TRAVAILLER MOINS POUR GAGNER PLUS

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Depuis le début de l’année, et dans le sillage du mouvement de
novembre, pas une semaine ne passe sans débrayage dans une boîte
de la région. Selon les syndicats, les salariés courent après le pouvoir
d’achat… mais ces luttes viennent surtout s’attaquer à la sale équation
sarkozyste « travailler plus pour gagner plus » et à tout ce qu’elle
comporte : flicage des chômeurs-euses comme des salarié-es, cadences
à la con, flexibilité accrue… toute cette course, cette pression au travail
qui nous laisse l’impression de perdre notre vie à essayer de la gagner.

Témoignages de caissières

CARREFOUR GRAND LITTORAL, le 27 mars.
Rencontre avec des travailleuses de
l’enseigne qui ont participé à une lutte de
16 jours, du premier au 17 février.

Un mois après, l’espace marchand a repris
ses droits. La rencontre se fait entre deux
tranches de travail, sur la pause repas déjà
bien entamée une fois passé par la pointeuse,
et par la case sandwicherie… Le temps
d’arriver en salle de pause, il reste 10 minutes
pour digérer le panier repas à 3 euros. C’est
là-dessus, entre autre, que la grève s’est
lancée : le tarif du ticket resto, symbole du
mépris patronal, les horaires saucissonnés
par les temps partiels contraints, et cette idée
saugrenue qu’on pourrait bien gagner plus
sans avoir à marner encore d’avantage…

« Les femmes sont peut-être plus révoltées,
parce qu’on est beaucoup de femmes seules
ici. Comme mon cas : quand vous gagnez 950
euros par mois et que vous sortez déjà 450
euros de loyer, je parle que du loyer hein,
je parle pas d’EDF, des assurances voitures
parce que quand vous finissez la nuit y a plus
de bus, alors il vous faut une voiture… à la
fin qu’est-ce qu’il vous reste pour manger ?
Bah rien. »

« Cette grève a commencé parce que c’était
une journée nationale avec les syndicats.
Mais le dégoût des salariés, tout ce qui se
greffe comme le besoin d’argent, les conditions de travail… tout ça a fait que ça a duré
16 jours. J’ai la chance d’avoir un mari qui
est opérationnel pour s’occuper des enfants
parce que moi j’étais en stand-by 16 jours
dans le magasin, sur le parking, jour et nuit.
Pour empêcher les camions de rentrer, être
au courant de ce qui se passait… »
Sur le parking, le lieu de la pause clope,
un petit groupe de caissières discute et
rigole… On parle un peu du quotidien de la
grève : « Nous on a fait partie des filles qui
étaient là tous les jours, toute la nuit, toute
la journée… on a combattu les CRS, on était
là, et on est rentrées pour rien… [rire]. Le
directeur, vu qu’on laissait pas rentrer les
marchandises, sa seule solution ça a été d’envoyer les CRS. On a été traînées en justice
aussi. On a bloqué 16 jours, quand un camion
arrivait on disait : on fait la grève, on fait la grève vous repartez… voilà on a bloqué les
accès [de la galerie commerçante] deux fois et
deux fois on a été traînées en justice ».

« Y avait une assemblée générale tous les
soirs on demandait qui voulait continuer,
qui voulait rentrer et la majorité c’était pour
continuer. Au début on était 400 sur 600
employé-es, on prenait beaucoup de décisions.
C’était tout le monde, tous les employé-es
du magasin même si c’est vrai que nous les
caissières on est les plus nombreuses et puis
quand on bloque tout s’arrête.

On était tout le temps dehors en train de
crier, de chanter. Avec le microphone : ‘‘si
tu veux pas négocier parle à ma main / si tu
veux pas négocier oublie moi ha ha’’. Après
on disait : ‘‘la grève elle est trop bien, la grève
/ la grève elle est trop bien’’. Non franchement y avait une bonne ambiance.

