Qu’est-ce qu’être antifasciste dans une prison fédérale aux Etats-Unis ?

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Antifa

Eric G. King est un militant anarchiste, vegan, antifasciste qui a pris dix ans de prison après avoir été accusé d’avoir lancé deux cocktails molotov dans un bureau gouvernemental à Kansas City. Arrêté en 2014 il est libérable en 2023. Eric nous livre un témoignage de ce que c’est d’être antifasciste dans une prison américaine, un système de séparation raciale et où est exercé une grande violence sur les prisonniers. En outre, il est régulièrement la cible des gardiens qui le harcèlent pour ses idées politiques. Il subit régulièrement des enfermements au mitards et multiples vexations.

https://supportericking.org/
Voici la lettre qu’il a écrit traduite par nos soins.
N’hésitez pas à nous reprendre sur des éléments de traduction.

A quoi ressemble l’antifascisme dans une prison fédérale en 2017 ? Ce n’est peut-être pas ce que vous pensez.

Ne pensez surtout pas que vous allez balancer des coups de poings à tous les racistes, les porteurs de croix-gammée que vous croiserez, ce n’est pas la réalité.
Cette façon de penser ne vous mènera nulle part. Le racisme au niveau fédéral est très prégnant et appliqué de manière très archaïque. A la prison de Leavenworth je me suis imaginé foncer et attaquer tous les bigots. Dans cette prison c’était quelque part envisageable, même a Englewood (prison de basse sécurité) c’était un peu une réalité, vous pouviez les tromper.
La réalité est que plus vous allez haut dans le mode de sécurité de la détention et plus vous allez à l’ouest dans le « game » plus ce sera difficile d’exprimer vos idées antifascistes sans en payer le prix.

Tout est racialement divisé ici. Où tu manges, où tu t’entraines, où tu t’assieds, qui te coupe les cheveux, avec qui tu vis, avec qui tu joues.
Ça a été très difficile pour moi au début car c’était un peu comme me trahir moi-même. Il n’y a pas moyen d’y résister, c’est TRES sérieux.
Personne ne va faire une exception et perturber l’ordre de la prison pour l’antiraciste. Avoir une bonne pensée politique ne fait pas de vous quelqu’un d’exceptionnel ni de supérieur aux autres prisonniers. Être antifasciste ne fait pas de vous un enseignant, un prédicateur, un sauveur, ce système horrible ne fera pas de place à nos différentes croyances. Vous entendrez toute la journée des gens dénigrer chaque race, genre, ethnie, sexualité et nationalité, tout ce qui n’est pas blanc-américain-hétérosexuel.

J’ai dû apprendre très vite à mordre ma langue. Interpeller les gens ne vous mènera nulle part et finirez blessé. Si vos croyances et vos opinions sont connues, cela fournit plus d’armes aux autres qui voudraient les utiliser contre vous, et certains les utiliseront sans aucune hésitation ni doute. J’ai été interpellé pour ça de NOMBREUSES fois. J’ai le mot ANTIFA tatoué sur le visage. J’ai dû apprendre à ne JAMAIS prendre la perche qu’on vous tend, de garder vos idées pour vous-même et ceux qui vous sont proches. EN fin de compte copiner fait moins que de prendre des mesures conscientes. J’ai eu beaucoup de chance car des anciens ont vite aimé ma tête.

Il y a une tout petite frontière entre être toléré et être tabassé. Crier « tuez le blanco », éteindre la télé quand trump parle, vous exprimer, ces petites et grandes choses vont vous faire attirer les épaves, ce qui veut dire que ces bigots vont vous frapper dans la cour. Les autres Blancs non racistes ne vont PAS risquer de vous aider, les autres personnes racisées ne voudront pas déclencher une guerre qui fera des centaines de blessés pour une SEULE personne. Ensuite les personnes qui sont blessés sont celles que vous essayer de soutenir.
Il y a eu des moments où mes idées m’ont causé beaucoup de problèmes ; très nombreuses confrontations et disciplines. Nous devons apprendre à marcher sur cette ligne d’être fidèle à vous-même sans vous mettre vous-même ou d’autres dans une situation où vous êtes transféré, mis à l’hôpital, mis dans l’unité de logement sécurisé, ou USD. Nous ne mettrons jamais fin au fascisme et à l’intérieur des murs et du système de la prison sans danser sur les cendres des prisons. Vous devez rester en vie et en sécurité, il est crucial de retourner à vos proches et à votre communauté.

