Les cahiers au feu, la maîtresse au milieu

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En septembre 2002 a été créée, au sein de l’association Cabiria, l’Université Solidaire, Citoyenne et Multiculturelle. Ce dispositif a été mis en place afin de permettre à des personnes en situation d’exclusion de bénéficier de manière gratuite de cours et d’ateliers aussi variés que le théâtre, le français, l’anglais, le droit, la danse, le chant, la géopolitique, l’informatique ou l’atelier d’écriture. Il ne s’agit pourtant pas d’une « université pour les exclu-es », mais bien de favoriser l’accès à un réseau de savoirs pour des personnes qui en sont quasi-systématiquement exclu-es, du fait de leur marginalisation sociale, de leur situation administrative, de leurs histoires personnelles ou de la violence concrète ou symbolique qu’elles subissent. L’accès à tou-tes est principalement garanti par la gratuité, l’anonymat (on ne remplit pas de fiche d’inscription demandant des renseignements personnels) et la non-obligation d’assiduité.

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Les enseignements ne sont pas orientés vers des matières utiles pour l’ « insertion » des personnes, mais aussi sur des ateliers d’expression artisique ou personnelle, le but étant plus de favoriser le bien-être et l’autonomie de chacun-e par rapport au savoir que de proposer des réorientations professionnelles. C’est aussi la variété des enseignements qui permet une mixité sociale intéressante
Je prends en charge le cours de Français Langue Etrangère depuis la création de l’Université, en binôme avec une collègue. Assurer les cours à deux nous permet de mettre en place des groupes de niveaux et d’essayer de nous rapprocher le plus possible des désirs des apprenant-es. Nous nous sommes très vite heurtées à la difficulté de l’hétérogénéité des niveaux : sur un même cours, il pouvait y avoir des personnes très débrouillardes à l’oral, ou toutes débutantes, mais aussi des personnes qui n’avait jamais été alphabétisées, ou bien qui avaient un niveau universitaire dans leur pays d’origine.

La gestion de cette diversité nous a demandé des mois de réflexions et de travail... et ce n’est pas fini. Il est difficile d’être à l’écoute des besoins des apprenant-es sans tomber dans l’enseignement individualisé, dont l’université n’est pas le lieu. Il y a donc parfois des choix à faire, dans lesquels on range un peu ses beaux idéaux pour faire place à la pragmatique : on acceptera de ralentir le rythme, quitte à ce que certain-es s’ennuient, pour que les autres puissent mieux suivre. Ou vice-versa, ce qui est déjà plus problématique.

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La liberté de l’assiduité peut être difficile à gérer pour l’enseignant-e quand il s’agit de mettre en place des cours collectifs selon une progression. Il y a ceux et celles qui viennent toutes les trois semaines, celles et ceux qui ne viennent plus subitement pendant deux mois, celleux qui ne viennent jamais de manière régulière... tout ça pendant que les autres progressent et avancent, pendant que l’écart se creuse. Ce qui rendra encore plus difficile de revenir en cours. Alors, à chaque fois que quelqu’un lâche, il faut être présente : pas en demandant un billet d’absence, mais en faisant signe que la personne est la bienvenue, et que l’on peut s’autoriser à revenir après ue absence, que l’on n’a pas à se justifier, qu’ici, on n’est pas à l’école.

Parce qu’il est bien ancré dans la tête, le système scolaire, avec sa cohorte de justifications, d’obligations, de peurs... peur de se tromper, peur d’être nul-le, peur d’être jugé-e, peur du/de la prof. Travailler avec des adultes dans un cadre où ils/elles ne sont pas obligé-es d’être assidu-es, c’est aussi le lieu où il est possible de réinventer le relation enseignant-e/apprenant-e. La penser et la vivre en dehors d’un schéma hiérarchique. Se donner les moyens, chaque fois, de faire vivre la motivation, petite ou grande, qui a permis à ces personnes de franchir le pas de la porte et d’oser renouer avec le savoir, malgré la trouille. Car ici, on ne peut pas contraindre, pas obliger, on ne peut pas agiter l’épouvantail des parents déçus, de la vie ratée, du bac... Alors, un-e élève qui manque, c’est souvent un doute pour l’enseignant-e : qu’est-ce que je n’ai pas su mettre en place pour raviver la petite flamme de la motivation ? Ce n’est pas toujours confortable comme positionnement, mais ça permet un peu de remettre ses pratiques pédagogiques en question.

Politiquement, c’est un peu plus satisfaisant. Comme quoi, on peut quand même essayer d’être prof sans être mâton.

mafalda

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