La première nuit, les gens savaient pas qu’on
était là, alors on était cinq. On s’est fait une
petite grillade, des parties de romé, on était
toujours un groupe de six filles la nuit le jour
tout le temps et puis y a avait aussi 2-3 gars
qui sont venus, et après tout le monde venait
le soir, ça s’est su. Y avait même des gens de
l’extérieur : on finissait à 40 ou 50, pour la
nuit c’est beau, non ? Même ma chef quand
elle venait le matin, moi je suis souvent
en retard et le matin, j’étais en train de me
brosser les dents à cinq heures du matin, elle
me disait : ‘‘je vous ai jamais vue souvent
aussi à l’heure’’. Et ben ouais mais la grève
j’étais tout le temps là ».

Pour ce qui est de la fin du mouvement c’est
simple : les salariées qu’on a pu rencontrer
sont toutes dégoûtées.

« Et ben non on voulait pas rentrer, on est
rentrées de force : c’est le délégué syndical
de la CFDT qui sans nous faire voter est allé
signer, sans savoir si on était d’accord ou pas
d’accord. Si on avait continué on serait peut-
être abouties à quelque chose vu qu’il y avait
des Carrefours qui rentraient avec nous. Pour
la CFDT les trois quarts étaient d’accord alors
ils ont dit on va rentrer mais la majorité des
caissières on est sans étiquettes.

Ils venaient tous avec leurs banderoles un
coup CGT, un coup CFDT, avec les badges,
la casquette… mais on fait la grève pour les
employées, pas pour le syndicat alors finir
déguisées avec l’étiquette là et là… Pour
savoir qu’on est pas assez payées on a pas besoin d’étiquette. Et c’est pas eux qui vont
te payer. Ça fait trop des clans, la CDFT à
droite, la CGT à gauche… mais c’est bon,
on est tous ensemble. Et moi je pense que
c’est à cause des problèmes syndicaux qu’il
y aura pas encore de grèves comme ça, de
seize jours ».

Dans l’accord signé par la CFDT, il n’y a
strictement rien. C’est du vent. Mais il pèse
comme une pierre sur l’estomac des grévistes :
sur les temps partiels imposés ? rien ; sur
l’augmentation du ticket resto : rien ; sur la
fermeture à 21 heures en hiver : rien. Le seul
« acquis » : une subvention exceptionnelle de
80 000 euros versée au comité d’entreprise, et
une augmentation de 50 centimes du ticket
resto (sur les 1 euro 50 demandés) et encore,
à condition que les pertes liées au vol et à la
casse passent sous la barre des deux pourcents, ce qui revient à devoir faire le travail
dégueulasse des vigiles en plus d’un boulot
abrutissant aux caisses ou au rayonnage…

La grève aura coûté 3 millions d’euros à Carrouf’, l’équivalent de 2740 années de ticket
resto.

« À la fin de notre combat, le vendredi et le
samedi, y a beaucoup de magasins qui sont
venus avec nous, qui ont débrayé, qu’étaient vraiment avec nous… mais ça a lâché avant.
On a eu beaucoup de soutien, de tout le
monde… on a eu des dons des dockers, même
les bateaux de pêche qui rentraient au port ils
nous ont appelé, ils nous ont dit vous venez
à telle heure et ils nous ont donné le poisson
frais qu’ils venaient de pêcher…

