En début de semaine, un nouveau rebondissement dans l’affaire Snowden fît la Une des journaux. Une nouvelle fois, les journalistes firent mine de redécouvrir les horreurs qu’ils avaient constaté au printemps : la NSA est en capacité d’espionner tout le monde, pas simplement dans son propre pays, et d’ailleurs elle ne s’en prive pas. Il faudrait être idiot pour reprocher à la police de faire son travail, c’est-à-dire dans ce cas, aux services secrets d’espionner tout le monde.
À partir du moment où la technologie offre cette possibilité pourquoi le pouvoir se priverait-il de l’utiliser ? Ce qui est terrifiant en revanche c’est l’ampleur de cette surveillance : plus personne aujourd’hui ne peut prétendre échapper à ça, ni à la dépendance qui nous lie aux nouveaux outils technologiques. Car ce sont précisément nos prothèses technologiques qui permettent cette surveillance généralisée. Mais pouvons-nous réellement vivre sans ? Qui peut encore se passer d’internet ? De téléphone portable ? Qui peut encore se déplacer (en métro, par autoroute) sans générer des données sur ses déplacements ? De la même façon que nous critiquons le nucléaire parce que nous sommes contraints de l’utiliser, nous critiquons ces mouchards électroniques car on nous contraint à les utiliser. À moins d’arrêter de vivre, nous n’avons tout simplement pas le choix d’être espionné.
Si nous manifesterons demain avec les éleveurs ce n’est pas simplement par solidarité, ni pour préserver ce reste de paysannerie que l’industrie n’a pas fini de saccager. C’est aussi et surtout parce que le destin que l’on réserve aux bergers paraît étonnement proche du nôtre. Qui peut prétendre encore trouver un sens, une liberté et une autonomie dans un travail où l’on nous dépossède constamment ? Combien d’emplois perdus sous les coups d’une automatisation que nous n’avons pas choisie ? Quel est ce monde où nos rapports sociaux tendent de plus en plus à passer par les cases d’une bureaucratie informatique ? Notre dialogue avec l’administration se limite-t-il à appuyer sur la touche étoile ?
La civilisation des machines exige de vous une discipline chaque jour plus stricte. Elle l’exige au nom du Progrès. La civilisation des machines est elle-même une machine, dont tous les mouvements doivent être de plus en plus parfaitement synchronisés. La Technique prétendra tôt ou tard former des collaborateurs acquis corps et âme à son Principe, c’est-à-dire qui accepteront sans discussion inutile sa conception de l’ordre, de la vie, ses Raisons de Vivre. Dans un monde tout entier voué à l’Efficience, au Rendement, n’importe-t-il pas que chaque citoyen, dès sa naissance, soit consacré aux mêmes dieux ? (…) L’Etat technique n’aura demain qu’un seul ennemi : « l’homme qui ne fait pas comme tout le monde » - ou encore : « l’homme qui a du temps à perdre » - ou plus simplement : « l’homme qui croit à autre chose que la Technique
Georges Bernanos, 1945, La France contre les robots
L’identification électronique concerne moins les éleveurs que l’ensemble de la population. S’ils sont les seuls aujourd’hui à se mobiliser contre, c’est qu’ils éprouvent de la manière la plus brutale l’incursion de ce nouveau contrôle social dans leur vie. Les raisons de les soutenir ne manquent pas. Les raisons de les imiter dans leur révolte non plus. Ce qu’il nous manque c’est le courage et la confiance d’exprimer notre refus. Ce qu’il nous manque c’est la faculté de ramener les questions de choix technologiques sur le terrain du politique, afin de se questionner sur la sorte de vie que nous voulons vivre. Ces choix de société n’appartiennent ni aux experts ni aux scientifiques. Personne n’a le droit de décider à notre place. Retrouvons-nous place Bellecour à 15 heures afin de nous joindre aux éleveurs.
Quelques moutons noirs réfractaires
Compléments d'info à l'article
Proposer un complément d'info