Revendications internes et externes des occupant.es de l’ENS

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A quoi sert l’occupation et que peut-elle ?

Pendant plus de deux semaines, nous, étudiant.es de l’ENS de Lyon et d’ailleurs, avons occupé.es la salle du 1 place de l’Ecole, sur le site Monod. Cette action s’inscrit dans le contexte général d’une mobilisation nationale pour la promotion du service public et contre les récentes réformes du fonctionnement des universités. Plus particulièrement, elle fait suite à la fermeture administrative des lieux précédemment occupés par le mouvement étudiant, à l’Université Lyon 2 et à l’IEP de Lyon. L’occupation vise à fournir au mouvement un lieu de rencontre, d’organisation et d’information du public.

Au niveau national, les principales revendications du mouvement étudiant sont les suivantes :
1) Retrait de la loi ORE, qui permet aux universités de sélectionner leurs étudiant.e.s et de proposer des diplômes payants ;
2) Retrait des projets de fusion et d’« autonomisation » des universités, qui les rendent en réalité dépendantes de financements privés et accroissent l’inégalité de moyens entre les universités ;
3) Financement public de l’enseignement et de la recherche, selon un principe d’équité des dotations, permettant le libre accès pour tou.te.s à toutes les formations, ainsi que l’indépendance de l’université vis-à-vis des besoins du marché du travail ;
4) Augmentation de la part de budget allouée à l’éducation, notamment par la titularisation des vacataires qui occupent des postes pérennes ;
5) Maintien et développement des dispositifs visant à protéger les étudiants de la précarité, qu’il s’agisse des bourses ou des APL.

Cette occupation est en outre l’occasion de porter des revendications qui visent à transformer nos conditions de vie et de travail au sein de l’ENSL. Certaines de ces exigences ne sont pas nouvelles : d’une part, elles ont déjà été formulées lors de l’occupation de la salle F001, pendant le mouvement contre la loi Travail en 2016 ; d’autre part, elles ont depuis été relayées, de manière institutionnelle, par les élu.es étudiant.es. Aujourd’hui, il apparaît nécessaire de les répéter une fois encore, au vu du silence voire du blocage de la présidence sur de nombreux dossiers.
1) Moratoire concernant le projet IDEX, qui vise à fusionner certaines universités lyonnaises, afin de répondre à des critères arbitraires et élitistes. Concernant les manières de faire, nous exigeons la communication et la consultation à toutes les étapes d’élaboration du projet. Dans le contenu, nous demandons le rétablissement d’un financement pérenne qui garantisse la mission de service public de l’université (préservation des licences, répartition équitable des moyens, accessibilité des formations), la conservation et l’amélioration des statuts de la fonction publique, qu’il s’agisse d’enseignant.e.s, de personnel d’entretien ou administratif (recrutement des enseignant.es sans « tenure track » ou prétitularisation conditionnelle). Nous défendons donc une excellence pour tous et non pas pour certain.es.
2) Ouverture de l’ENS sur son quartier, afin que l’Université sorte de ses murs. Un restaurant universitaire (Crous) de qualité et un jardin aussi agréable que créatif devraient profiter à tou.tes, afin que le campus de l’ENS cesse d’être une « gated community » au milieu des tours de béton. Aussi, vidée entre 18h50 et 19h30 depuis quelques mois, la bibliothèque Diderot est alors réservée uniquement aux étudiant.e.s de l’ENS. Nous condamnons cette technique augmentant les inégalités d’accès à l’information, qui a d’ailleurs été l’occasion d’opposer bibliothécaires et usagèr.e.s. Nous demandons ainsi que les conditions de travail dont nous bénéficions soient accessibles à tous.tes les autres étudiant.es, sans pour autant que cela conduise à détériorer celles du personnel du Crous, du jardin et de la bibliothèque. En ce sens, les étudiant.es pourraient participer à la tenue de ces différents lieux.
3) Ouverture de la salle commune sur le site Descartes, gérée de manière autonome par les étudiant.es et usager.ères. Espace ouvert de rencontre, de réflexion, de création et d’organisation, cette salle permettrait à tou.te.s de s’approprier l’ENS sans avoir à répondre aux contraintes de l’administration. Demandée en bonne et due forme depuis deux ans, et promise par la présidence, la salle commune est un lieu symbolique du rapport de force au sein de l’école. Des raisons logistiques ou calendaires ont été avancées pour justifier ce délai ; elles nous semblent de mauvaise foi et nous pensons que la volonté de faire oublier les conditions dans lesquelles cette salle a été obtenue, voire le refus d’accorder un lieu auto-géré, en sont les réels motifs.
4) Restauration du siège réservé aux élu.es étudiant.es au CA, supprimé il y a quelques mois. Un siège qui permet la défense des droits et intérêts étudiants. Le nombre des élu.e.s étudiant.e.s est aujourd’hui inférieur à celui des « personnalités qualifiées » nommées arbitrairement par le président, parmi lesquelles on compte un représentant.e de Natixis, un de Lafarge, un de Sanofi, un de Solvay. La transparence et la participation aux décisions sont plus que menacées par ce système loin d’être démocratique.
5) Gratuité ou retrait du diplôme de l’ENS. Celui-ci était initialement pensé pour améliorer les formations et étendre aux auditeur.trices une caution d’excellence, qui est en elle-même discutable. Désormais payant (et jusqu’à quel prix ?), ce diplôme doit être tenu pour un cheval de Troie du remplacement des diplômes nationaux par des diplômes locaux. En plus de limiter les étudiant.es dans leur choix d’étude, un tel projet va à l’encontre d’une université unique et égalitaire pour tous.tes.
6) Droit plein et entier aux CCP pour les étudiant.e.s. Les congés pour convenance personnelle, qui sont la contrepartie de l’engagement décennal, n’ont pas à être distribués arbitrairement par la présidence. L’écriture de règles qui conditionnent l’accord ou le refus d’un CCP doit garantir la liberté des élèves à choisir leur parcours, non pas celle de l’administration à contrôler son budget et ses employé.e.s. Nous condamnons cette tentative paternaliste de régenter nos vies.

