon nos informations mais ça me paraît un tantinet exagéré. Cela dit, un CRS par lycéen-nes de banlieue et 50 baqueux pour tout un cortège étudiant, c’est une couverture policière proportionnelle au potentiel d’agitation des un-es et des autres.

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