La formation du MST (Mouvement des paysans Sans Terre)
Le coup d’Etat avait bloqué un processus considéré comme l’un des plus importants pour la vie démocratique dans l’histoire du pays, basé sur la mobilisation sociale. Le MST, formé à la fin de la dictature au Brésil, reprend cette conception et l’actualise dans un autre contexte et avec sa forme propre. La fin de la dictature était accompagnée d’un renforcement du mouvement social. Le syndicalisme brésilien venait alors de retrouver sa force de mobilisation. La lutte des ouvriers de São Paulo avait occasionné la première vraie fissure au sein du régime dictatorial. Cette lutte des ouvriers s’ajoutait à la forte présence d’une partie de l’Eglise brésilienne, très active socialement et marquée par la Théologie de la Libération. L’Eglise soutenait les luttes des paysans via la « Commission pastorale de la terre », créée en 1975, et intervenait dans les milieux urbains par l’intermédiaire des communautés ecclésiastiques de base qui rassemblaient des centaines de milliers de personnes dans tout le pays. De ce contexte renaissait l’espoir qu’une action collective et massive amène des changements.
Pendant la dictature, avec la modernisation agricole, une nouvelle phase d’occupation de terres avait commencé. Toutefois, en l’absence d’une coordination plus large, leur influence était limitée, laissant les mains libres aux grands propriétaires et à leurs milices privées pour les éliminer. C’est en 1979 qu’un groupe de paysans dans le Sud du pays, a réalisé les premières occupations de terres qui marqueront la naissance du MST, créé officiellement en 1984. Le choix des occupations massives avait pour but notamment de s’opposer à la violence. Ces occupations se font sur des grandes fermes parfois complètement inexploitées, parfois utilisées pour la spéculation, parfois détenues uniquement pour le statut et le pouvoir politique qu’elles confèrent.
La chute de la dictature s’accompagne de l’élaboration d’une nouvelle constitution brésilienne. Le MST et d’autres mouvements et syndicats ont travaillé activement dans ce cadre à la construction des propositions de reforme agraire. Approuvée en 1988, elle instituait que toutes les terres doivent avoir une fonction sociale. Et que les terres inexploitées peuvent être utilisées pour la réforme agraire. Les opposants à cette réforme se sont alors organisés et renforcés, par exemple la União Democrática Ruralista – UDR, qui menait des actions armées contre les pays, la Associação Brasileira de Agrobussiness et la Frente Ampla de Agropecária Brasileira. Ces groupes de pression ont contribué à freiner les avancées de la nouvelle constitution, en garantissant aux grands propriétaires qu’il n’y aurait pas de changement de la structure foncière. Ces organisations ont pu s’appuyer sur une majorité parlementaire pour défendre leurs intérêts. Exemple emblématique : dans l’Etat du Mato Grosso, le gouverneur est le plus grand producteur de soja du pays…
L’organisation au centre du projet En 1984 a lieu la première rencontre nationale du Mouvement des paysans sans-terres, avec des représentants de treize Etats du Brésil. Le Mouvement a développé une organisation solide en relation étroite avec ses formes d’actions, basées sur une large participation. Les occupations se déroulent en famille, les campements constituent un modèle d’auto-organisation, le lieu de création d’une forme de sociabilité centrée sur la coopération, la solidarité et l’émancipation. Les activités y sont coordonnées par secteur comme par exemple l’éducation, la formation, la production, la culture ou la santé.
L’éducation est depuis toujours un secteur fondamental pour le MST, qu’elle concerne l’alphabétisation, la formation technique ou encore la formation politique. Des écoles sont systématiquement construites dans les campements, soit 2 000 écoles ayant accueilli quelque 200 000 enfants. Plus de 50 000 jeunes et adultes ont également suivi des programmes d’alphabétisation. Enfin, un programme spécifique et une dizaine de cours de niveau universitaire ont été développés, en partenariat avec des universités publiques, pour les paysans et les habitants des zones rurales, qu’ils soient membres du MST ou d’autres organisations paysannes liées à Via Campesina. Un projet de réforme agraire ne peut plus, aujourd’hui, se cantonner à la distribution de terres. Il doit intégrer des politiques de production agricole, d’éducation et de protection des droits sociaux, en garantissant à chacun les moyens de vivre en zone rurale.
Dans le domaine de la production agricole, le MST essaie de créer les conditions pour une production biologique, en harmonie avec l’environnement. Il dispose aujourd’hui de 79 coopératives de production, 50 de commercialisation, 28 pour l’assistance technique et quatre en charge de l’octroi de crédits. Des programmes de renforcement des capacités techniques ont été mis en place, tenant compte des spécificités régionales et environnementales du pays. Enfin, un centre de production de semences biologiques fournit les graines aux paysans.
Afin de comprendre les évolutions des rapports sociaux et des contextes politiques, le MST a créé l’Escola Nacional Florestan Fernandes, conçue comme une université populaire des mouvements sociaux, devenue une référence des activités de formation politique développées depuis longtemps par le Mouvement dans des centaines de centres de formation dans tout le pays.
Les défis pour l’avenir
Le processus de concentration de terres et d’expropriation de paysans au Brésil a franchi une nouvelle étape. Aujourd’hui, la production agricole est contrôlée par des groupes industriels qui disposent d’immenses capitaux pour investir dans l’agriculture. L’entreprise brésilienne Cosan, le plus grand producteur de canne à sucre au monde, compte parmi ses actionnaires les entreprises Cargill, Tate & Lyle, Cristal Sev. Contrôlant une surface de plus de 550 000 ha de terre en 2008, l’entreprise a élargi ses actions grâce à l’entreprise Radar Propriedades Agrícolas. Utilisant un système de haute technologie, à l’aide de radars, son objectif est d’acheter un maximum de terres pour les revendre plus tard, en raison de leur valorisation liée à l’augmentation de la production de soja, coton, maïs et eucalyptus.