La suite ? La suite je la vois très mal. À moins
de leur foutre le feu… Y a pas d’autre solution. Parce qu’on est toutes révoltées et qu’ils
ont rien lâché. Quand un patron vous balance
dans la figure je préfère perdre je sais pas
combien de millions d’euros plutôt que d’en
lâcher 190000… faut pas beaucoup qu’il ait
de figure parce qu’il a pas de problème de
fin de mois, lui ; ça aussi il nous l’a fait comprendre…La seule chose qui, à mes yeux,
a changé c’est qu’on a appris à se connaître, parce qu’on a pas les mêmes horaires
entre les employés-rayons et les employés
de caisse, on a appris à connaître nos problèmes… la grève après ce qu’elle nous apporte ?
bah, pas grand-chose. On n’a pas perdu grand-chose mais on a pratiquement rien gagné.
Tout ça se parle au niveau national, ils disent
que s’ils augmentent pour un magasin ils sont
obligés d’augmenter pour tous les magasins
donc ils veulent pas lâcher, hein, même pas
pour vingt centimes sur un ticket resto. Mais bon : nous on peut même pas partir un mois
en vacances… alors la grève je pense ça a
servi à discuter de ça, et pour montrer qu’il
y a un ras le bol. Dans cette grève on s’est
retrouvé des gens qui étaient à un mois de
la retraite, qui se sont battus pour les autres,
des étudiants… alors tous ceux qui ont pas
participé même s’ils étaient d’accord avec
nous, c’est la loi hein, c’est les CDD, qui craignaient pour leur emploi. Alors soit disant
on est dans un pays où on peut s’exprimer,
où on a le droit à la grève, moi j’ai constaté
qu’en faisant la grève on avait pas le droit à
grand-chose… on avait le droit à se faire petit.
Souvent on me dit : tu rêves… alors c’est peut
être un rêve de demander 250 euros nets sur
mon salaire mais quand je pense que Monsieur Sarkozy il s’est permis d’augmenter son
salaire, les patrons ils peuvent se permettre
d’augmenter leurs salaires… Et les ouvriers ?
Quand est-ce qu’ils vont pouvoir augmenter
leurs salaires ? J’espère de ça que les gens ils
vont se réveiller, ils vont se dire que oui c’est
dur mais c’est possible de lutter, de se battre,
d’aller jusqu’au bout et que l’union fait la
force… Alors c’est un petit appel, quoi. Que
les gens se révoltent… et surtout les femmes,
parce que les femmes de nos jours elles ont
un double travail comme on dit : elles ont le
travail au travail et le travail à la maison… »

P.-S.

Caissières en grève

Le 1er février 2008, première journée de
grève nationale dans la grande distribution. Tentative de lutte là où la précarité et
l’exploitation sont traditionnellement exarcerbées. Refusant de s’en tenir à une grêve
symbolique de 24 heures comme les y invitaient les directions syndicales, les salarié-es
du Carrefour Grand Littoral à Marseille ont
décidé de continuer la grêve pour obtenir la
satisfaction de leurs revendications (notamment l’augmentation des tickets restaurant
et le paiement des jours de grève).

Pendant deux semaines, les salarié-es ont
bataillé face au mastodonte Carrefour. Ils/
elles ont appris à se connaître, à s’organiser
ensemble. Si le quotidien des caissières est
particulièrement individualisant et mono-
tone, les piquets de grève ont respiré l’enthousiasme de la lutte collective.

Les directions syndicales (CGT, CFDT, FO) ont
obstinement refusé d’appeler les autres salarié-es de Carrefour à la grève : c’est pourtant
dans la lutte ensemble et au même moment,
que les salarié-es de Carrefour avaient une
chance d’obtenir satisfaction sur leurs revendications. Mais les bureaucrates ont sciemment décidé de mener ce mouvement dans
le mur.

Vendredi 18 février, le gouvernement et la
direction de Carrefour ont considéré qu’ils
pouvaient en finir avec la grève : les flics
sont intervenus violemment pour débloquer
les entrées du magasin. Ce qui a provoqué
la cessation du travail dans plusieurs hypermarchés Carrefour, par solidarité. Le même
jour, FO appelait à la reprise. Le lendemain,
la CFDT (majoritaire à Carrefour Grand Littoral) appelait à son tour, signant un accord qui
est très loin de satisfaire les revendications
minimales des grévistes.

Depuis, une caisse de solidarité financière a
vu le jour. Pour des salarié-es gagnant environ
1000 euros par mois (pour les plein temps),
la paie de février a été amputée de moitié !

Les dons sont à envoyer à : Collectif 13 -
Droits des Femmes 13 boulevard des Frères
Godchot 13005 Marseille
écrire au dos du chèque : « soutien carre-
four grand littoral ». Le Collectif- 13 fera
parvenir les sommes perçues aux respon-
sables du mouvement.

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