Avec tout cela, il y a toujours des façons d’être vous-même, quand bien même si c’est de manière plus discrète que vous l’entendez. Parfois, ne pas rire de conneries racistes ou accepter un commentaire horrible peut en dire plus que n’importe quel argument ou poing. Au fil du temps, j’ai trouvé ma propre façon de lutter contre le système PSYOP raciste orchestré par la prison elle-même. J’ai trouvé qu’il est important d’être constamment conscient et de considérer les conséquences pour les autres de chacune de mes actions.
EN prison un rien peut déclencher une guerre des races. Alors vos actions blessent les gens que vous essayez de soutenir. Être anti-fasciste pour moi ressemble souvent à me retirer respectueusement de toute conversation politique. Socialiser et prendre des cours enseignés par des gens d’autres races et permettre que ce soit un moment pour se connecter et s’engager dans le dialogue.

Pour moi rester debout peut se concrétiser en enseignant le yoga à tout le monde. Parfois, offrir une veste ou un chandail ou donner de l’argent pour quelqu’un qui est ouvertement gay et qui est harcelé est une position qui affecte la dynamique de l’ensemble de l’unité. Parfois, cela signifie avoir la capacité de donner des fournitures de base à des Blancs non racistes pour qu’ils n’aient pas à les prendre aux suprématistes blancs. Parfois, c’est jouer à des jeux avec d’autres races. Ou mettre mon ego et la politique à l’écart et laisser les gens des autres races se défouler autour de moi sans essayer d’expliquer leur colère ou leurs émotions. Être politisé et antifa ne me donne pas le droit d’être leur professeur. Je m’assois avec les musulmans dans la bibliothèque et j’y ai des conversations politiques (beaucoup de blancs n’aiment pas ça). Mon partenaire dirige des rencontres avec des gens de différentes races. Je reconnais que beaucoup de ces choses ne peuvent même pas être autorisées à d’autres endroits, ou peuvent vite être un gros problème, mais ici, elles me permettent de prendre position contre la politique de la race blanche.
Je lis toujours des livres radicaux et des zines, mais je le fais dans ma chambre, où je fais MON temps, loin des gens qui sont accros aux embrouilles.

Si vous vous exprimez verbalement, préparez-vous à vous à vous battre parce que vous serez mis au défi et si vous aurez de la chance si c’est à un contre un. Les petites choses qui arrivent instinctivement peuvent vous mettre dans la panade, il est donc intelligent de toujours être alerte. J’ai été dans des embrouilles pour avoir ri au naufrage de bateaux de la marine, pour avoir regardé du foot avec des mexicains, pour avoir laissé un noir gay dans mon cours de yoga.

Les problèmes auxquels la société est confrontée sont amplifiés en prison. Le racisme, l’homophobie, la violence sont tous très acceptés et normalisés. Être antifasciste en prison, c’est se mettre dans une position perturbatrice. Cela peut signifier des moments solitaires, des amitiés limitées, être isolé et se voir manquer de respect. La façon dont vous le portez dépend de chaque personne et de chaque situation. Se préserver est la priorité numéro un. Faire votre temps et restez fidèle à vous-même.

Eric aimerait avoir de vos nouvelles ! Écrivez-le à :

Eric King 27090045
FCI FLORENCE
INSTITUTION CORRECTIONNELLE FÉDÉRALE
PO BOX 6000
FLORENCE, CO 81226

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