Tout l’arsenal de la Françafrique s’est déployé en Côte d’Ivoire : diplomatie parallèle, réseaux officieux, affaires troubles, coups tordus et crimes de guerre. Dans la nuit du 6 au 7 novembre, plusieurs dizaines de milliers de manifestants descendent dans les rues à l’appel de Charles Blé Goudé, leader des « jeunes patriotes », et se dirigent vers l’aéroport et la base militaire française. Pour « casser la manifestation », selon les termes du général Poncet, les manifestants sont pris pour cibles par les hélicoptères de combat de l’armée française. Les Ivoiriens qui réussissent à passer les ponts se heurtent aux barrages et aux chars des soldats français, qui tirent à balles réelles et à la grenade offensive. Le lendemain, le chiffre de plus de trente morts et d’une centaine de blessés par l’armée française est avancé par un membre du Front populaire ivoirien et aussitôt récusé par l’étatmajor français, qui ne reconnaît que « des tirs d’intimidation ». Le soir, le général Bentégeat reconnaît qu’ils ont « peut-être blessé ou même tué quelques personnes », mais il ne parle que de « pillards » et se déclare « très fier de la réaction qu’a eu le détachement Licorne. Ils ont montré qu’on ne tue pas impunément les soldats français ». La suite des événements confirmera qu’on peut en revanche tuer impunément des civils ivoiriens. Derrière une neutralité affichée, la France n’a cessé d’intervenir dans la vie politique ivoirienne, défendant âprement ses intérêts économiques et son influence régionale. Elle a arbitré la guerre de succession ouverte par la mort du président Houphouët-Boigny, poussant les candidats les plus proches de la France pour pouvoir maintenir la Côte d’Ivoire à la place qu’elle occupe depuis l’indépendance de 1960, à savoir u n des pivots de la Françafrique – cette forme spécifique du néocolonialisme français. Sous prétexte d’éviter un « nouveau Rwanda », la France est aussi intervenue militairement en Côte d’Ivoire, jouant le rôle de force « impartiale » aux côtés de l’ONU. C’est d’ailleurs dans le cadre de l’opération Licorne – censée illustrer l’exemplarité des nouvelles modalités d’intervention de l’armée française en Afrique – que les militaires français ont ouvert le feu sur des foules de civils ivoiriens désarmés, en novembre 2004, sur fond de manipulations qui laissent suspecter une tentative avortée de coup d’État. La France n’a jamais été ni un arbitre neutre ni un acteur désintéressé dans la crise ivoirienne ; ce livre participe à documenter son rôle, qui reste aujourd’hui encore insuffisamment critiqué et débattu. Raphaël Granvaud et Gérard Mauger sont tous deux membres de l’association Survie, et rédacteurs de Billets d’Afrique, bulletin mensuel d’information alternative sur les avatars de la politique africaine de la France.
En partenariat avec SURVIE
et les éditions AGONE
Entrée libre
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