Jean Carbonare, qui vient de nous quitter, alertait dès 1993, soit plus de quinze mois avant le début du génocide d’avril 1994. Il dénonçait alors la responsabilité française dans ce qui était en train de se préparer au Rwanda avec l’assentiment – si ce n’est l’aide et les encouragements – de nos dirigeants de l’époque – Mitterrand, Président de la République, Léotard, ministre de la Défense, Védrine, secrétaire général de l’Elysée, Sarkozy, ministre du Budget…
De nombreuses enquêtes indépendantes (HRW, OUA,…) témoignent du soutien inconditionnel des dirigeants français au Gouvernement intérimaire rwandais, aux Forces armées rwandaises, aux milices – aux planificateurs, aux organisateurs et à ceux qui exécutèrent le génocide. Et ce avant, pendant et même après le génocide, lorsque sous couvert d’opération humanitaire les militaires français ont exflitré vers le Congo voisin, puis réarmé, les assassins.
Serge Farnel, correspondant de l’Agence rwandaise d’information, et Emmanuel Cattier, membre de la Commission d’enquête citoyenne, sont de ces personnes qui tentent de faire la lumière et d’alerter leurs concitoyens sur la réalité de l’engagement français au Rwanda. Ils ont été interrogés par la DCRI suite à la publication d’une note du colonel Poncet (adressée alors à l’amiral Lanxade, chef d’état major des armées).
Emmanuel Cattier, intimidé par les officiers de la DCRI venus à son domicile, a accepté de supprimer du site de la Commission d’enquête citoyenne dont il s’occupe cette note du colonel Poncet, au prétexte qu’elle serait classée « confidentiel défense ». « J’ai choisi de céder devant les menaces juridiques invoquées et j’ai supprimé ce compte rendu d’Amaryllis – qui est resté un an sur notre site internet –, en présence des officiers de la DCRI en mon domicile. Il n’en demeure pas moins que cette procédure – qu’elle soit légale ou pas, peu importe mais il serait utile de le comprendre –, est tout à fait inacceptable en démocratie. C’est de notre point de vue un dévoiement de la loi car la sécurité des citoyens français n’étaient en aucune manière menacée, seulement la protection de l’impunité de quelques dirigeants. »
Le colonel Poncet rapportait dans cette note (n°018/3°RPIMa/EM/CD du 27 avril 1994) ce que de nombreux témoins ont par ailleurs confirmé – loin d’un scoop, une information de notoriété publique : les militaires français avaient reçu alors l’ordre de n’évacuer que des non-rwandais. Les soldats n’intervenaient pas pour empêcher des massacres pourtant commis sous leurs yeux. La note faisait ainsi référence à la directive que le colonel Poncet avait reçue pour mener les opérations dans ce sens. Mais la principale « révélation » dans cette note concerne les journalistes qu’il s’agissait explicitement d’écarter...
« Les médias ont été présents dès le deuxième jour de l’opération. Le COMOPS a facilité leur travail en leur faisant deux points de presse quotidiens et en les aidant dans leurs déplacements mais avec un souci permanent de ne pas leur montrer des soldats français limitant l’accès aux centres de regroupement aux seuls étrangers sur le territoire du Rwanda (Directive n°008/DEF/EMA du 10 avril) ou n’intervenant pas pour faire cesser des massacres dont ils étaient témoins proches. »
Le compte-rendu de Poncet fait donc référence à des instructions qu’il aurait reçues au début de l’opération Amarylis, cette « Directive n°008/DEF/EMA du 10 avril », lui enjoignant de ne pas protéger les populations civiles. Et ce, alors même que se déchaînaient les masacres génocidaires à l’encontre des Tutsi, ce que ni lui ni sa hiérarchie ne pouvaient ignorer. On apprend ainsi au passage que, de surcroît, il devait cacher le comportement scandaleux de ses soldats aux médias !
Rappelons que la convention pour la prévention et la répression des crimes de génocide adoptée par l’ONU en décembre 1948 prévoit les cas de complicité de génocide. À ce titre, l’attitude de l’armée française décrite dans cette note devrait être directement incriminable.
Serge Farnel, rappelle que « ceux qui lâchent aujourd’hui sur nous les services secrets français devront répondre à leur tour d’agissements autrement plus graves que celui qui consiste à avoir fait savoir à nos concitoyens que leurs soldats avaient reçu, au Rwanda, des directives violant allègrement la Convention pour la prévention et la répression des crimes de génocide ».
Le secret défense, ici invoqué pour interdire l’accès à des documents permettant d’enquêter sur les responsabilités française dans le génocide des Tutsi du Rwanda, doit être levé
La mise en place d’une véritable Commission d’Enquête Parlementaire sur le rôle de la France au Rwanda, s’impose de même.
En attendant, c’est aux médias libres de poursuivre le travail de dénonciation engagé, et de relayer cette tentative d’intimidation en diffusant cette note (que vous trouverez ici ou là) qui nous renseigne sur les agissements de l’armée française au Rwanda pendant le déroulement du génocide de 1994.
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