L’entreprise brésilienne Aracruz Celulose contrôlait à la fin de 2008 plus de 540 000 ha. Ses actionnaires sont la BNDES, banque de développement de l’Etat brésilien, la banque privée Safra, et la société britannique Newark Financial Inc, basée dans le paradis fiscal des Îles vierges. Aracruz Celulose a eu des litiges dans l’Etat de l’Espirito Santo, où elle a été obligée de restituer plus de 13 000 ha à des tribus indigènes. L’entreprise avait « acheté » ces terres à l’aide de faux titres de propriété, établis en fonction des terres non répertoriées au cadastre dès l’époque coloniale.
La concentration des terres se fait aujourd’hui par ces grandes entreprises liées au secteur financier, avec pour armes le capital de banques et de fonds d’investissement. Ce complexe économique utilise la terre pour des monocultures tournées vers l’exportation qui dégradent l’environnement. Le prix des terres augmente sans cesse dans les zones où celles-ci sont les meilleures et les infrastructures les plus développées. Les terres devolutas au Brésil, qui n’avaient pas de titre de propriété, en grand partie inexploitées, auraient dû être utilisées pour la reforme agraire, comme le préconisait la Constitution de 1988, mais elles sont de plus en plus concentrées entre les mains des entreprises de l’agro-business.
Pour faire face à cette situation et développer un mode de production favorable aux paysans, à la société et plus largement à l’équilibre écologique de l’écosystème, le MST est convaincu de la nécessité de renforcer l’organisation sociale. Les changements ne viendront pas de secteurs particuliers de la société, ni des paysans tout seuls mais de l’articulation de l’ensemble des acteurs sociaux, au niveau national et international.
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Le Front Brésil Populaire (FBP)
Avec la création du FBP. L’objectif est de réunir largement la gauche brésilienne dans toutes ses composantes : mouvements sociaux, étudiants, syndicats, partis politiques, intellectuels, artistes, parlementaires, organisations confessionnelles progressistes autour d’une plateforme politique s’engageant en faveur de la démocratie et d’une nouvelle politique économique. Il s’agit de maintenir un soutien formel à la stabilité institutionnelle et démocratique contre les attaques de la droite qui se mobilise pour la destitution de Dilma Rousseff, tout en menant une offensive vigoureuse contre la politique économique et sociale du gouvernement.Les secteurs de la gauche brésilienne viennent de franchir une nouvelle étape dans leur organisation en lançant le Front Brésil populaire (FBP). La conférence nationale de fondation a eu lieu le 5 septembre à Belo Horizonte (Etat du Minas Gerais, sud-est) et a réuni 2 500 personnes.
Dans cette perspective, le Manifeste au peuple brésilien adopté lors de la conférence fondatrice du 5 septembre met en avant quatre objectifs principaux :
1. Défendre les droits des travailleurs : lutte contre la politique d’ajustement fiscal qui détruit les droits, réduit les salaires et élève le coût des services publics ; lutte contre la spéculation financière nationale et internationale ; lutte pour une redistribution équitable du revenu, pour une réforme fiscale organisant la taxation des grandes fortunes ; exigence d’un audit de la dette.
2. Renforcer la démocratie et la participation populaire : dénonciation du coup d’état parlementaire, judiciaire et médiatique ; exigence d’une réforme du système politique démocratique et populaire qui rétablisse la représentation de la société dans les institutions ; engagement contre la criminalisation des mouvements sociaux, la corruption et la politisation de la justice, le machisme et le racisme.
3. Promouvoir des réformes structurelles pour construire un projet national de développement démocratique et populaire : réforme politique ; démilitarisation des services de police ; démocratisation des médias ; réforme urbaine ; réforme agraire ; réforme fiscale ; réforme de la santé et de l’éducation ; renforcement des médias populaires.
4. Défendre la souveraineté nationale : refus que les richesses naturelles du peuple brésilien soient accaparées par les multinationales ; maintien du caractère public de l’entreprise pétrolière Petrobras pour garantir la souveraineté énergétique nationale ; maintien du système de redistribution publique des revenus issus de l’extraction du pétrole ; renforcement de l’intégration latino-américaine.
A la tribune, des représentants politiques issus de divers secteurs politiques et sociaux étaient présents : João Pedro Stédile pour le Mouvement des travailleurs ruraux sans terre (MST), le président de la Centrale unique des travailleurs (CUT), Vagner Freitas, Rui Falcão de la direction du PT, mais aussi des représentants de partis centristes tels Roberto Requião du PMDB et l’ancien président du Parti socialiste brésilien (PSB), Roberto Amaral.
C’est autour d’un agenda de mobilisations unitaires que le Front va bâtir son organisation. Ouvert à toutes les organisations et recevant chaque jour de nouvelles demandes d’adhésions, il privilégie la négociation consensuelle autour de sa plateforme unique. L’enjeu pour les prochains mois est de construire la voix de la gauche et de garantir une plus grande visibilité à son agenda politique pour démonter le discours de la droite. Sans vocation électorale, le Front Brésil populaire vise principalement à mobiliser la société, comme le prévoit son prochain appel à manifester, le 3 octobre [1], à l’occasion de l’anniversaire de l’entreprise pétrolière publique Petrobras que la droite cherche à privatiser derrière son discours de dénonciation des scandales de corruption.
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