Les drapeaux bolchéviques sont de retour en manifestation ces derniers temps, les groupuscules communistes - qu’ils soient carrément staliniens, trotskystes ou encore marxiste-léninistes - font leur grande réapparition, notamment dans le milieu étudiant. Voilà qui a de quoi me figer de honte. Il ne me paraît guère possible de lutter aux côtés de telles personnes.
Rebellyon.info, média anti-autoritaire, me parait l’outil privilégié pour exprimer ce rejet, puisque la question est bien ici celle de l’autorité, de la violence d’État, de l’oppression au nom de l’égalité. Petit retour historique.
Notons que l’on parle ici d’une critique historique du communisme autoritaire, à différencier du communisme libertaire. [1]
Je me permets de faire l’impasse sur les groupes n’ayant aucune honte à se réclamer - à mi-mot - de Staline, ou tout du moins n’ayant aucune honte à le citer comme "autorité politique" [2], l’aberration que comprend une telle situation me semble une évidence pour quiconque a jamais ouvert un livre sur l’histoire du XXe siècle. Idem pour Mao Zedong, ce qui n’empêche pas de voir par le passé, le petit livre rouge en vente sur des tables de presse à Lyon 2 !
Trotsky ?
L’imaginaire populaire, et les partis et mouvements trotskystes [3], ont gardé de cet homme l’image de l’exilé, de l’intellectuel réprimé. Ce serait oublier bien vite qu’avant de fuir l’URSS, Trotsky a été, tout du moins de 1917 à 1924, l’homme fort du régime, principal acteur du politburro derrière Lénine.
Ce serait oublier aussi que l’armée rouge, qu’il a créé, institutionnalisé, dirigé [4], a, sur ses ordres, mis fin dans le sang à la révolte des marins de Kronstadt, qui pourtant ne désirait que l’application des idéaux de la révolution, tout le pouvoir aux soviets, donc la démocratie directe !
Ce serait oublier aussi que c’est sur ordre de Trotsky que l’armée rouge a exterminé les anarchistes de la Maknovtchina, aux côtés desquels ils avaient pourtant combattu contre les blancs, mais qui était logiquement en opposition au centralisme autoritaire de Trotsky et de Lénine.
Il ne s’agit là que de deux exemples - il est vrai les plus criants - de la volonté étatiste et autoritaire de cette figure du mouvement bolchévique. Quand on sait que ses héritiers politiques se poseront en opposants à l’URSS on s’étonne de leur oubli sélectif à propos des actes de leur figure tutélaire.
Un peu de lecture : Trotsky proteste beaucoup trop (Emma Goldman [5], 1938)
Lénine ?
Du principal acteur de la révolution russe, beaucoup ont gardé l’image d’un homme de principe, dont l’œuvre aurait été dénaturé par Staline après sa mort. Tout du moins c’est ce que les procès de la déstalinisation ont voulu faire croire pour sauver l’État bolchévique.
Bien sûr, Staline a innové dans la violence d’État, et on ne peut placer l’intégralité des crimes de Staline dans la continuité de l’oeuvre de Lénine. Toutefois il serait aussi stupide de croire que la violence d’État est apparue avec Staline. On a pu voir précédemment comment elle s’est exprimée à tuer les expériences de démocratie directe sous Lénine par le biais de Trotsky.
Il ne faudrait pas oublier que pour « sauver la révolution » des menaces extérieures, Lénine et ses sbires l’ont du même coup assassiné : création de l’armée rouge, de la Tchéka (police politique), épuration politique, assassinats, etc.
Petit rappel historique :
"Le gouvernement constitué le 25 octobre 1917 par Lénine ne comporte que des bolcheviks. Il gouverne au nom de la « dictature du prolétariat », que Lénine définit sans ambages comme « un pouvoir conquis par la violence que le prolétariat exerce, par l’intermédiaire du parti, sur la bourgeoisie et qui n’est lié par aucune loi ». Très rapidement, les bolcheviks mettent en place une culture politique de guerre civile, marquée par un refus de tout compromis, de toute négociation. Cette culture n’est pas imposée, au début, par des circonstances militaires mettant en jeu la survie du régime. Elle a été théorisée, depuis des années, par Lénine, pour lequel la violence est le moteur de l’histoire, le révélateur des rapports de force, la « vérité de la politique » ou, selon la juste formule de Dominique Colas, l’« ordalie matérialiste ». Cette violence, « purificatrice », mettra à bas le « vieux monde ». Aussi, affirme Lénine, faut-il encourager la violence des masses à faire son œuvre de destruction, « l’organiser et la contrôler, la subordonner aux intérêts et aux nécessités du mouvement ouvrier et de la lutte révolutionnaire générale ».
Tout en instrumentalisant les tensions latentes dans la société russe en révolution, les bolcheviks organisent une violence politique spécifique par un certain nombre de mesures inédites. Celles-ci marquent une rupture radicale avec la culture politique tsariste comme avec les pratiques politiques des gouvernements provisoires qui s’étaient succédés de février à octobre 1917. Parmi ces mesures, les plus significatives sont l’officialisation, dès la fin de novembre 1917, de la notion d’« ennemi du peuple » ; la création, dès le 10 décembre 1917, d’une police politique, la Tcheka, organe plurifonctionnel (politique, policier, extrajudiciaire, économique) aux pouvoirs bien plus étendus que ceux de l’Okhrana tsariste ; la généralisation de la pratique des otages « appartenant aux classes riches » ; la mise en place d’un système de camps de concentration où sont internés, sur simple mesure administrative, en qualité d’otages, des dizaines de milliers d’individus en fonction de leur seule appartenance à une « classe hostile » ; la pratique, décidée au plus haut niveau du Parti, de déporter des groupes sociaux ou ethniques entiers, jugés dans leur ensemble « ennemis du régime soviétique » (la plus remarquable de ces pratiques étant l’opération de « décosaquisation », c’est-à-dire l’extermination des « Cosaques riches », décidée par Lénine et ses plus proches collaborateurs le 24 janvier 1919).
Une des tâches essentielles sur la voie du socialisme, du progrès, explique Lénine, est « d’éliminer les éléments nuisibles » du corps social, d’en chasser les « parasites », de « couper les membres irrémédiablement pourris et gangrénés » de la société"
Nicolas WERTH, directeur de recherche au C.N.R.S.
« Prétendre mener une politique socialiste à la tête de l’État, c’est promettre de transformer une automobile en aéroplane, simplement en s’emparant du volant »
Ce coup de gueule n’est bien sûr pas une tribune politique détaillée, ou une synthèse historique, juste - comme son nom l’indique - un coup de gueule, pour faire réagir face à une réapparition assez dramatique. Mais que font les libertaires ?
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