Au-delà de ces revendications, nous pensons que notre expérience du système universitaire sélectif et inégalitaire, des classes préparatoires aux grandes écoles, nous rend capable de critiquer la méritocratie comme l’aristocratie. Il nous suffit de regarder autour de nous la composition sociale des élèves de l’Ecole pour comprendre que le discours méritocratique est un leurre qui masque seulement le fait de la reproduction sociale des élites. Nous avons également sous les yeux l’évolution d’une institution d’abord dédiée à la recherche fondamentale et à la formation des enseignant.e.s qui, réforme après réforme, se voit sommée de se conformer aux besoins du marché pour continuer à bénéficier de financements préférentiels.
Cependant les élèves de cet établissement y ont fait l’expérience du plaisir d’étudier dans une Ecole bien entretenue, dans une bibliothèque et des laboratoires accessibles en permanence, dans un beau jardin botanique. Ces conditions de travail privilégiées, et qui produisent des résultats, nous les réclamons aujourd’hui pour tou.te.s. Notre expérience ne nous montre pas seulement l’absurdité des prétendues bourses au mérite ; elle nous montre aussi qu’on fait de bien belles choses dès qu’on décide d’y mettre les moyens ; elle nous suggère encore l’idée d’un salaire étudiant universel. En effet, les étudiant.es rémunéré.e.s ont aussi fait l’expérience de la sérénité que conférait la liberté de ne pas avoir à travailler durant leurs études, ce qui dégage du temps tant pour approfondir ses études que pour se consacrer à des activités sociales et associatives. Un signe des modes de vie possibles lorsque l’on dispose d’une sécurité économique : des élèves économisent sur leur salaire pour financer des années de césure (CCP), afin d’acheter des années libres en dehors de l’université carriériste. Aurons-nous un jour les moyens d’être libre de notre temps, étudiant.es ou non, sans craindre d’être soit rentables soit précaires ? Ainsi l’on pourrait remettre en cause la « réussite » à l’ENS, en l’évaluant non plus selon des critères économiques et académiques, mais selon des critères de choix dans les parcours et d’intérêt à l’étude.

Ces demandes externes à l’ENS font écho aux revendications dans notre établissement d’étude et de travail. L’articulation de ces deux échelles, nationale et locale, est un effort de chaque instant. Afin de diriger nos forces vers les secteurs professionnels en grève —ainsi que nous l’expliquons dans notre communiqué de désoccupation— nous prolongeons donc notre occupation de salle par les prochaines mobilisations de rue.

Pour plus d’informations, rendez-vous sur
le Facebook « Ens de Lyon en Lutte »

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