I - Date, Inauguration et Peste
C’est en 1852 qu’a eu lieu la première fête du 8 décembre.
Ce qu’on y célèbre, c’est une inauguration, celle d’une statue de la vierge « colossale et dorée dont l’éclat rayonnerait aux quatre points cardinaux ». L’édification d’une telle statue s’inscrit dans la longue tradition lyonnaise du culte marial. Et pour l’inauguration le choix du jour de la nativité de la vierge, le 8 septembre est le plus symbolique et le plus approprié
Cette date permettait aussi de faire écho au vœu des Echevins [2] du 12 mars 1643 qui voua la ville à la vierge et demanda sa protection contre la peste en promettant offrandes et messe chaque 8 septembre.
Pratique courante à l’époque pour se protéger des épidémies, de tels vœux ont déjà été adressés à Lyon en 1564, 1581, 1628 [3] et 1638 sans empêcher toutefois la grande épidémie de 1628 (5000 morts) ni celle de 1638.
Pas d’épidémie en 1643, probablement des foyers résiduels et avec l’arrivée du printemps la peur que la maladie ne se développe.
Néanmoins en le replaçant dans son contexte, Le vœu de 1643 permettait surtout aux Echevins de se faire valoir, et de marquer leur attachement à la couronne de France en suivant le vœu du roi louis XIII qui en 1638 consacrait la France à la Vierge [4].
Mais des inondations dans les ateliers de fonderie obligèrent à repousser la cérémonie à la fête liturgique suivante soit le 8 décembre, fête de l’immaculée conception.
En 1852 dans l’esprit des organisateurs la peste et le vœu n’ont pas de rôle majeur. Le projet de statue se suffit à lui même et le jour de la nativité est en soi un jour sacré. Ce qui compte pour eux, c’est de réaffirmer visuellement la vocation mariale de la ville de Lyon en installant cette vierge qui domine la ville du haut du clocher rénové de Fourvière.
Les dates convergent symboliquement, mais la fête du 8 décembre n’est pas la commémoration de 1643, elle a son motif propre, sa logique propre.
II - Qui a décidé de construire et d’élever cette statue ?
S ’attacher aux individus à l’initiative du projet éclairera sur leurs intentions.
Rassemblés autour du cardinal de Bonald archevêque de Lyon, de la confrérie de Notre Dame et du journal la Gazette de Lyon, ils forment un noyau de notable dominant le clergé lyonnais.
D’origine noble, Bonald a reçu une éducation catholique rigoureuse basée sur l’attachement au roi. Les membres de la confrérie sont laïques, ils font partis de l’aristocratie lyonnaise. Ils sont essentiellement royalistes, tendance légitimiste (la famille la plus stricte de la royauté), et fervent catholiques.
Ils honnissent 1789 et entretiennent la mémoire du traumatisme de 1793 [5]. Ils sont le relais politique et financier du projet.
Leur militantisme n’a d’autre but que d’étendre la ferveur religieuse, par l’érection de cette statue qui, comme la religion, supplante la ville et les hommes.
Et ce projet est complètement lié au contexte politique et social de l’époque.
III - Le contexte politique et social
Les troubles révolutionnaires de 1848 sont dans tous les esprits. La République a beau avoir été écrasée dans le sang (4.500 morts au moins à Paris dont 1500 exécutions, 11.000 emprisonnés dont 4300 déportés en Algérie), les idéaux républicain, socialiste, mutualiste, anticlérical sont définitivement ancrés dans la société. Le spectre de 1789 refait surface, la peur s’immisce dans les esprits ; notables, bourgeois et provinciaux s’effraient, et les urnes plébiscitent Napoléon Bonaparte pour maintenir l’ordre. Le coup d’état de celui-ci en 1851 ne changera rien, conservateurs, royalistes et catholiques sont rassurés par le régime impérial et leurs intérêts convergent.
A Lyon l’antagonisme historique entre les élites traditionnelles et le monde ouvrier est criant. La ville garde en mémoire les insurrections révolutionnaires des canuts de 1831 et 1834. En 1848 dans le sillage de Paris le drapeau rouge flotte sur la mairie ; et encore une insurrection en juin 1849 en soutien aux républicains italiens qui ont chassé le pape de Rome [6] !
Autant dire que les élites lyonnaises accueillent avec soulagement l’ordre et la stabilité incarnés par l’empire. Les idéaux des notables sont à l’opposé de ceux des partisans d’une république sociale ; et si il faut parler de la peste et de la peur qu’elle occasionne, à leurs yeux, il s’agit des athées, des libres penseurs, des socialistes, des anarchistes...
IV - Renouveau religieux et motivations politiques
L’ordre social maintenu, l’instabilité révolutionnaire matée, une nouvelle ère s’ouvre aux conservateurs qui reprennent les rennes du pays, des hommes et des âmes.
Un renouveau religieux s’empare de toute la France, le culte marial encouragé par l’Église se développe partout.
C’est dans ce contexte d’expansionnisme religieux que l’initiative des légitimistes lyonnais trouve tout son sens.
Leur motivation politique est primordiale : reconquérir la ville, affirmer du haut d’une colline de Fourvière sanctuarisée et préservée que l’amour de la vierge s’impose à toute chose, et qu’il est plus fort que les passions révolutionnaires d’un peuple égaré qu’il faut ramener à la raison.
V - En conclusion
Pour Philippe Dujardin, le 8 décembre « ne devient intelligible qu’au regard des grands affrontements et clivages qui marquent l’histoire contemporaine de la France ».Il y a « la volonté de montrer que Lyon, ville socialement et politiquement agitée [...]abrite aussi une population fidèle à la doctrine et aux préceptes du catholicisme romain ».
« Edifier une statue […] est donc un défi, un avertissement aux mécréants, tout autant qu’un acte de foi ou de dévotion » [7].
Et encore : la Vierge « fait fonction de phare, de signal d’alerte contre les menaces de l’époque ; la laïcité, l’indifférence au dogme, à la foi religieuse »,« signal politique absolument évident dans le contexte de l’époque » [8].
« l’évènement comme d’ailleurs de nombreuses »traditions« en Europe a bien été créé, »inventé« au XIX siècle. »
Pour J.Caviglia :
« cette initiative fut prise à des fins ostentatoires pour affirmer la religiosité locale ». Et le choix d’une statue de la vierge, de l’accompagner d’une procession et d’illuminations n’est pas lié au hasard. Le lieu de cette célébration, sa nature, sa réalisation sont en réalités les corollaires directs d’une mentalité globale qui trouve à Lyon une réalité exacerbée".
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